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25/04/2022 | FRANCE | N°443709

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 25 avril 2022, 443709


Vu la procédure suivante :

M. J... G... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 97 446,93 euros en réparation des préjudices résultant du défaut de paiement de sa rémunération d'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation. Par un jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA00394 du 10 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. G..., annulé ce jugement et condamné l'Etat à lui verser une somme

de 87 441,93 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 novemb...

Vu la procédure suivante :

M. J... G... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 97 446,93 euros en réparation des préjudices résultant du défaut de paiement de sa rémunération d'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation. Par un jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA00394 du 10 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. G..., annulé ce jugement et condamné l'Etat à lui verser une somme de 87 441,93 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2016, ces intérêts étant capitalisés à compter du 25 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 27 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. G... ;

3°) de mettre à la charge de M. G... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. J... G... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. G... a été désigné par deux décisions de l'Autorité de contrôle prudentiel des 7 et 23 février 2012, confirmées le 19 avril suivant, en qualité d'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation, sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier. Ces décisions prévoyaient que M. G... percevrait une rémunération mensuelle de 8 000 euros hors taxes et que ses dépenses de déplacement seraient remboursées sur présentation de justificatifs. L'Autorité de contrôle prudentiel a mis fin aux mandats ainsi confiés à M. G... par deux décisions du 25 juillet 2012, après qu'une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte le 31 mai 2012 à l'égard des deux sociétés. Par un courrier du 24 novembre 2016, M. G... a demandé en vain à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) l'indemnisation des préjudices qu'il subissait du fait du non-paiement de sa rémunération. Cette demande ayant été rejetée le 30 décembre 2016, M. G... a saisi le tribunal administratif de Paris d'un recours indemnitaire rejeté par un jugement du 22 novembre 2018. L'ACPR se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 juillet 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et condamné l'Etat à verser à M. G... une somme de 87 441,93 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2016 et de la capitalisation de ces intérêts.

2. Aux termes de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - L'Autorité de contrôle prudentiel peut désigner un administrateur provisoire auprès d'une personne qu'elle contrôle, auquel sont transférés tous les pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne morale. L'administrateur provisoire dispose des biens meubles et immeubles de celles-ci dans l'intérêt d'une bonne administration. / Cette désignation est faite soit à la demande des dirigeants lorsqu'ils estiment ne plus être en mesure d'exercer normalement leurs fonctions, soit à l'initiative de l'Autorité de contrôle prudentiel lorsque la gestion de la personne contrôlée ne peut plus être assurée dans des conditions normales ou en cas de suspension de l'un ou de plusieurs de ses dirigeants. / (...) / II. - Lorsque la situation laisse craindre à terme une incapacité d'un établissement ou d'une entreprise relevant du fonds de garantie des dépôts à assurer la rémunération de l'administrateur provisoire, le fonds de garantie des dépôts peut, sur proposition de l'Autorité de contrôle prudentiel, décider d'en garantir le paiement au prorata éventuellement des différents mécanismes mis en œuvre. ". Aux termes de l'article R. 612-33 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les décisions de nomination d'un administrateur provisoire prises en application de l'article L. 612-34 précisent la durée prévisible de la mission confiée ainsi que les conditions de la rémunération mensuelle, qui tiennent compte notamment de la nature et de l'importance de la mission ainsi que de la situation de l'administrateur désigné ".

3. Ces dispositions confèrent à l'ACPR le seul pouvoir de désigner des administrateurs provisoires, lesquels sont investis des pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne auprès de laquelle ils sont placés, en précisant la durée prévisible de leur mission et les conditions de leur rémunération. Après cette désignation par l'ACPR, les administrateurs provisoires agissent au nom et pour le compte de la personne morale qu'ils sont chargés d'administrer et qui les rémunère. Ils n'exercent leurs attributions ni pour le compte, ni sous l'autorité de l'ACPR qui, à leur égard, ne dispose, en application des dispositions du code monétaire et financier, que des pouvoirs qui sont les siens vis-à-vis de l'ensemble des personnes entrant dans le champ de sa mission de contrôle. Lorsque la rémunération de l'administrateur provisoire ne peut être assurée par l'établissement ou l'entreprise qu'il est chargé d'administrer, le II de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier ouvre de manière limitative, au fonds de garantie des dépôts, la faculté de prendre en charge tout ou partie de cette rémunération.

4. Pour condamner l'Etat à verser à M. G... une indemnité d'un montant de 87 441,93 euros en réparation des préjudices que l'intéressé a subis du fait du non-paiement de la rémunération fixée en contrepartie de sa mission d'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation, la cour administrative d'appel de Paris a reconnu à M. G... la qualité de collaborateur occasionnel du service public et a jugé, dans l'hypothèse où la personne administrée est dans l'impossibilité de verser à l'administrateur provisoire la rémunération fixée par la décision de l'ACPR, que cet administrateur qui, malgré ses diligences, n'a pu obtenir le paiement de cette rémunération, subit, pour avoir participé à la mission qui lui a été confiée, un préjudice que l'Etat, responsable de cette mission, doit supporter à titre subsidiaire en se substituant au débiteur de cette rémunération, qu'il soit insolvable ou qu'il fasse obstacle à son versement, sans que puisse faire obstacle à cette obligation le fait d'un tiers.

5. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier telles qu'interprétées au point 3 ci-dessus, qu'un administrateur provisoire désigné par l'ACPR, qui n'agit ni pour son compte ni sous son autorité, n'a pas la qualité de collaborateur du service public dont elle a la charge et ne saurait exiger de l'Etat l'indemnisation des préjudices qu'il subit en cas de non-versement de ses honoraires, ni que l'Etat se substitue à la personne administrée impécunieuse, la cour a commis une erreur de droit. L'arrêt attaqué doit, par suite, être annulé.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ACPR au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 10 juillet 2020 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et à M. J... G....

Délibéré à l'issue de la séance du 6 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... F..., M. Bertrand Dacosta, présidents de chambre ; Mme A... M..., M. D... E..., Mme I... B..., M. L... C..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 25 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme K... N...


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 443709
Date de la décision : 25/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - ADMINISTRATEUR PROVISOIRE NOMMÉ PAR L’ACPR – COLLABORATEUR OCCASIONNEL DU SERVICE PUBLIC – ABSENCE.

13-027 Les articles L. 612-34 et R. 612-33 du code monétaire et financier (CMF) confèrent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) le seul pouvoir de désigner des administrateurs provisoires, en précisant la durée prévisible de sa mission et les conditions de sa rémunération, lesquels sont investis des pouvoirs d’administration, de direction et de représentation de la personne auprès de laquelle ils sont placés. Après cette désignation par l’ACPR, les administrateurs provisoires agissent au nom et pour le compte de la personne morale qu’ils sont chargés d’administrer et qui les rémunère. Ils n’exercent leurs attributions ni pour le compte, ni sous l’autorité de l’ACPR qui, à leur égard, ne dispose, en application du CMF, que des pouvoirs qui sont les siens vis-à-vis de l’ensemble des personnes entrant dans le champ de sa mission de contrôle. Lorsque la rémunération de l’administrateur provisoire ne peut être assurée par l’établissement ou l’entreprise qu’il est chargé d’administrer, le II de l’article L. 612-34 du CMF ouvre de manière limitative, au fonds de garantie des dépôts, la faculté de prendre en charge tout ou partie de cette rémunération....Il en résulte qu’un administrateur provisoire désigné par l’ACPR, qui n’agit ni pour son compte ni sous son autorité, n’a pas la qualité de collaborateur du service public dont elle a la charge et ne saurait exiger de l’Etat l’indemnisation des préjudices qu’il subit en cas de non-versement de ses honoraires, ni que l’Etat se substitue à la personne administrée impécunieuse.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE - RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR LE RISQUE CRÉÉ PAR CERTAINES ACTIVITÉS DE PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR L'OBLIGATION DE GARANTIR LES COLLABORATEURS DES SERVICES PUBLICS CONTRE LES RISQUES QUE LEUR FAIT COURIR LEUR PARTICIPATION À L'EXÉCUTION DU SERVICE - COLLABORATEUR OCCASIONNEL DU SERVICE PUBLIC – EXCLUSION – ADMINISTRATEUR PROVISOIRE NOMMÉ PAR L’ACPR.

60-01-02-01-02-02 Les articles L. 612-34 et R. 612-33 du code monétaire et financier (CMF) confèrent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) le seul pouvoir de désigner des administrateurs provisoires, en précisant la durée prévisible de sa mission et les conditions de sa rémunération, lesquels sont investis des pouvoirs d’administration, de direction et de représentation de la personne auprès de laquelle ils sont placés. Après cette désignation par l’ACPR, les administrateurs provisoires agissent au nom et pour le compte de la personne morale qu’ils sont chargés d’administrer et qui les rémunère. Ils n’exercent leurs attributions ni pour le compte, ni sous l’autorité de l’ACPR qui, à leur égard, ne dispose, en application du CMF, que des pouvoirs qui sont les siens vis-à-vis de l’ensemble des personnes entrant dans le champ de sa mission de contrôle. Lorsque la rémunération de l’administrateur provisoire ne peut être assurée par l’établissement ou l’entreprise qu’il est chargé d’administrer, le II de l’article L. 612-34 du CMF ouvre de manière limitative, au fonds de garantie des dépôts, la faculté de prendre en charge tout ou partie de cette rémunération....Il en résulte qu’un administrateur provisoire désigné par l’ACPR, qui n’agit ni pour son compte ni sous son autorité, n’a pas la qualité de collaborateur du service public dont elle a la charge et ne saurait exiger de l’Etat l’indemnisation des préjudices qu’il subit en cas de non-versement de ses honoraires, ni que l’Etat se substitue à la personne administrée impécunieuse.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 avr. 2022, n° 443709
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:443709.20220425
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