Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... K..., M. M... P..., M. E... I..., M. Q... O..., M. R..., M. C... L..., Mme J... G..., M. H... N..., Mme D... B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° 6248/SG du Premier ministre en date du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'elle ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire français pour les conjoints et enfants à charge des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins exerçant en France ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des conjoints et enfants à charge des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule,
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme F... de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme K... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. ". Aux termes de l'article L. 3131-13 du même code : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé (...). " Aux termes de l'article L. 3131-15, dans sa version issue de la loi du 9 juillet 2020 : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) 3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ; 4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;(...) . / II.- Les mesures prévues aux 3° et 4° du I du présent article ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire hexagonal, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. La liste des zones de circulation de l'infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. (...) /; III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires.".
2. La situation épidémiologique au cours des mois de septembre et d'octobre 2020 caractérisée par une accélération du rythme de l'épidémie de COVID-19, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement de l'article L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire et le ministre chargé de la santé a pris, le 10 juillet 2020, en application de ces dispositions, un arrêté identifiant les zones de circulation de l'infection du virus SARS-CoV-2. L'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus, puis jusqu'au 1er juin 2021 inclus, respectivement par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.
3. Aux termes de l'article 56-5 du décret du 29 octobre 2020, dans sa version en vigueur à la date de l'instruction litigieuse : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : /1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Australie, la Corée du Sud, l'Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, Saint-Marin, le Saint-Siège, Singapour ou la Suisse ;(...) "
4. Sur le fondement de ces dispositions, l'instruction du 22 février 2021 fixe les catégories de personnes qui peuvent être admises à entrer en France depuis un pays extérieur à l'espace européen, parmi lesquelles figurent celle de " Professionnel de santé ou de recherche étranger concourant à la lutte contre le covid-19 ou recruté en qualité de stagiaire associé ", celle de " ressortissant de pays tiers disposant d'un visa de long séjour (VLS) " passeport Talent" " et celle d'" étudiant s'installant en France pour le second semestre universitaire dans le cadre d'un programme d'un établissement d'enseignement supérieur ; chercheur s'installant en France à l'invitation d'un laboratoire de recherche pour des activités de recherche nécessitant impérativement une présence physique ".
5. L'accord bilatéral franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, qui régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, prévoit au c) de son article 7 que les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation reçoivent, s'ils justifient l'avoir obtenue, un certificat de résidence valable un an renouvelable et portant la mention de cette activité.
6. En premier lieu, contrairement à l'instruction du 25 janvier 2021 qu'elle remplace, l'instruction du 22 février 2021 ne permet plus au conjoint et aux enfants mineurs d'un ressortissant étranger titulaires d'un visa de long séjour " passeport talent " d'entrer en France de plein droit depuis un pays extérieur à l'espace européen. En outre, aucune des autres catégories de personnes mentionnées au point 4 de la présente décision ne bénéficie d'une dérogation permettant l'entrée des membres de leur famille sur le territoire métropolitain. La circonstance qu'en pratique, les services consulaires auraient délivré des visas permettant la venue en France de membres de la famille de certaines catégories de personnes énumérées au point 2.1.2 de l'instruction est sans incidence sur la légalité de cette dernière. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée instituerait à cet égard une différence de traitement au détriment des ressortissants algériens, en méconnaissance du principe d'égalité, ne peut qu'être écarté.
7. En second lieu, la situation sanitaire qui prévalait à la date d'adoption de l'instruction attaquée, marquée par le maintien d'une forte tension sur le système hospitalier et l'apparition de nouveaux variants plus contagieux du virus dans différentes zones géographiques, était de nature à justifier le maintien des restrictions d'entrée sur le territoire français. Les requérants soutiennent que cette instruction porte une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, en ce qu'elle ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire français pour les conjoints et enfants à charge des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence " salarié " exerçant comme médecins en France. Toutefois, le point 2.1.2 de l'instruction du 22 février 2021 permet à ces ressortissants de faire venir en France leur conjoint et leurs enfants mineurs dans le cadre de la procédure de regroupement familial organisé par l'article 4 de l'accord franco-algérien. Le droit au respect de la vie privée et familiale n'impose pas que les salariés étrangers, y compris les médecins participant à la lutte contre l'épidémie de SARS-CoV-2 en France, bénéficient d'une procédure dérogatoire permettant aux membres de leur famille A... les rejoindre sans satisfaire aux conditions du regroupement familial, notamment au regard de la durée du séjour du regroupant. Dans ces conditions, et alors que le même point 2.1.2 de l'instruction prévoit par ailleurs la possibilité, pour les personnes qui n'entrent pas dans la liste des catégories autorisées de plein droit à entrer sur le territoire métropolitain, de bénéficier d'un laissez-passer afin de venir en France s'ils justifient d'un motif impérieux, notamment d'ordre familial, le moyen tiré de ce que cette instruction, en tant qu'elle ne permet pas aux membres de la famille des ressortissants algériens titulaires du certificat de résidence prévu au c) de l'article 7 de l'accord franco-algérien de 1968 et exerçant des fonctions de médecin en France, d'entrer sur le territoire métropolitain depuis un pays extérieur à l'espace européen, méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée et familiale doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme K... et autres doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme K... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D... K..., première requérante dénommée et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 25 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Dominique Agniau-Canel
La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane