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24/06/2022 | FRANCE | N°457396

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 24 juin 2022, 457396


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 11 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

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- la Constitution, notamment son Préambule ;

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 11 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1069 du 11 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1413 du 29 octobre 2021 ;

- le décret n° 2021-1521 du 25 novembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire instaure une obligation de vaccination contre la maladie covid-19, " sauf contre-indication médicale reconnue ", pour les professionnels de santé et pour les personnels des établissements ou services prenant en charge des personnes vulnérables dont il fixe la liste et le II du même article renvoie à un décret pris après avis de la Haute Autorité de santé la détermination des " conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I ". Aux termes du I de l'article 13 de la même loi : " Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination (...) / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication (...) ". Par ailleurs, l'article 1er de cette loi modifie le II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire en y introduisant notamment un J prévoyant qu'" un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et permettant la délivrance d'un document pouvant être présenté dans les cas prévus au 2° du A du présent II ", c'est-à-dire du " passe sanitaire ".

2. Le 3° de l'article 1er du décret du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire a inséré au sein du décret du 1er juin 2021 un article 2-4 qui prévoit que : " Les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19 et permettant la délivrance du document pouvant être présenté dans les cas prévus au 2° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 susvisée sont mentionnés à l'annexe 2 du présent décret. / L'attestation de contre-indication médicale est remise à la personne concernée par un médecin ". Le 10° du même article a inséré une annexe 2 au décret aux termes de laquelle : " I. - Les cas de contre indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19 mentionnés à l'article 2-4 sont : / 1° Les contre-indications inscrites dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) : / - antécédent d'allergie documentée (avis allergologue) à un des composants du vaccin en particulier polyéthylène-glycols et par risque d'allergie croisée aux polysorbates ; / - réaction anaphylaxique au moins de grade 2 (atteinte au moins de 2 organes) à une première injection d'un vaccin contre le COVID posée après expertise allergologique ; / - personnes ayant déjà présenté des épisodes de syndrome de fuite capillaire (contre-indication commune au vaccin Vaxzevria et au vaccin Janssen). / 2° Une recommandation médicale de ne pas initier une vaccination (première dose) : / - syndrome inflammatoire multi systémique pédiatrique (PIMS) post-covid-19. / 3° Une recommandation établie après concertation médicale pluridisciplinaire de ne pas effectuer la seconde dose de vaccin suite à la survenue d'un effet indésirable d'intensité sévère ou grave attribué à la première dose de vaccin signalé au système de pharmacovigilance (par exemple : la survenue de myocardite, de syndrome de Guillain-Barré ...). / II. - Les cas de contre-indication médicale temporaire faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19 mentionnés à l'article 2-4 sont : / 1° Traitement par anticorps monoclonaux anti-SARS-CoV-2. / 2° Myocardites ou péricardites survenues antérieurement à la vaccination et toujours évolutives. "

3. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, Mme B... doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des 3° et 10° de l'article 1er du décret du 7 août 2021.

