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17/02/2022 | FRANCE | N°441292

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 17 février 2022, 441292


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 19 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... K..., Mme P... O..., M. L... H..., M. F... N..., M. G... I..., M. D... Q..., M. B... C... et l'Union prévention gestion des crises sanitaires (UPGCS) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 24 mai 2020, l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 26 mai 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organ

isation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire fac...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 19 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... K..., Mme P... O..., M. L... H..., M. F... N..., M. G... I..., M. D... Q..., M. B... C... et l'Union prévention gestion des crises sanitaires (UPGCS) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 24 mai 2020, l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 26 mai 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le communiqué de presse du ministre des solidarités et de la santé du 27 mai 2020, l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 18 mai 2020 relatif à l'usage des anti-infectieux dans la covid-19 et le courriel du directeur général de la santé du 9 juin 2020 relatif à l'usage des anti-infectieux dans la covid-19 ;

2°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de communiquer les enregistrements et procès-verbaux des délibérations du Haut Conseil de la santé publique relatives aux avis des 5 et 23 mars 2020 ainsi que ceux relatifs à l'avis du 24 mai 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 euro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020

- le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;

- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;

- le décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 ;

- l'arrêté du 13 décembre 2018 portant approbation du règlement intérieur du Haut Conseil de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 3131-12, inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ; / 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code. (...) ". Aux termes du III du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 de ce code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions, dans leur rédaction initiale issue de la loi du 23 mars 2020, puis dans leur rédaction citée ci-dessus issue de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui s'est bornée à en réorganiser la présentation, étaient applicables à la date d'édiction des dispositions attaquées par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 puis de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 qui ont déclaré puis prorogé l'état d'urgence sanitaire.

Sur les circonstances :

2. D'une part, le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.

3. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par un décret du 25 mars 2020, modifié par un décret du 26 mars, a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il a autorisé la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, en précisant que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. D'autre part, il a prévu, au cinquième alinéa de cet article 12-2, que : " La spécialité pharmaceutique Plaquenil, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ".

4. Ces dispositions ont été reprises à l'identique à l'article 17 du décret du 11 mai 2020, qui abroge notamment l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020, puis à l'article 19 du décret du même 11 mai 2020, qui abroge le précédent et est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel de la République française le 12 mai 2020.

5. A la suite d'un nouvel avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le covid-19 du 24 mai 2020, le Premier ministre a abrogé, par décret du 26 mai 2020, l'article 19 du décret précité et le ministre des solidarités et de la santé a, par un arrêté du même jour pris sur le fondement de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, complété l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire par un article 6-2 reprenant les dispositions du cinquième alinéa de l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020 cité au point 3. Dans un communiqué de presse du 27 mai 2020, le ministre des solidarités et de la santé a indiqué que le décret publié le même jour tirait les conclusions de l'avis du Haut Conseil de la santé publique et modifiait les conditions dérogatoires de prescription de l'hydroxychloroquine.

6. D'autre part, le Haut Conseil de la santé publique a rendu le 18 mai 2020, à la suite d'une saisine du directeur général de la santé, un avis " relatif à l'usage des anti-infectieux dans le covid-19 ", portant notamment sur l'azithromycine, antibiotique de la famille des macrolides. A la suite de cet avis, le directeur général de la santé a diffusé le 9 juin 2020, via DGS-Urgent, un courriel relayant les recommandations émises par le Haut Conseil de la santé publique, notamment s'agissant de l'azithromycine.

7. Les requérants demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les avis du Haut Conseil de la santé publique des 18 et 24 mai 2020, l'arrêté du 26 mai 2020, le communiqué de presse du 27 mai 2020 et le courriel du directeur général de la santé du 9 juin 2020.

Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation des avis du Haut conseil de la santé publique et du communiqué de presse :

8. En premier lieu, le Haut Conseil de la santé publique est une commission qui a notamment pour mission, aux termes de l'article de l'article L. 1411-4 du code de la santé publique : " (...) 2° De fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires et la Haute Autorité de santé, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ", " Il peut être consulté par les ministres intéressés (...) sur toute question relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système de santé ", et dont le secrétariat est assuré par la direction générale de la santé en vertu de l'article R. 1411-57 du même code. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 1411-55-2 du code de la santé publique : " Le ministre chargé de la santé établit chaque année (...) la liste prévisionnelle des saisines qu'il envisage d'adresser au Haut Conseil. Il peut par ailleurs, en cas d'urgence, saisir le collège ou une commission spécialisée d'une demande d'avis à rendre dans un délai déterminé ".

9. Les avis du Haut Conseil de la santé publique des 18 et 24 mai 2020 ont été émis à la demande du ministre des solidarités et de la santé, compétent en vertu de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique pour prescrire toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, afin de l'éclairer. Ces avis constituent un élément de la procédure d'élaboration des décisions qu'il appartenait à ce ministre de prendre. Le bien-fondé des positions prises par le Haut Conseil de la santé publique dans ces avis peut être seulement discuté à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces décisions. Par suite, les avis des 18 et 24 mai 2020 du Haut Conseil de la santé publique, qui ne sont pas destinés aux professionnels de santé, ne constituent pas des actes faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

10. En second lieu, par le communiqué de presse du 27 mai 2020, le ministre des solidarités et de la santé s'est borné à expliciter les conséquences juridiques qu'impliquaient l'entrée en vigueur du décret du 26 mai 2020 et de l'arrêté du même jour. Il ne révèle aucune décision et n'est pas susceptible d'avoir des effets notables distincts des effets juridiques résultant de ce décret et de cet arrêté. Par suite, il ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation des avis du Haut Conseil de la santé publique des 18 et 24 mai 2020 et du communiqué de presse du 27 mai 2020 doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur la légalité de l'arrêté et du courriel attaqués :

En ce qui concerne la légalité externe :

12. En premier lieu, une mesure se bornant à prévoir qu'une spécialité pharmaceutique ne pourra être dispensée en officine, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, que sur le fondement d'une prescription initiale émanant de certains spécialistes susceptibles de la prescrire dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin, visant ainsi à éviter une tension sur son approvisionnement pour les patients y recourant conformément à son autorisation de mise sur le marché, afin qu'ils puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, entre dans le champ de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique cité au point 2. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé qu'ils attaquent aurait été pris par une autorité incompétente. Ils ne peuvent en outre utilement soutenir que cet arrêté, pris sur le fondement de l'article L. 3131-16 du code de la santé, méconnaitraît l'article L. 3131-15 du même code.

13. En deuxième lieu, d'une part, en vertu de l'article R. 1411-46 du code de la santé publique, le Haut Conseil de la santé publique comprend un collège et des commissions spécialisées créées par arrêté du ministre chargé de la santé, des comités techniques permanents rattachés au collège ou aux commissions spécialisées pouvant en outre être créés par le ministre chargé de la santé. Les articles 16 et 17 du règlement intérieur du Haut Conseil de la santé publique, approuvé par l'arrêté du 13 décembre 2018 du ministre des solidarités et de la santé conformément à l'article R. 1411-55-1 du code de la santé publique, disposent que des groupes de travail peuvent être constitués par le président d'une commission spécialisée ou, s'ils sont transversaux, par le président du Haut Conseil, pour répondre à une question ou une thématique spécifique notamment à l'occasion d'une saisine, leur mise en place pouvant nécessiter le recours à des experts extérieurs associés, conformément à l'article 4 du règlement intérieur. Les productions des groupes dont la constitution a été décidée par le président du Haut Conseil font l'objet d'une inscription au bureau du collège et leurs avis sont soumis pour validation aux commissions spécialisées intéressées, puis au président. D'autre part, l'article R. 1411-55-2 du code de la santé publique prévoit que le ministre chargé de la santé peut, en cas d'urgence, saisir le collège ou une commission spécialisée d'une demande d'avis à rendre dans un délai déterminé. Aux termes de l'article 8 du règlement intérieur du Haut conseil de la santé publique relatif aux situations d'urgence : " (...) b) Quand l'urgence ne permet pas la réunion physique des membres du groupe mis en place pour répondre à la saisine, les travaux peuvent être conduits par audio et/ou visioconférence complétés si besoin d'échanges écrits par courrier électronique ; / c) En cas d'extrême urgence, l'avis rendu est soumis à l'approbation du président du HCSP, si un vote électronique n'a pas pu être organisé dans le délai imparti auprès des membres de la commission ; d) Tout avis rendu sans réunion physique et après consultation électronique est inscrit à l'ordre du jour de la séance plénière suivante de la CS concernée ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, en cas d'extrême urgence, les avis du Haut Conseil de la santé publique peuvent être validés par le président du Haut Conseil, y compris lorsque ces avis ont été préparés par des groupes de travail comportant des experts extérieurs.

14. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 24 mai 2020, comme d'ailleurs ceux des 5 et 23 mars 2020 et celui du 18 mai 2020, font suite à des saisines du ministre chargé de la santé adressées peu de temps auparavant et demandant à ce que ces avis soient rendus dans un délai déterminé. Ils ont été préparés par des groupes de travail transversaux constitués selon l'article 16 du règlement intérieur, composés notamment d'experts associés comme l'autorise l'article 4, et ont été soumis à l'approbation du président du Haut Conseil selon les modalités prévues à l'article 8. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Haut Conseil de la santé publique aurait été irrégulièrement consulté.

15. En troisième lieu, l'article R. 1411-53 du code de la santé publique définit les conditions dans lesquelles le collège et les commissions spécialisées du Haut Conseil de la santé publique délibèrent valablement. Si, en vertu de l'article 16 de son règlement intérieur, les travaux des groupes de travail sont conduits selon les procédures du Haut Conseil, il n'en résulte pas que leurs avis doivent, à peine de nullité, comporter une mention attestant du respect des règles en matière de vote prévues par l'article R. 1411-53.

16. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique : " L'expertise sanitaire répond aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire. ". La charte de l'expertise sanitaire, prévue par les dispositions de l'article L. 1452-2 du même code, a été approuvée par le décret du 21 mai 2013. En outre, l'article 5 du règlement intérieur du Haut Conseil de la santé publique rappelle que les membres des groupes de travail, y compris les experts associés, doivent faire, en application de dispositions de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, des déclarations publiques d'intérêts mentionnant notamment leurs liens directs ou indirects avec les entreprises, établissements ou organismes dont les activités s'inscrivent dans un domaine pouvant faire l'objet des travaux du Haut Conseil de la santé publique, ainsi qu'avec les organismes de conseil intervenant dans ces domaines et que ces déclarations d'intérêts sont publiées. Il en va de même du président du Haut Conseil qui ne peut, par ailleurs, exercer ses fonctions concernant le traitement des dossiers dans lesquels il aurait un conflit d'intérêt. Il ne résulte toutefois d'aucune de ces dispositions que les avis du Haut Conseil de la santé publique doivent, à peine de nullité, comporter une mention attestant du respect de ces règles par les personnes qui y ont pris part. Par suite, le moyen tiré de ce que le Haut Conseil de la santé publique aurait été irrégulièrement consulté, faute que ses avis fassent mention du respect de ces dispositions, doit être écarté.

17. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 3131-19 du code de la santé publique : " En cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. (...) Le comité rend périodiquement des avis sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le comité scientifique prévu à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique rend périodiquement des avis sur les mesures propres à mettre un terme à la catastrophe sanitaire, il n'a pas à être saisi pour avis préalablement à l'édiction de chacune de ces mesures. Dès lors, le moyen tiré du défaut de consultation de ce conseil scientifique doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

18. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : " En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient ". En l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil ainsi que les spécialités à base d'azithromycine ne pouvaient être prescrits pour une autre indication que celles de leur autorisation de mise sur le marché qu'à la condition qu'en l'état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.

