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10/06/2022 | FRANCE | N°452733

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 10 juin 2022, 452733


Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 86 610 euros, portée en appel à 90 809 euros, outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO. Par un jugement n° 1605076 du 20 décembre 2018, le tribunal admin

istratif de Grenoble a condamné la CCI à verser à M. D... la somme de ...

Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 86 610 euros, portée en appel à 90 809 euros, outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO. Par un jugement n° 1605076 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la CCI à verser à M. D... la somme de 5 000 euros.

Par un arrêt n° 19LY00679 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de M. D... et appel incident de la CCI, annulé ce jugement en ce qu'il a condamné la CCI à lui verser la somme de 5 000 euros et, statuant par la voie de l'évocation, condamné la CCI à lui verser cette même somme.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mai et 19 août 2021 et le 11 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. A... C... de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. D... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D..., recruté par contrat, le 1er septembre 1995, par la CCI de Grenoble pour exercer des fonctions d'enseignant à temps partiel, a été titularisé à compter du 1er mars 2006 et exerce les mêmes fonctions à temps plein depuis 2009. Son employeur ne s'étant pas acquitté de la part patronale et n'ayant pas non plus collecté la part salariale de la cotisation afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire à laquelle étaient affiliés jusqu'en 2015 les personnels d'encadrement et d'enseignement statutaires des chambres de commerce, M. D... a présenté en mai 2016 une demande d'indemnisation de la perte des points de retraite complémentaire et de la minoration de sa future pension de retraite complémentaire. Le 7 juillet 2016, le président de la CCI a rejeté sa demande au motif que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'ARRCO, gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance née antérieurement à 2011. Par un arrêt du 8 mars 2021 la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice moral par la voie de l'évocation après avoir annulé le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble, a condamné la CCI à verser à M. D... une somme de 5 000 euros au seul titre du préjudice moral et, statuant par la voie de l'effet dévolutif, a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Au regard de ses écritures, M. D... doit être regardé comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral.

2. En premier lieu si, pour être indemnisable, le préjudice résultant d'un montant de pension de retraite future minorée du fait de l'absence fautive de versement par l'employeur de cotisations patronales et salariales du régime de retraite complémentaire ne peut être pris en compte qu'à la condition, en principe, que cet agent ait présenté, dans le respect de la réglementation et des délais qu'elle impose, une demande tendant à être admis à faire valoir ses droits à la retraite et précisant la date d'effet de celle-ci, il peut en aller autrement dans le cas où, même s'il n'a pas encore présenté sa demande, l'agent fait état de circonstances particulières permettant de regarder le préjudice dont il se prévaut comme suffisamment certain. Par suite, en jugeant que le régime d'assurance vieillesse reposant sur l'aléa d'un départ à la retraite et que M. D... n'ayant pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite, le préjudice qui résulte de la minoration de la pension complémentaire qui lui serait servie présentait un caractère éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation, sans rechercher si des circonstances particulières, telle que l'âge de l'agent, permettaient de regarder le préjudice invoqué comme suffisamment certain, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.

3. En second lieu, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court [ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni] contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". En jugeant que, dès lors qu'avaient été publiés les textes règlementaires obligeant son employeur, ainsi qu'il l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, il appartenait à M. D..., s'il s'y croyait fondé, d'en demander le bénéfice au titre des services d'enseignant titulaire qu'il avait accomplis du 1er mars 2006 au 31 décembre 2010, sans rechercher s'il ne pouvait pas être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968, la cour administrative de Lyon a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de Grenoble la somme de 3 000 euros à verser à M. D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D... tendant à l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : La chambre de commerce et d'industrie de Grenoble versera à M. D... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... D... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.

Copie en sera adressée à la ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 10 juin 2022.

Le président :

Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :

Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

La secrétaire :

Signé : Mme Corinne Sak


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 452733
Date de la décision : 10/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2022, n° 452733
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Gueudar Delahaye
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:452733.20220610
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