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22/07/2022 | FRANCE | N°451895

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 22 juillet 2022, 451895


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mars 2021 et 8 juillet 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler partiellement pour excès de pouvoir la décision 22 octobre 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre les articles II et III de l'accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité " relatif aux campagne

s 2020-2022 conclu dans le cadre d'Interfel et sa décision rejetant impli...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mars 2021 et 8 juillet 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler partiellement pour excès de pouvoir la décision 22 octobre 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre les articles II et III de l'accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité " relatif aux campagnes 2020-2022 conclu dans le cadre d'Interfel et sa décision rejetant implicitement le recours gracieux formé contre celle-ci ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, de procéder au réexamen de sa demande tendant à l'extension des articles II et III de l'accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -Maturité " relatif aux campagnes 2020-2022 dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 ;

- le règlement délégué (UE) n° 2019/428 de la Commission du 12 juillet 2018 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), organisation interprofessionnelle agricole reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, a conclu le 10 juin 2020 un accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - Maturité " relatif aux campagnes 2021-2023. L'association Interfel a demandé l'extension de cet accord au ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Par une décision du 22 octobre 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre les dispositions de cet accord en vertu duquel les kiwis issus des cultivars Actinidia Deliciosa de variété Hayward, produits en France, ne peuvent pas être récoltés avant le 10 octobre et commercialisés avant le 6 novembre en France. L'association Interfel demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que de la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux qu'elle a formé contre ce refus.

2. D'une part, l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 dispose que : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. / (...) 4. Les règles dont l'extension à d'autres opérateurs peut être demandée comme prévu au paragraphe 1 portent sur l'un des objets suivants : / (...) b) règles de production plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union ou les réglementations nationales ; / (...) d) commercialisation ; (...) k) définition de qualités minimales et définition de normes minimales en matière de conditionnement et d'emballage ; (...) / Ces règles ne portent pas préjudice aux autres opérateurs de l'État membre concerné ou de l'Union et n'ont pas les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, ou ne sont pas contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation nationale en vigueur. (...)".

3. D'autre part, l'article 75 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 dispose que : " 1. Des normes de commercialisation peuvent s'appliquer à l'un ou plusieurs des produits et secteurs suivants : : / (...) b) fruits et légumes ; (...). / 3. Sans préjudice de l'article 26 du règlement (UE) n o 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, les normes de commercialisation visées au paragraphe 1 peuvent porter sur un ou plusieurs des éléments énumérés ci-après, déterminés sur la base des secteurs ou des produits et en fonction des caractéristiques de chaque secteur, de la nécessité de réglementer la mise sur le marché et des conditions énoncées au paragraphe 5 du présent article : / (...) b) les critères de classification comme le classement en catégories, le poids, la taille, l'âge et la catégorie ; (...) ". La partie 3 " Norme de commercialisation applicable aux kiwis " du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés, tel que modifié par le règlement délégué (UE) n° 2019/428 de la Commission du 12 juillet 2018 modifiant le règlement d'exécution (UE) no 543/2011 en ce qui concerne les normes de commercialisation dans le secteur des fruits et légumes, prévoit uniquement, s'agissant des " exigences minimales en matière de maturité ", que : " Les kiwis doivent être suffisamment développés et présenter une maturité suffisante. / Pour respecter cette exigence, au stade du conditionnement, les fruits doivent avoir atteint un degré de maturité d'au moins 6,2° Brix ou une teneur moyenne en matière sèche de 15 %, qui devrait atteindre 9,5° Brix au moment de l'entrée dans le circuit de distribution ".

4. Il ressort des pièces du dossier que l'accord interprofessionnel relatif aux règles de commercialisation " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - Maturité " relatif aux campagnes 2021-2023 conclu par l'association Interfel prévoit que les kiwis issus des cultivars Actinidia Deliciosa de variété Hayward, produits en France, ne peuvent pas être récoltés avant le 10 octobre et commercialisés avant le 6 novembre en France. Ces stipulations vont au-delà des dispositions citées ci-dessus de la partie 3 du B de l'annexe I au règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 qui ne prévoit, au-delà des exigences minimales en matière de maturité rappelées ci-dessus, aucune condition relative aux dates de récolte ou de commercialisation.

5. A l'appui de sa demande d'extension, l'association Interfel justifiait cette restriction supplémentaire par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs. Le ministre soutient que la fixation de telles règles relève de mesures de régulation de l'offre dont l'extension n'est pas autorisée. Les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 citées au point 2, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b).

6. La réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement refuser d'étendre de l'accord litigieux dès lors que l'association aurait démontré l'impact qualitatif bénéfique des exigences concernant les dates de récolte et de commercialisation dont l'extension est demandée dépend de la réponse aux questions de savoir :

1°) Si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée ;

2°) Si la fixation de dates de récolte, d'une part, et de dates de commercialisation, d'autre part, relève des règles susceptibles d'être fixées par voie d'accord interprofessionnel et étendues sur le fondement de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, et si tel est le cas si la fixation des dates de récolte et de commercialisation relève des " règles de production " visées au b) de cet article ou, comme le prévoyait antérieurement l'annexe XVI bis du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, des " règles de commercialisation " désormais visées au d) du même article.

7. Les questions mentionnées au point 6 sont déterminantes pour la solution du présent litige et présentent des difficultés sérieuses d'interprétation, en l'absence de jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne éclairant l'objet et la portée des dispositions en cause. Il y a lieu, par suite, d'en saisir cette Cour en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions de savoir :

1°) Si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée ;

2°) Si la fixation de dates de récolte, d'une part, et de dates de commercialisation, d'autre part, relève des règles susceptibles d'être fixées par voie d'accord interprofessionnel et étendues sur le fondement de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, et si tel est le cas si la fixation de telles dates de récolte et de commercialisation relève des " règles de production " visées au b) de cet article ou, comme le prévoyait antérieurement l'annexe XVI bis du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, des " règles de commercialisation " désormais visées au d) du même article.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat ; M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Guillaume Goulard

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451895
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2022, n° 451895
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Date de l'import : 11/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:451895.20220722
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