La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/07/2022 | FRANCE | N°461914

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 13 juillet 2022, 461914


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février et 24 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 novembre 2021 le mettant à la retraite d'office par mesure disciplinaire ;



2°) d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de mettre fin à la publication du décret sur son site intranet ;



3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Vu les autres pièces du dossier ;



Vu...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février et 24 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 novembre 2021 le mettant à la retraite d'office par mesure disciplinaire ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de mettre fin à la publication du décret sur son site intranet ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret attaqué ;

- la loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 79-433 du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'Etat à l'étranger ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de M. E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de plusieurs signalements de comportements sexistes reçus au cours du premier trimestre 2020 par la " cellule d'écoute " mise en place au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le secrétaire général du ministère a demandé à l'inspection générale des affaires étrangères de conduire une enquête administrative portant sur ces allégations, qui mettaient en cause M. E..., tant pour la période durant laquelle il a exercé les fonctions d'ambassadeur de France en Côte d'Ivoire que pour celle durant laquelle il a dirigé le poste diplomatique français au Mali. A la suite de la remise de ce rapport le 31 juillet suivant, il a été mis fin aux fonctions de M. E... à Abidjan par décret du Président de la République du 30 septembre suivant. Le 25 mars 2021, la directrice générale de l'administration et de la modernisation du ministère a informé l'intéressé de l'ouverture d'une procédure disciplinaire. La commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire s'est réunie les 2 et 3 août suivants. M. E... demande l'annulation du décret du Président de la République du 15 novembre 2021 prononçant sa mise à la retraite d'office par mesure disciplinaire et prévoyant la publication de cette sanction sous forme anonymisée sur le site intranet du ministère pour une durée de six mois. Il demande en outre à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de mettre fin à la publication du décret.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l'engagement d'une procédure disciplinaire sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure. Au demeurant, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, non plus que des témoignages signalés par M. E... dans sa requête, que l'enquête de l'inspection générale des affaires étrangères aurait été déclenchée, ainsi qu'il le soutient, à la suite de pressions d'agents faisant preuve d'animosité à son égard.

3. En deuxième lieu, si M. E... soutient que plusieurs personnes dont le témoignage en sa faveur aurait été crucial, n'auraient délibérément pas été auditionnées par la mission d'enquête de l'inspection générale, cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire, le rapport de cette mission, produit par l'administration et soumis au débat contradictoire, constituant une pièce du dossier au vu duquel le conseil de discipline et l'autorité investie du pouvoir disciplinaire se sont prononcés et dont il appartenait à ces derniers, au vu de ce débat, d'apprécier la valeur probante. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que cette mission a recueilli de nombreux témoignages tant à charge qu'à décharge et que, s'il lui est fait en particulier reproche de ne pas avoir auditionné l'attaché de défense à Bamako après l'important témoignage écrit qu'il avait produit, ce témoignage se terminait par la mention du refus de son auteur " de répondre aux enquêteurs du MAE ". M. E..., qui avait, au surplus, la faculté de produire des témoignages utiles à sa défense, en a produit plusieurs au cours de la procédure disciplinaire et en a d'ailleurs produit de nouveaux devant le Conseil d'Etat.

4. En troisième lieu, si M. E... soutient que des témoignages recueillis au titre de la période 2006-2007 - non mentionnée dans la lettre de mission du secrétaire général évoquée au point 1 - n'ont pas été portés à sa connaissance lors de son audition par la mission d'enquête, cette circonstance est dépourvue d'incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le décret attaqué serait fondé sur des témoignages auxquels M. E... n'aurait pas eu accès en temps utile.

5. En quatrième lieu, si M. E... affirme que l'inspecteur ayant la charge principale de l'enquête aurait fait état de pressions qu'il aurait subies, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que ces " pressions " consistent en un simple rappel du calendrier imparti pour le déroulement de l'enquête et la remise du rapport et que si, pour le respect de ce calendrier, une audition de M. E... a eu lieu peu de temps après des examens médicaux importants qu'il venait de subir, elle a fait suite à l'indication par l'intéressé qu'il était " pressé d'en terminer avec ces accusations sans fondement ".

