Vu la procédure suivante :
M. C... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le président du directoire de la société anonyme d'habitations à loyer modéré Vilogia a préempté l'immeuble situé 216, rue Pierre-Legrand, sur le territoire de la commune de Lille. Par une ordonnance n° 2009430 du 21 janvier 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 18 février et le 3 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vilogia demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Vilogia, et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A... s'est porté acquéreur auprès de la société Desmazières de l'immeuble situé au 216, rue Pierre-Legrand à Lille, pour un montant de 700 000 euros. Par une décision du 12 novembre 2020, la société Vilogia a exercé le droit de préemption urbain sur ce bien par délégation de la métropole européenne de Lille. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette décision. Par une ordonnance du 21 janvier 2021, contre laquelle la société Vilogia se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande au motif que les moyens tirés, d'une part, de l'incompétence de l'auteur de l'acte et, d'autre part, de la méconnaissance de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, en l'absence de transmission au contrôle de légalité de la décision litigieuse avant l'expiration du délai prévu par cet article, étaient propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision du 12 novembre 2020.
Sur l'intervention :
2. Eu égard à son caractère accessoire par rapport au litige principal, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable, lorsqu'elle est présentée à l'appui d'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale tenant à l'annulation de cette décision, à moins qu'il n'en ait par ailleurs lui-même directement demandé l'annulation.
3. La métropole européenne de Lille, qui justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée, est intervenue en défense au soutien de la société Vilogia dans le cadre de la requête à fin d'annulation présentée par M. A.... Ainsi, son intervention en cassation est recevable.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
4. Le moyen tiré de ce que l'ordonnance n'aurait pas été signée par le magistrat l'ayant rendue, en méconnaissance de l'article R. 742-5 du code de justice administrative, manque en fait.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
5. En premier lieu, le troisième alinéa de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales permet au président de l'établissement public de coopération intercommunale de déléguer par arrêté, sous sa surveillance et sa responsabilité, l'exercice d'une partie de ses fonctions aux vice-présidents. Aux termes de l'avant-dernier alinéa de ce même article : " Le président de l'établissement public de coopération intercommunale peut, par délégation de son organe délibérant, être chargé d'exercer, au nom de l'établissement, les droits de préemption (...) dont celui-ci est titulaire ou délégataire en application du code de l'urbanisme. Il peut également déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien, dans les conditions que fixe l'organe délibérant de l'établissement. (...) " L'article L. 5211-10 du même code prévoit que le président, les vice-présidents ayant reçu délégation ou le bureau dans son ensemble peuvent recevoir délégation d'une partie des attributions de l'organe délibérant, à l'exception d'un certain nombre de matières énumérées par cet article, parmi lesquelles ne figurent pas le droit de préemption. Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 2122-23 du même code, rendues applicables aux établissements publics de coopération intercommunale par l'article L. 5211-2 de ce code, que, sauf disposition contraire dans la délibération de l'organe délibérant portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un vice-président agissant par délégation du maire dans les conditions fixées à l'article L. 5211-9.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, d'une part, que, par une délibération du 21 juillet 2020, le conseil de la métropole européenne de Lille a délégué à son président l'exercice du droit de préemption ainsi que le pouvoir de déléguer l'exercice de ce droit à l'occasion de l'aliénation d'un bien au profit des organismes d'habitation à loyer modéré mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation. D'autre part, par une décision du 4 novembre 2020, le président de la métropole européenne de Lille a donné délégation à M. Geenens, vice-président de la métropole européenne de Lille, pour signer les décisions relatives à l'exercice du droit de préemption et à la délégation de l'exercice de ce droit à l'occasion de l'aliénation d'un bien au profit des organismes d'habitation à loyer modéré mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation. Enfin, par une décision du 10 novembre 2020, M. B... a, pour le président de la métropole européenne de Lille, délégué à la société Vilogia l'exercice du droit de préemption pour l'acquisition du bien situé 216, rue Pierre-Legrand, à Lille. La société Vilogia a ensuite exercé le droit de préemption sur la parcelle par une décision du président de son directoire du 12 novembre 2020.
7. Il résulte des dispositions citées au point 5 qu'en jugeant qu'était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption du 12 novembre 2020 le moyen tiré de ce que le vice-président délégué à l'action foncière n'était pas compétent pour signer la décision du 10 novembre 2020 déléguant l'exercice du droit de préemption de la métropole européenne de Lille à la société Vilogia pour l'acquisition du bien situé 216, rue Pierre-Legrand à Lille, au motif que la délégation de signature dont ce vice-président disposait de la part du président de la métropole ne lui aurait permis que d'exercer le droit de préemption urbain et non de le déléguer à l'occasion de l'aliénation d'un bien, ce que seul le président de la métropole aurait pu faire compte tenu de la délégation de pouvoir qui lui avait été consentie par l'organe délibérant de la métropole, le juge des référés a commis une erreur de droit.
8. En deuxième lieu, toutefois, le quatrième alinéa de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme prévoit que le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé (...) à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) " L'article L. 2131-2 du même code prévoit que cette obligation de transmission vaut également pour les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 du même code. Les dispositions des articles L. 2132-1 et L. 2131-2 sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale en vertu de l'article L. 5211-3 du code général des collectivités territoriales.
9. En jugeant qu'était, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, prise par le président du directoire de la société Vilogia par délégation du conseil métropolitain en vertu des délégations successives rappelées au point 6, le moyen tiré de ce qu'en l'absence de transmission au contrôle de légalité de la décision avant l'expiration du délai prévu à l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme mentionné ci-dessus, le titulaire du droit de préemption ne pouvait être regardé comme l'ayant légalement exercé pour le bien, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit.
10. En troisième lieu, en outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif s'est fondé tant sur l'intérêt général s'attachant à la réalisation rapide du projet porté par la société Vilogia que sur l'urgence au regard de sa situation professionnelle dont se prévalait M. A..., qui faisait également valoir que son projet ne modifierait pas les locaux du bien en litige, de sorte que la réalisation future du projet ne serait pas rendue plus onéreuse. En se fondant sur ces circonstances pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à titre subsidiaire par la société Vilogia, tendant à ce que la portée de la suspension prononcée soit limitée afin d'empêcher le propriétaire et l'acquéreur évincé de disposer des biens et d'en user dans des conditions qui seraient de nature à faire obstacle ou à rendre plus onéreuse la réalisation du projet en vue duquel la préemption a été décidée, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit. Il n'a pas non plus dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en ne retenant pas que le projet de M. A..., lequel faisait état de l'importance de l'acquisition pour son activité de contrôle technique et apportait des précisions sur l'urgence tenant à la poursuite de son projet, serait de nature à rendre plus onéreux le projet de la société Vilogia consistant en la réalisation de deux bâtiments de logements en R+2 et R+3 sur cette parcelle.
11. Les motifs énoncés aux points 9 et 10 suffisant ainsi à justifier le dispositif de l'ordonnance attaquée, les conclusions à fin d'annulation de cette ordonnance présentées par la société Vilogia doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vilogia une somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la métropole européenne de Lille est admise.
Article 2 : Le pourvoi de la société Vilogia est rejeté.
Article 3 : La société Vilogia versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme d'habitations à loyer modéré Vilogia et à M. C... A....
Copie en sera adressée à la métropole européenne de Lille.