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23/02/2022 | FRANCE | N°447408

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 février 2022, 447408


Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 17 mai 2013 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant-droit de M. B... C..., tendant au bénéfice de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par un jugement n° 1204541 du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 17 mai 2013 du ministre de la défense et des anciens combattants et a e

njoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CI...

Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 17 mai 2013 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant-droit de M. B... C..., tendant au bénéfice de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par un jugement n° 1204541 du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 17 mai 2013 du ministre de la défense et des anciens combattants et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de présenter à M. D... C... une proposition d'indemnisation, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt n° 16MA03129 du 15 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la ministre des armées contre ce jugement.

1° Sous le n° 447408, par un pourvoi, enregistré le 9 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CIVEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. C....

2° Sous le n° 447789, par un pourvoi, enregistré le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. C... ;

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois du CIVEN et de la ministre des armées sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C..., militaire du contingent, a exercé des fonctions de moniteur de sports nautiques au centre d'expérimentation du Pacifique à Fangataufa, en Polynésie française, du 22 mai 1975 au 19 juillet 1976. Durant cette période, quatre essais nucléaires souterrains ont été réalisés à Fangataufa et Mururoa. M. C... a contracté une leucémie myéloblastique, diagnostiquée en 1995, qui a entraîné son décès en 1996 à l'âge de 39 ans. Le 4 juillet 2011, M. D... C... a adressé au ministre de la défense, une demande d'indemnisation des préjudices subis par son père décédé, en sa qualité d'ayant-droit, sur le fondement des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une décision du 17 mai 2013, le ministre a rejeté sa demande. Par un jugement du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision et a enjoint au CIVEN de présenter à M. D... C... une proposition d'indemnisation, dans un délai de trois mois à compter de la notification dit jugement. Le [président du] CIVEN et la ministre des armées se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 15 octobre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la ministre des armées contre ce jugement.

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) ".

4. En vertu du V du même article 4, dans sa rédaction résultant des dispositions du I l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dont les dispositions sont applicables aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, soit le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française : " V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité (...) ".

5. Aux termes du premier alinéa du V du même article, dans sa rédaction issue du 2° du I de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". En modifiant les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 issues de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 élargit la possibilité, pour l'administration, de combattre la présomption de causalité dont bénéficient les personnes qui demandent une indemnisation lorsque les conditions de celle-ci sont réunies. Il doit être regardé, en l'absence de dispositions transitoires, comme ne s'appliquant qu'aux demandes qui ont été déposées après son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de la publication de la loi du 28 décembre 2018 au Journal officiel de la République française.

6. Aux termes du I de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 ".

7. Enfin, aux termes de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ".

8. Par une décision n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré les dispositions de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020, mentionnées au point 7, non-conformes à la Constitution.

9. Il suit de là qu'en fondant son arrêt sur ces dispositions, la cour administrative d'appel de Marseille a méconnu le champ d'application de la loi. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens des pourvois, l'arrêt attaqué doit être annulé. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la ministre, la circonstance que le tribunal ait prononcé l'annulation de la décision du ministre de la défense ayant rejeté la demande d'indemnisation de M. C... avant de statuer sur celle-ci ne signifie pas qu'il se serait, à tort, considéré saisi d'un recours pour excès de pouvoir.

11. En second lieu, il résulte des dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 4, qu'en supprimant les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

12. Il résulte de l'instruction que M. B... C... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

13. Il résulte de l'instruction que deux essais nucléaires souterrains ont été réalisés les 5 juin et 26 novembre 1975 sur l'atoll de Fangataufa et deux autres sur celui de Mururoa, distant de 45 kilomètres de Fangataufa, les 3 avril et 11 juillet 1976. Si le CIVEN et le ministère des armées soutiennent que les essais nucléaires souterrains présentent des risques de contamination bien plus limités que les essais atmosphériques et qu'en sa qualité d'aide-moniteur de sports nautiques, M. C... n'exerçait pas de fonctions radiologiquement exposées justifiant la mise en œuvre de mesures de surveillance spécifiques, ils ne démontrent toutefois pas que la pathologie dont l'intéressé est décédé à trente-neuf ans résultait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires.

14. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Nice a annulé sa décision du 17 mai 2013 et a enjoint au CIVEN de présenter une proposition d'indemnisation à M. D... C....

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. D... C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure devant la cour administrative d'appel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 15 octobre 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : La requête d'appel de la ministre des armées est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. D... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à la ministre des armées et à M. D... C....

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 février 2022.

Le président :

Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :

Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :

Signé : Mme E... A...


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 447408
Date de la décision : 23/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2022, n° 447408
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:447408.20220223
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