6. En cinquième lieu, si M. E... relève que le rapport de la mission d'enquête contient un témoignage, retenu dans les motifs du décret, dont la date de signature est postérieure d'une journée à celle de la remise de ce même rapport, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que la cause de ce décalage tient à ce que ce témoignage, bien que recueilli plusieurs jours avant la remise du rapport, n'a été signé et n'a pu, par suite, être annexé à ce rapport que postérieurement à cette remise.

7. En sixième lieu, si M. E... soutient que des mémoires qu'il a produits les 20 septembre et 7 décembre 2020, après que la directrice générale de l'administration et de la modernisation l'avait informé de ce que le Président de la République envisageait de mettre fin à ses fonctions à Abidjan, n'ont pas été communiqués à la commission administrative paritaire, il n'appartenait pas à l'administration de les produire elle-même dans le cadre de la procédure disciplinaire qui n'a été ouverte que postérieurement, le 25 mars 2021.

8. En septième lieu, aux termes de l'article 3 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le Conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Le droit de citer des témoins appartient également à l'administration " et, aux termes de son article 5 : " Le conseil de discipline entend séparément chaque témoin cité. / A la demande d'un membre du conseil, du fonctionnaire poursuivi ou de son ou de ses défenseurs, le président peut décider de procéder à une confrontation des témoins, ou à une nouvelle audition d'un témoin déjà entendu. / Le fonctionnaire et, le cas échéant, son ou ses défenseurs peuvent, à tout moment de la procédure devant le conseil de discipline, demander au président l'autorisation d'intervenir afin de présenter des observations orales. (...) ". Il suit de là que si le fonctionnaire poursuivi peut, à tout moment de la procédure et notamment après l'audition des témoins cités par l'administration, demander à présenter des observations orales, il ne dispose pas de la faculté d'interroger directement ces derniers témoins. M. E... n'est par suite pas fondé à soutenir que la procédure devant le conseil de discipline aurait été irrégulière au motif qu'il n'a pas pu interroger les témoins que la directrice générale a fait auditionner.

9. En huitième lieu, si l'article 8 du décret mentionné au point 8 dispose : " La proposition [de sanction] ayant recueilli l'accord de la majorité des membres présents doit être motivée et être transmise par le président du conseil de discipline à l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ", il ne résulte d'aucune disposition de ce texte, ni des principes généraux applicables à la procédure disciplinaire, que l'avis rendu par le conseil de discipline doive être communiqué au fonctionnaire poursuivi préalablement à l'intervention de la décision de sanction. Ainsi, M. E... n'est pas fondé à se prévaloir, pour contester la régularité de la procédure disciplinaire, de ce que l'avis du conseil de discipline ne lui aurait pas été communiqué.

10. En dernier lieu, le décret attaqué énonce les motifs de fait et de droit sur lesquels repose la sanction qu'il prononce. Contrairement à ce que soutient M. E..., ce décret qui n'avait pas à exposer les motifs pour lesquels les faits retenus au soutien de la sanction n'étaient pas regardés comme prescrits, est suffisamment motivé.

