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07/04/2022 | FRANCE | N°448296

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 07 avril 2022, 448296


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448296, par une requête, enregistrée le 31 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et le Syndicat des avocats de France (SAF) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3 et 4 du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du cod

e de justice administrative.

2° Sous le n° 448305, par une requête sommaire, un mémo...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448296, par une requête, enregistrée le 31 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et le Syndicat des avocats de France (SAF) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3 et 4 du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 448305, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 décembre 2020, le 31 mars 2021 et le 6 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et l'association Infomie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 454144, par une requête, enregistrée le 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Conseil national des barreaux (CNB) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 455519, par une requête, enregistrée le 12 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et l'association Infomie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers ;

- la convention de Bâle du 3 septembre 1985 relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative aux réfugiés ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) 2016/1191 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2019 ;

- le code civil ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 ;

- le décret n° 2018-689 du 1er août 2018 ;

- la décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers, l'association Infomie, le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le Syndicat des avocats de France et le Conseil national des barreaux ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 448296 et 448305 tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du même décret. Les requêtes nos 454144 et 455519 tendent à l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a refusé d'abroger ce même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. / Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ". Le décret attaqué du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère a été pris en application de ces dispositions.

Sur l'intervention au soutien de la requête n° 448296 :

3. Le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt à l'annulation des dispositions du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère. Ainsi son intervention est recevable.

Sur le moyen tiré de la contrariété à la Constitution des dispositions législatives servant de base légale au décret attaqué :

4. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 62 de la Constitution : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. / Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ".

5. Par une décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022, le Conseil constitutionnel, après avoir relevé que la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été transmise portait sur les premier et troisième alinéas du paragraphe II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019, a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution. Le dispositif de cette décision énonce que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet le 31 décembre 2022 dans les conditions fixées aux paragraphe 14 et 15. Aux termes du paragraphe 15 : " en l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2022 la date de leur abrogation ".

6. Alors même que, selon les motifs de la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité, l'absence de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par les premier et troisième alinéas du paragraphe II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 avant son abrogation doit, eu égard, d'une part, à la circonstance que la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée à l'occasion de recours pour excès de pouvoir dirigés contre un acte réglementaire, d'autre part, à la circonstance que le Conseil constitutionnel a décidé de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision, être regardée comme indiquant que le Conseil constitutionnel n'a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation. Par suite, et alors même que les requérants sont les auteurs de la question prioritaire de constitutionnalité, la déclaration d'inconstitutionnalité des premier et troisième alinéas du paragraphe II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 est sans incidence sur l'issue du présent litige dirigé contre le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère. Par suite, le moyen tiré de ce que les premier et troisième alinéas du paragraphe II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019, dont il n'y a pas lieu, pour les raisons indiquées ci-dessus, d'écarter l'application dans le présent litige, méconnaîtraient des exigences constitutionnelles ne peut qu'être écarté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. Pour les mêmes motifs que ceux relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 février 2022, tirés de l'absence de voie de recours contre une décision de refus de légalisation d'un acte de l'état civil, les requérants sont fondés à soutenir que le régime de légalisation institué par la loi du 23 mars 2019 et le décret du 10 novembre 2020 pris pour son application porte une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit à un procès équitable garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, les requérants sont fondés à demander l'annulation du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ainsi que des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a refusé d'abroger ce décret.

9. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

10. En l'espèce, compte tenu des effets excessifs d'une annulation immédiate au regard de l'intérêt général qui s'attache à l'existence d'une procédure de légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère et des risques que comporterait celle-ci pour la stabilité des situations qui ont pu se constituer lorsque le décret était en vigueur, ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 février 2022 par laquelle il a déclaré les premier et troisième alinéa du paragraphe II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 contraires à la Constitution, il y a lieu de différer l'effet de l'annulation jusqu'au 31 décembre 2022 et de préciser que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets du décret litigieux doivent être regardés comme définitifs.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère ainsi que les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a rejeté les demandes tendant à son abrogation sont annulés. Cette annulation prendra effet le 31 décembre 2022.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets antérieurs à cette annulation du décret du 10 novembre 2020 doivent être réputés définitifs.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des immigrés, au Syndicat des avocats de France, au Conseil national des barreaux, à l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers, à l'association Infomie, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre des outre-mer.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mars 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. B... H... et M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. L... E..., Mme G... K..., M. F... I..., M. A... J..., Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 7 avril 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme D... C...


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448296
Date de la décision : 07/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 avr. 2022, n° 448296
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448296.20220407
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