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14/04/2022 | FRANCE | N°438429

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 14 avril 2022, 438429


Vu la procédure suivante :

M. A... Damerval a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération CR 13-16 du 21 janvier 2016 par laquelle le conseil régional d'Ile-de-France a approuvé son règlement intérieur. Par un jugement n° 1604310 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18PA00112 du 10 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. Damerval, annulé les dispositions de l'article 24 du règlement intérieur du conseil régional selon lesquelles " Quand le temps de p

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Vu la procédure suivante :

M. A... Damerval a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération CR 13-16 du 21 janvier 2016 par laquelle le conseil régional d'Ile-de-France a approuvé son règlement intérieur. Par un jugement n° 1604310 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18PA00112 du 10 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. Damerval, annulé les dispositions de l'article 24 du règlement intérieur du conseil régional selon lesquelles " Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ", réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu'il avait de contraire à sa propre décision et rejeté le surplus des conclusions de M. Damerval.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 février, 21 août 2020 et 11 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il a fait droit aux conclusions de M. Damerval ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. Damerval ;

3°) de mettre à la charge de M. Damerval la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la région Ile-de-france et à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. Damerval ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2022, présentée par M. Damerval ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une délibération du 21 janvier 2016, le conseil régional d'Ile-de-France a adopté, en application de l'article L. 4132-6 du code général des collectivités territoriales, son règlement intérieur. Par un jugement du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. Damerval, conseiller régional, tendant à l'annulation de cette délibération. La région Ile-de-France se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de l'arrêt du 10 décembre 2019 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. Damerval, annulé les dispositions de l'article 24 du règlement intérieur du conseil régional, relatif aux amendements, selon lesquelles " Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ", et réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu'il avait de contraire à sa propre décision.

2. D'une part, en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales " s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences " dans les conditions définies par la loi. Aux termes de l'article L. 4132-6 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil régional établit son règlement intérieur dans les trois mois qui suivent son renouvellement. (...) Le règlement intérieur détermine les droits des groupes d'élus régulièrement constitués et les droits spécifiques des groupes minoritaires ou s'étant déclaré d'opposition. " Ni cette disposition ni aucune autre disposition législative du code général des collectivités territoriales ou d'un autre texte ni aucun principe ne consacre un droit d'amendement des élus locaux.

3. D'autre part, en vertu de l'article 12 du règlement intérieur du conseil régional d'Ile-de-France, tel qu'approuvé par la délibération litigieuse, relatif aux missions de la conférence des présidents, cette conférence " se prononce notamment sur la répartition des temps de parole entre les groupes et l'exécutif, l'ordre de passage des groupes dans la discussion générale des rapports, la présentation des questions orales et les délais relatifs au dépôt des amendements et motions. Elle se prononce le cas échéant, sur la proposition du (de la) président(e) du conseil régional, motivée par des circonstances exceptionnelles ou la présentation du budget, sur la décision de ne pas tenir de questions orales. Les temps de parole arrêtés intègrent l'ensemble des interventions des groupes sur un même rapport ou débat, lesquelles sont librement gérées par leurs soins. La moitié du temps de parole total des groupes est attribuée aux groupes de l'opposition. (...) ". Aux termes du 1) de l'article 23 de ce même règlement, relatif aux modalités d'adoption des délibérations : " (...) Chaque groupe peut, avant le vote sur l'ensemble du texte, procéder à une explication de vote pour un temps n'excédant pas 3 minutes, hors temps de parole du rapport ". L'article 24 de ce même règlement, relatif aux amendements, reconnaît à tout conseiller régional " le droit de présenter des amendements aux textes soumis au vote du conseil régional et de la commission permanente (...) ". Le 2) de ce même article, relatif à la présentation des amendements, dispose que " Les amendements sont rédigés par écrit et motivés. Ils précisent le texte auquel ils se rapportent. Ils entretiennent un rapport direct avec l'objet de ce texte. (...) ". Le 3) du même article, relatif à la discussion des amendements, énonce que " Le (la) président(e) fait remettre aux membres du conseil régional le texte des amendements avant le début de la séance. La présentation d'un amendement ne peut excéder 3 minutes. Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que la région Ile-de-France a décidé dans son règlement intérieur, comme il lui était loisible de le faire, de reconnaître à tout conseiller régional le droit de présenter des amendements aux textes soumis au vote du conseil régional et de la commission permanente. Ce même règlement intérieur a en même temps encadré l'exercice du droit d'amendement, en prévoyant qu'un temps de parole global incluant l'ensemble des interventions des groupes, amendements compris, est attribué à chaque groupe pour chaque rapport ou débat, et que quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu. Le règlement intérieur ne fixe en revanche pas de limitation au droit d'amendement, prévoit que les amendements, rédigés par écrit et motivés, sont transmis à l'ensemble des conseillers régionaux avant la séance et mis aux voix avant le vote du texte auquel ils se rapportent, et donne à chaque groupe la possibilité de procéder à une explication de vote sur l'ensemble du texte pendant trois minutes, même lorsque son temps de parole global est épuisé. De telles dispositions se sont bornées à organiser, sans le dénaturer, le droit d'amendement que le règlement intérieur reconnaît aux conseillers régionaux. Il s'ensuit qu'en jugeant que la disposition de l'article 24 du règlement intérieur prévoyant que quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu, portait une atteinte excessive au droit de présenter des amendements, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la région est fondée à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les dispositions de l'article 24 du règlement intérieur ne portent pas une atteinte excessive au droit d'amendement des conseillers régionaux tel qu'organisé par le règlement intérieur. Par suite M. Damerval n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces dispositions.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la région Ile-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. Damerval la somme demandée à ce même titre par la région.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 10 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il annule l'article 24 du règlement intérieur du conseil régional d'Ile-de-France.

Article 2 : Les conclusions d'appel de M. Damerval tendant à l'annulation de l'article 24 du règlement intérieur du conseil régional d'Ile-de-France sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la région Ile-de-France et par M. Damerval au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Ile-de-France et à M. A... Damerval.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 14 avr. 2022, n° 438429
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Martin Guesdon
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Date de la décision : 14/04/2022
Date de l'import : 13/05/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 438429
Numéro NOR : CETATEXT000045588632 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-04-14;438429 ?
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