Sur la légalité interne de la décision de sanction :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit plus haut, qu'il a été mis fin aux fonctions d'ambassadeur en Côte d'Ivoire de M. E... par un décret du Président de la République du 30 septembre 2020. Cette décision a été prise en raison des éléments issus du rapport d'inspection du 31 juillet 2020, faisant état de comportements sexistes pouvant être constitutifs d'agressions sexuelles et de harcèlement sexuel. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision, qui a été prise dans l'intérêt du service, en vue d'empêcher la poursuite de tels comportements et de préserver l'image de la France à l'étranger, constituerait une sanction déguisée. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait méconnu le principe non bis in idem ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, d'une part, le principe d'impartialité, qui est un principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs, n'a pas été méconnu, au cours de la procédure disciplinaire, pour le seul motif que la directrice générale de l'administration et de la modernisation a présidé la formation disciplinaire de la commission administrative paritaire, laquelle se borne au demeurant à émettre un avis sur une proposition de sanction sans la prononcer elle-même, alors qu'elle avait engagé les poursuites contre l'exposant et rédigé le rapport soumis à cette instance. D'autre part, la circonstance que la directrice générale de l'administration et de la modernisation ait présidé l'association " Femmes et Diplomatie ", qui vise à promouvoir la place des femmes dans la diplomatie, n'est pas, par elle-même, de nature à placer la personne concernée dans une situation de conflit d'intérêts faisant obstacle à ce qu'elle puisse régulièrement prendre part à une procédure disciplinaire susceptible de conduire au prononcé d'une sanction à l'égard d'un homme, à raison de comportements sexistes. En outre, la seule circonstance que le rapport soumis au conseil de discipline par la directrice générale de l'administration et de la modernisation aurait énoncé les éléments reprochés à M. E... sans faire état de témoignages en sens contraire ne saurait être regardée comme la preuve d'une animosité particulière de cette directrice à l'égard de l'intéressé. La circonstance que la directrice générale n'a pas proposé de nouvelle affectation pour M. E... après qu'il a été mis fin, le 30 septembre 2020, à ses fonctions d'ambassadeur en Côte d'Ivoire, ne saurait non plus être retenue comme caractérisant des faits de harcèlement moral à son encontre, alors au demeurant que, pendant la période en cause, M. E... a d'abord été en vacances puis en congé de maladie.

13. En troisième lieu, il résulte du décret attaqué que la sanction prononcée à l'égard de M. E... a été prise eu égard aux circonstances tenant, premièrement, à ce qu'entre novembre 2006 et juin 2007, celui-ci, alors sous-directeur de la sécurité des personnes, a, de manière répétée, à l'égard de Mmes F... D..., stagiaire, et V... X..., stagiaire puis vacataire, toutes deux placées sous son autorité, adopté des comportements et tenu des propos à caractère sexuel et persisté dans cette attitude en dépit des refus explicites que lui avaient opposés les intéressées ; deuxièmement, à ce qu'entre février 2013 et septembre 2014, M. E..., alors chef de la mission Mali-Sahel puis ambassadeur de France au Mali, a, de manière répétée et parfois même en public, dénigré le travail de Mmes B... C..., conseillère politique à l'ambassade de France et T... A..., conseillère politique du commandant de l'opération Serval et adopté à leur égard un ton particulièrement autoritaire et parfois grossier ; troisièmement, à ce que l'intéressé a tenu à l'égard des mêmes personnes des propos à caractère sexuel et adopté des comportements humiliants et dégradants, tels que des avances ou des gestes déplacés, qui n'ont pas été isolés et ont atteint un degré de gravité certain en avril 2013 lorsque M. E... a embrassé de force Mme C... ; quatrièmement, à ce que, dans l'exercice de ses fonctions d'ambassadeur de France au Mali puis en Côte d'Ivoire, M. E... a pratiqué un management clivant, contribuant à la dégradation des conditions de travail de certains agents placés sous son autorité, et tenu à plusieurs occasions des propos sexistes et discriminatoires à l'endroit de collaborateurs et collaboratrices.

14. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction ". M. E... soutient que les faits, qui seraient intervenus en 2013 et 2014, retenus au soutien de la sanction prononcée par le décret attaqué, auraient été connus de l'administration plus de trois ans avant l'engagement de la procédure disciplinaire et seraient ainsi prescrits en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983. Il ressort toutefois des pièces du dossier que si Mme C... avait fait allusion, notamment dans des échanges avec des membres de la direction des ressources humaines du ministère, à un geste déplacé de la part de M. E..., elle n'avait pas révélé à l'administration, avant l'année 2020, l'agression du mois d'avril 2013 mentionnée par le décret attaqué ; Mme A..., pour sa part, avait parlé en avril 2013 au sous-directeur d'Afrique occidentale à la direction de l'Afrique et de l'Océan indien des propos à caractère sexuel que lui avait adressés M. E... mais elle lui avait expressément demandé de conserver la confidentialité de cet entretien. Seuls les signalements communiqués en 2020 à la " cellule d'écoute " constituée au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et les témoignages recherchés par la cellule ont donc permis d'appréhender l'ampleur des faits et leur répétition au cours des deux périodes en cause, avant que la mission d'enquête diligentée en conséquence n'entreprenne de recueillir des témoignages concordants relatifs à une troisième période, antérieure de plusieurs années, pour laquelle il n'est au demeurant pas soutenu que les faits seraient prescrits. Le moyen doit par suite être écarté.

15. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de la mission d'enquête, que les faits retenus au soutien du décret du 15 novembre 2021 reposent sur un patient recoupement des différents signalements recueillis et sur la sollicitation de témoignages complémentaires, qui se sont révélés à charge et à décharge, ainsi que sur la sollicitation de témoignages relatifs à la période 2006-2007, auprès de personnes ayant servi sous l'autorité de M. E... alors sous-directeur de la sécurité des personnes à la direction des Français à l'étranger, le conseil de discipline, dont la séance s'est tenue sur deux journées, les 2 et 3 août 2021, ayant ensuite pris en compte l'ensemble des éléments apportés tant par l'administration que par M. E.... Il ressort également des pièces du dossier que, parmi les faits allégués à l'encontre de M. E..., certains n'ont pas été retenus, en raison de témoignages contraires ou de leur insuffisante vraisemblance. Il ressort ainsi des pièces du dossier que les faits retenus par le décret attaqué peuvent être regardés comme établis, les éléments soulevés par M. E..., ainsi que les témoignages nouveaux qu'il a produits devant le Conseil d'Etat, de caractère général et au demeurant parfois relatifs à des périodes non prises en compte par la décision attaquée, n'étant pas de nature à remettre en cause leur existence.

16. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe. / Aucun fonctionnaire ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant " et, aux termes de l'article 6 ter de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. (...) / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas ". Il en résulte que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

17. Les faits reprochés à M. E... - qui ont été résumés au point 13 et qui, ainsi qu'il a été dit au point 15, ne sont pas entachés d'inexactitude matérielle - d'une part, sont constitutifs, de harcèlement sexuel sur une grande partie des périodes de sa carrière au ministère des affaires étrangères, y compris lorsqu'il a exercé des responsabilités éminentes et, d'autre part, ont porté gravement atteinte à la dignité des dernières fonctions qu'il a exercées. M. E... n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'ils ne seraient pas constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction. Pour les mêmes raisons, en dépit d'une atténuation progressive de la gravité des faits reprochés et quelle qu'ait été, par ailleurs, la qualité des services qu'il a rendus dans l'exercice de ses fonctions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'autorité disciplinaire aurait, en l'espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant de le mettre à la retraite d'office, alors qu'il était âgé de soixante ans.

18. En sixième lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

19. En septième lieu, si M. E... soutient que la mesure disciplinaire en cause serait illégale en tant qu'elle ne prévoit pas le report de sa date d'effet à l'expiration de son congé maladie, la circonstance qu'un agent soit placé en congé pour maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de mise à la retraite d'office. Dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de la décision de publication :

20. L'article 2 du décret attaqué dispose : " Le présent décret sera rendu public, sans indication de l'identité de l'intéressé, sur le site intranet du ministère (...) pendant une durée de six mois ". D'une part, une telle publication, dont il ressort du procès-verbal des séances des 2 et 3 août 2021 qu'elle est conforme, avec une durée plus brève, à l'avis du conseil de discipline, est rendue possible, après avis de ce même conseil, par l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dans sa rédaction alors en vigueur. D'autre part, compte tenu de la nature des faits ayant motivé la sanction, ainsi que de son anonymisation et de la durée de sa présence sur le site intranet du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, cette publication ne revêt pas de caractère disproportionné.

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque. Ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... E..., au Premier ministre et à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, conseillers d'Etat, M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et M. Charles-Emmanuel Airy, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Charles-Emmanuel Airy

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461914
Date de la décision : 13/07/2022
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2022, n° 461914
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : sarl CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461914.20220713
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award