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29/06/2022 | FRANCE | N°442190

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 29 juin 2022, 442190


Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 16 février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Chalon Opco à le licencier. Par un jugement n° 1805882 du 12 février 2019, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 19PA01184 du 26 mai 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A... B..., annulé ce jugement ainsi que la décision du 16 février 2018.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complément

aire, enregistrés les 27 juillet et 27 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du...

Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 16 février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Chalon Opco à le licencier. Par un jugement n° 1805882 du 12 février 2019, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 19PA01184 du 26 mai 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A... B..., annulé ce jugement ainsi que la décision du 16 février 2018.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet et 27 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Chalon Opco demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A... B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Chalon Opco et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., employé par la société Chalon Opco en qualité de demi-chef de partie depuis le 1er avril 2017 et affecté au sein du restaurant de l'établissement Hilton, était membre titulaire de la délégation unique du personnel. Le 15 décembre 2017, la société Chalon Opco a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 16 février 2018, l'inspectrice du travail a délivré cette autorisation. Par un jugement du 12 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A... B... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. La société Chalon Opco se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 mai 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A... B..., annulé ce jugement ainsi que la décision du 16 février 2018.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour faire droit à l'appel de M. A... B..., la cour administrative d'appel a estimé que s'il avait eu un geste déplacé à l'égard d'une apprentie de dix-neuf ans le 9 octobre 2017, ces faits n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, au regard notamment de l'absence d'éléments figurant au dossier permettant de retenir qu'un tel agissement avait, en l'espèce, une connotation sexuelle, la cour ayant relevé en particulier que si d'autres salariés avaient témoigné de ce que M. A... B... avait déjà eu par le passé un comportement déplacé vis-à-vis d'autres salariées, leurs témoignages étaient anonymes et étaient, dès lors, non probants, comme l'avait indiqué l'inspectrice du travail dans la décision attaquée. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les comptes rendus d'entretiens versés au dossier, indiquant, dans leur version produite dans l'instance juridictionnelle, le nom des salariés interrogés, relatent de manière détaillée des faits directement observés par les employés interrogés quant au comportement et aux propos de M. A... B.... En outre, il résulte des termes mêmes de la décision de l'inspectrice du travail en date du 16 février 2018 que celle-ci a retenu qu'aucun élément ne permettait de remettre en cause la bonne foi des salariés ayant témoigné des agissements du salarié. Par suite, la société Chalon Opco est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier en estimant que ces témoignages étaient anonymes et comme tels dénués de toute valeur probante ainsi que l'avait retenu l'inspectrice du travail.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Chalon Opco est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-8 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'entretien préalable au licenciement a lieu avant la consultation du comité d'entreprise faite en application de l'article L. 2421-3. (...) ".

7. D'une part, si M. A... B... fait valoir qu'il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant la délégation unique du personnel, celle-ci s'étant tenue le 15 décembre 2017, soit le lendemain de l'entretien préalable auquel il avait été convoqué, il ressort des pièces du dossier qu'il était, en l'espèce, informé des faits reprochés avant même son entretien préalable, ce qui lui permettait de préparer utilement ses observations en vue de la séance de la délégation unique du personnel, dès lors que cette procédure de licenciement faisait suite à une première procédure de licenciement à raison des mêmes faits qui n'avait pas été menée à son terme. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de l'inspectrice du travail est illégale pour avoir estimé que le délai séparant l'entretien préalable de la consultation de la délégation unique du personnel avait été suffisant n'est pas fondé.

8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les membres titulaires et suppléants de la délégation unique du personnel ont été régulièrement convoqués à la réunion extraordinaire du 15 décembre 2017 en vue de sa consultation sur le projet de licenciement pour motif disciplinaire de M. A... B.... La circonstance que l'inspectrice du travail ne fasse pas mention expresse de ces convocations dans sa décision du 16 février 2018 est à cet égard sans incidence sur la régularité de la procédure préalable à sa saisine et n'affecte pas la légalité de sa décision. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'illégalité, pour avoir retenu que la consultation de la délégation unique du personnel était régulière, doit être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2121-11 du code du travail : " l'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire (...) ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

10. Il ressort des pièces du dossier que l'inspectrice du travail a mis à la disposition de M. A... B... la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire adressée par son employeur en y adjoignant les déclarations, non anonymisées, de l'apprentie auprès de laquelle il lui est reproché d'avoir eu un comportement inapproprié et les témoignages, anonymisés, des autres salariés, dès lors qu'elle avait estimé que la connaissance des noms de ces salariés était, à ce stade de la procédure, de nature à porter préjudice à leurs auteurs. En procédant ainsi, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu les exigences posées à l'article R. 2121-11 du code du travail. Par suite, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que l'enquête de l'inspectrice du travail n'a pas été contradictoire.

11. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a eu à l'égard d'une apprentie de dix-neuf ans un geste à caractère sexuel, particulièrement inapproprié dans le cadre des relations professionnelles. Alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. A... B... tenait habituellement des propos à caractère déplacé à l'encontre de salariées de l'entreprise, ce geste, commis au préjudice d'une jeune femme en contrat d'apprentissage, constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement. Par suite, M. A... B..., dont les allégations selon lesquelles d'une part la plainte de cette apprentie et les témoignages des salariés résulteraient de manœuvres de son employeur et d'autre part son geste s'expliquerait par le contexte de tension existant le jour des faits dans la cuisine, ne sont pas établies, n'est pas fondé à soutenir que l'inspectrice du travail aurait inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis en estimant qu'ils étaient fautifs et de nature à justifier à eux seuls son licenciement, de sorte qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les autres griefs faits par son employeur.

12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement du requérant serait lié à la circonstance que, lors de la réunion extraordinaire de la délégation unique du personnel en date du 19 octobre 2017, il avait mis en cause le responsable du restaurant en raison de son absence d'intervention dans des malversations constatées dans un point de vente, ou qu'il aurait été victime de discriminations de la part de son employeur, de sorte que le projet de licenciement serait, en réalité, en lien avec son mandat. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait illégale pour avoir retenu que le projet de licencier M. A... B... n'était pas en rapport avec son mandat doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2018 autorisant son licenciement.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... B... la somme demandée par la société Chalon Opco au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur le même fondement par M. A... B... en appel et en cassation ne peuvent être que rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 26 mai 2020 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête d'appel de M. A... B... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées en cassation et en appel par la société Chalon Opco au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions présentées en cassation par M. A... B... au titre des mêmes dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Chalon Opco, à M. C... A... B... et au ministre du travail, du plein de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2022 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Carine Soulay, conseillère d'Etat et M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 juin 2022.

La présidente :

Signé : Mme Maud Vialettes

Le rapporteur :

Signé : M. Sylvain Monteillet

La secrétaire :

Signé : Mme Romy Raquil


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 442190
Date de la décision : 29/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2022, n° 442190
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:442190.20220629
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