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14/03/2022 | FRANCE | N°441041

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 14 mars 2022, 441041


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 juin et 26 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de l'instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP), dans sa version mise à jour en août 2019, en tant qu'il prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité,

y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 juin et 26 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de l'instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP), dans sa version mise à jour en août 2019, en tant qu'il prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- l'arrêt n° C-569/16 et C-570/16 du 6 novembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt n° C-619/16 du 6 novembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alban de Nervaux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le paragraphe 3 " report automatique de congés d'une année sur l'autre " de la section 3 " la consommation des jours de congés annuel et d'ARTT " du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I " les titulaires " de l'instruction générale relative à l'organisation du temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP), dans sa version mise à jour en août 2019, prévoit que, à l'exception des cas de report de congés annuels du fait de la maladie, les congés acquis au titre d'une année de service accompli ne peuvent pas se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service, et qu'" un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Au regard de ses écritures, M. D... doit être regardé comme demandant l'annulation de cette instruction en tant que cette disposition s'applique également à des fonctionnaires qui cessent définitivement leur activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

2. Aux termes de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".

3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

4. Il ressort des termes mêmes du paragraphe 3 " report automatique de congés d'une année sur l'autre " de la section 3 " la consommation des jours de congés annuel et d'ARTT " du chapitre 1 de la deuxième partie du titre I " les titulaires " de l'instruction générale relative à l'organisation du temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) qu'il reprend en substance les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat. En outre, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, au 5 juin 2020, date d'introduction de sa requête tendant à l'annulation de ces dispositions de l'instruction générale relative à l'organisation du temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP), M. D..., inspecteur divisionnaire des finances publiques en activité, entrait dans le champ d'application de cette instruction, et que, d'autre part, sa requête comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde pour en demander l'annulation. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance et tirées de ce que l'instruction ne fait pas grief au requérant, de ce que celui-ci ne justifie pas d'un intérêt à agir et que sa requête ne contient pas d'exposé des éléments de fait, doivent être écartées.

5. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". En application de la partie B de l'annexe I de cette directive, le délai de transposition de l'article 7 était fixé au 23 mars 2005.

6. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 6 novembre 2018 " Stadt Wuppertal " et " Volker Willmeroth " (C-569/16 et C-570/16), lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n'est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, qui n'est soumise à aucune autre condition que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin, et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin. Ce droit est conféré directement par cette directive et ne saurait dépendre de conditions autres que celles qui y sont explicitement prévues. Les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE remplissent ainsi les conditions requises pour produire un effet direct. En outre, dans son arrêt rendu le 6 novembre 2018 " Kreuziger " (C-619/16), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE s'oppose à des législations ou réglementations nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n'est versée au travailleur qui n'a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail. Par suite, les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont incompatibles dans cette mesure avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

7. Par suite, M. D... est fondé à soutenir qu'est entaché d'illégalité le paragraphe 3 " report automatique de congés d'une année sur l'autre " de la section 3 " la consommation des jours de congés annuel et d'ARTT " du chapitre 1 de la deuxième partie du titre I de l'instruction générale relative à l'organisation du temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) en tant qu'il reprend les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, et à en demander l'annulation en tant que ces dispositions s'appliquent à des fonctionnaires qui cessent définitivement leur activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. D... demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la deuxième partie du titre I de l'instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP) en tant qu'elle prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour les fonctionnaires qui cessent définitivement leur activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2022 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Carine Soulay, conseillère d'Etat et M. Alban de Nervaux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 mars 2022.

La présidente :

Signé : Mme Maud Vialettes

Le rapporteur :

Signé : M. Alban de Nervaux

La secrétaire :

Signé : Mme C... B...


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 441041
Date de la décision : 14/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 mar. 2022, n° 441041
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alban de Nervaux
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:441041.20220314
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