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 1112-1 du code de la santé publique : " Les établissements sont tenus de protéger la confidentialité des informations qu'ils détiennent sur les personnes qu'ils accueillent. / Les médecins membres de l'inspection générale des affaires sociales, les médecins inspecteurs de santé publique et les médecins conseils des organismes d'assurance maladie ont accès, dans le respect des règles de déontologie médicale, à ces informations lorsqu'elles sont nécessaires à l'exercice de leurs missions. / Les modalités d'application du présent article, notamment en ce qui concerne la procédure d'accès aux informations médicales définies à l'article L. 1111-7, sont fixées par voie réglementaire, après avis du Conseil national de l'ordre des médecins ". La circonstance que les dispositions attaquées pourraient conduire les établissements de santé à recevoir des données personnelles de santé de la part de leur personnel soumis à l'obligation de vaccination instituée par la loi ne saurait conduire, contrairement à ce qui est soutenu, à regarder le décret attaqué comme ayant été pris pour fixer les modalités d'application du III de l'article L. 1112-1 du code de la santé publique, qui régit en tout état de cause les informations détenues par ces établissements sur les seules personnes qu'ils accueillent et figure d'ailleurs, à ce titre, au sein du titre du code de la santé publique relatif aux droits des personnes malades et des usagers du système de santé. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait dû être soumis à l'avis du Conseil national de l'ordre des médecins sur le fondement de ces dispositions ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, l'article L. 5121-20 du code de la santé publique prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du chapitre 1er du titre II " Médicaments à usage humain " du livre Ier de la cinquième partie de ce code et notamment : " 9° les règles applicables à l'expérimentation des médicaments en vue de leur autorisation de mise sur le marché ainsi qu'aux essais organisés après la délivrance de cette autorisation ". Contrairement à ce que soutient la requérante, le décret attaqué ne modifie pas les règles applicables aux essais organisés après l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle des vaccins concernés, lesquelles sont fixées aux articles R. 5121-10 à R. 5121-20 du code de la santé publique, la circonstance que des essais cliniques étaient encore en cours à la date de son édiction étant sans incidence à cet égard. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses auraient dû, pour ce motif et alors même que les dispositions du II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 en application desquelles elles ont été édictées ne le prévoient pas, être prises par décret en Conseil d'Etat.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, il ressort des dispositions de l'annexe 2 du décret du 1er juin 2021 citées au point 2 que celle-ci fixe limitativement la liste des contre-indications faisant obstacle à la vaccination contre la maladie covid-19. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait fixé cette liste, après avis de la Haute Autorité de santé, en application des dispositions du J du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, pour déterminer les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et permettant la délivrance du " passe sanitaire ", ne faisait pas obstacle à ce qu'il retienne la même liste au titre des " contre-indications médicales reconnues " dispensant de la vaccination obligatoire les personnes qui y sont soumises en vertu du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, qui relevaient des conditions de vaccination de ces personnes qu'il revenait au pouvoir règlementaire de déterminer en vertu du II du même article. Par suite, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les dispositions de la loi du 5 août 2021, sur la portée desquelles il ne s'est pas mépris, en fixant, au titre des conditions de vaccination des personnes soumises à l'obligation de vaccination, une liste limitative de contre-indications médicales faisant obstacle à leur vaccination.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé (...) ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention (...) et assurer (...) la meilleure sécurité sanitaire possible ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé (...), le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés (...) au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention (...) ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce qui est soutenu, le médecin ou la sage-femme le cas échéant amené à apprécier si la personne en cause peut être vaccinée doit s'assurer que l'acte ne lui fait pas courir un risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté, en vérifiant en particulier 1'absence de contre-indication médicale reconnue à la vaccination contre la maladie covid-19.

8. En fixant limitativement, par l'annexe 2 du décret attaqué, la liste des contre-indications médicales à la vaccination contre la maladie covid-19, le pouvoir réglementaire a tenu compte, sans se limiter aux mentions du résumé des caractéristiques du produit des différents vaccins concernés, de l'état des données acquises de la science concernant la balance bénéfice/risque de la vaccination dans certaines situations médicales identifiées. Si la requérante soutient que cette liste est trop restrictive, elle ne conteste pas qu'elle repose sur des éléments objectifs et qu'elle correspond à celle préconisée par la Haute Autorité de santé dans son avis du 4 août 2021, au vu duquel elle a été édictée. En outre, il appartient en tout état de cause au Premier ministre, notamment en vertu du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, d'actualiser cette liste compte tenu de l'évolution des connaissances médicales et scientifiques comme il l'a d'ailleurs fait par les décrets du 11 août 2021, du 29 octobre 2021 et du 25 novembre 2021 visés ci-dessus.

9. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir réglementaire aurait, en fixant la liste qu'elle conteste des contre-indications médicales à la vaccination contre la maladie covid-19 reconnues en l'état des connaissances scientifiques et sans la laisser à l'appréciation individuelle de chaque médecin, méconnu l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et les dispositions des articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète.

11. A l'appui du moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait ces dispositions, la requérante se borne à contester le principe de l'obligation de vaccination contre la maladie covid-19 instaurée par l'article 12 de la loi du 5 août 2021, sans préciser en quoi la définition de la liste limitative des contre-indications à la vaccination des personnes soumises à cette obligation serait de nature à instaurer un rapport qui ne serait pas suffisamment favorable entre d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme B... doivent être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er juin 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 24 juin 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 457396
Date de la décision : 24/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2022, n° 457396
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:457396.20220624
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