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22/07/2022 | FRANCE | N°451793

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 22 juillet 2022, 451793


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mars 2021 et 8 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre l'accord interprofessionnel " Pomme - calibre au poids " relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel et sa décision rejetant impliciteme

nt le recours gracieux formé contre celle-ci ;

2°) d'enjoindre au mini...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mars 2021 et 8 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre l'accord interprofessionnel " Pomme - calibre au poids " relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel et sa décision rejetant implicitement le recours gracieux formé contre celle-ci ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à la publication d'un avis relatif à la décision tacite d'extension de l'accord interprofessionnel dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'Etat ;

3°) de prononcer à l'encontre du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, s'il ne justifie pas avoir procédé à la publication d'un avis relatif à la décision tacite d'extension de l'accord interprofessionnel " Pomme - calibrage au poids ", dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'Etat, une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 ;

- le règlement délégué (UE) n° 2019/428 de la Commission du 12 juillet 2018 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), organisation interprofessionnelle agricole reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, a conclu le 10 juin 2020 un accord interprofessionnel " Pomme - calibre au poids " relatif aux campagnes 2021-2023. L'association Interfel a, par un courrier en date du 2 juillet 2020, reçu le 7 juillet 2020, demandé l'extension de cet accord au ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Le 7 septembre 2020, soit à l'issue du délai de deux mois initialement imparti pour instruire la demande, l'administration a demandé à l'association Interfel de lui apporter des précisions sur deux mesures prévues par l'accord, en prolongeant de deux mois le délai d'instruction de la demande, comme l'y autorisait l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre cet accord par une décision du 20 novembre 2020, qui doit être regardée comme retirant la décision d'acceptation de la demande d'extension réputée intervenue, en vertu du même article L. 632-4, faute de décision explicite prise sur cette demande au terme du délai d'instruction prolongé jusqu'au 7 novembre 2020. L'association Interfel demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 novembre 2020 ainsi que de la décision implicite rejetant le recours gracieux qu'elle a formé contre cette décision.

2. D'une part, l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 dispose que : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. / (...) 4. Les règles dont l'extension à d'autres opérateurs peut être demandée comme prévu au paragraphe 1 portent sur l'un des objets suivants : / (...) b) règles de production plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union ou les réglementations nationales ; / (...) d) commercialisation ; (...) k) définition de qualités minimales et définition de normes minimales en matière de conditionnement et d'emballage ; (...) / Ces règles ne portent pas préjudice aux autres opérateurs de l'État membre concerné ou de l'Union et n'ont pas les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, ou ne sont pas contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation nationale en vigueur. (...). ".

3. D'autre part, l'article 75 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 dispose que : " 1. Des normes de commercialisation peuvent s'appliquer à l'un ou plusieurs des produits et secteurs suivants : / (...) b) fruits et légumes ; (...). / 3. Sans préjudice de l'article 26 du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, les normes de commercialisation visées au paragraphe 1 peuvent porter sur un ou plusieurs des éléments énumérés ci-après, déterminés sur la base des secteurs ou des produits et en fonction des caractéristiques de chaque secteur, de la nécessité de réglementer la mise sur le marché et des conditions énoncées au paragraphe 5 du présent article : / (...) b) les critères de classification comme le classement en catégories, le poids, la taille, l'âge et la catégorie ; (...) ". La partie 1 " Norme de commercialisation applicable aux pommes " du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés, tel que modifié par le règlement délégué (UE) 2019/428 de la Commission du 12 juillet 2018 modifiant le règlement d'exécution (UE) no 543/2011 en ce qui concerne les normes de commercialisation dans le secteur des fruits et légumes, prévoit notamment, au titre des dispositions concernant le calibrage, que " Le calibre est déterminé par le diamètre maximal de la section équatoriale ou par le poids. (...) " et que " Afin de garantir un calibrage homogène, la différence de calibre entre les produits d'un même colis est limitée ", en fixant à cet effet, lorsque le calibrage se fait selon le poids, " pour les fruits de la catégorie "Extra" et les fruits des catégories I et II présentés en couches rangées ", les fourchettes en grammes suivantes : " 70-90 / 91-135 / 136-200 / 2001-300 / ' 300 " et " pour les fruits de la catégorie I présentés en vrac dans le colis ou l'emballage de vente ", les fourchettes en grammes suivantes : " 70-135 / 136-300 / ' 300 ", en précisant qu'" il n'y a pas de règle d'homogénéité de calibre pour les fruits de la catégorie II présentés en vrac dans le colis ou l'emballage de vente ".

4. Il ressort des pièces du dossier que l'accord interprofessionnel relatif aux règles de commercialisation " Pomme - calibre au poids " concernant les campagnes 2021-2023 conclu par l'association Interfel, d'une part, prévoit un calibrage exclusif au poids, excluant ainsi le calibrage au diamètre dont les dispositions du règlement d'exécution (UE) n°543/2011 citées au point 3 prévoient la possibilité, d'autre part stipule que les pommes classées en catégorie I et II présentées en couches rangées ou litées dans un même colis doivent respecter l'une des quatorze fourchettes de calibrage qu'il détermine et que les pommes de catégorie I présentées en vrac dans un même emballage doivent respecter huit fourchettes de calibrage qu'il détermine, ces fourchettes étant plus détaillées que celles prévues par les dispositions précitées du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011.

5. A l'appui de sa demande d'extension, l'association Interfel justifiait ces exigences supplémentaires par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs. Toutefois, les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 citées au point 2, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b), et ne prévoient, en matière de conditionnement et d'emballage, visées au k), que la définition de " normes minimales ".

6. La réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement retirer, par la décision attaquée, l'extension de l'accord conclu par l'association Interfel, réputé initialement acceptée, faute pour cette extension d'être entachée d'illégalité, dépend de la réponse aux questions de savoir :

1°) si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment s'il autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation et de conditionnement pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes par accord interprofessionnel et leur extension à l'ensemble des opérateurs ;

2°) dans l'hypothèse où la réponse à la question précédente serait différente selon que sont en cause les " règles de commercialisation " mentionnées au c) de cet article ou les " normes minimales en matière de conditionnement et d'emballage " mentionnées au k du même article, si la fixation de fourchettes de calibrage destinées à assurer l'homogénéité des produits d'un même colis relève des règles de commercialisation ou des normes en matière de conditionnement.

7. Les questions mentionnées au point 6 sont déterminantes pour la solution du présent litige et présentent des difficultés sérieuses d'interprétation, en l'absence de jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne éclairant l'objet et la portée des dispositions en cause. Il y a lieu, par suite, d'en saisir cette Cour en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions de savoir :

1°) Si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment s'il autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation et de conditionnement pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes par accord interprofessionnel, et leur extension à l'ensemble des opérateurs ;

2°) Dans l'hypothèse où la réponse à la question précédente serait différente selon que sont en cause les " règles de commercialisation " mentionnées au c) de cet article ou les " normes minimales en matière de conditionnement et d'emballage " mentionnées au k) du même article, si la fixation de fourchettes de calibrage destinées à assurer l'homogénéité des produits d'un même colis relève des règles de commercialisation ou des normes en matière de conditionnement.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat ; M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Guillaume Goulard

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451793
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2022, n° 451793
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Date de l'import : 11/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:451793.20220722
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