19. D'une part, l'arrêté attaqué a été pris sur l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 24 mai 2020 qui s'appuie sur des recommandations internationales et nationales, dont celles de l'Organisation mondiale de la Santé, de l'Infectious Diseases Society of America, des agences gouvernementales de santé des Etats-Unis d'Amérique et du Royaume-Uni et du gouvernement du Canada, mais également sur les données des centres régionaux de pharmacovigilance relatives aux médicaments utilisés chez des patients pris en charge pour une infection au covid-19, sur des données de bibliographie, sur la recommandation temporaire du 23 mai 2020 du groupe exécutif de l'essai clinique Solidarity lancé par l'Organisation mondiale de la Santé et ses partenaires dans le but de trouver un traitement efficace du covid-19 et, enfin, sur les mesures prises pour l'essai Recovery au Royaume-Uni. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le Haut Conseil de la santé publique estime dans cet avis que les données alors disponibles ne sont pas favorables à l'utilisation de l'hydroxychloroquine en dehors du cadre d'essais cliniques, aux motifs qu'elles n'apportent pas la preuve d'un bénéfice de l'utilisation de cette spécialité isolément ou en association à un macrolide, comme l'azithromycine, sur l'évolution du covid-19, qu'il existe une toxicité cardiaque de l'hydroxychloroquine, particulièrement en association avec l'azithromycine, et que la balance bénéfice/risque, seule et en association à un macrolide, apparaît défavorable. Le Haut Conseil recommande dès lors, dans l'attente des données issues d'études cliniques prospectives comparatives randomisées, de ne pas utiliser l'hydroxychloroquine, isolément ou en association à un macrolide pour le traitement du covid-19 chez les patients, ambulatoires ou hospitalisés, quel que soit le niveau de gravité.

20. Si les requérants critiquent la fiabilité de l'article publié dans le journal scientifique " The Lancet " le 22 mai 2020, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cet article n'a constitué qu'un des nombreux éléments pris en compte par le Haut Conseil de la santé publique pour élaborer son avis du 24 mai 2020. Ils ne sont ainsi pas fondés à soutenir que, pour ce motif, les dispositions de l'arrêté qu'ils attaquent seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

21. D'autre part, le courriel du directeur général de la santé du 9 juin 2020 fait suite à l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 18 mai 2020. Cet avis relève qu'il n'existe pas, à la date de cet avis, d'étude randomisée publiée évaluant l'efficacité de l'azythromycine dans le traitement de la covid-19 seule ou en complément de l'hydroxychloroquine et souligne les risques d'émergence de résistance bactérienne et la question de la tolérance à long terme de cette molécule. Il recommande, plus généralement, qu'aucune antibiothérapie ne soit prescrite chez un patient présentant des symptômes rattachés à la covid-19.

22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 19 à 21 qu'à la date du 26 mai 2020, les données acquises de la science ne permettaient pas de conclure, au-delà des essais cliniques, au caractère indispensable du recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et en l'absence d'une autorisation temporaire d'utilisation, pour améliorer ou stabiliser l'état clinique des patients atteints par le covid-19. Il en est de même, à la date du 9 juin 2020, s'agissant de l'azithromycine.

23. Si le droit à la protection de la santé, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et rappelés par les articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, garantit à toute personne le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés, tel qu'appréciés par le médecin, les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ainsi réalisés ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir au patient de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'arrêté et le courriel attaqué ne peuvent être regardés comme méconnaissant le droit à la protection de la santé. Les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir qu'ils porteraient atteinte au droit à la vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

24. Il ne résulte pas des pièces du dossier que le détournement de pouvoir et le détournement de procédure allégués soient établis.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 26 mai 2020 et du courriel du directeur général de la santé du 9 juin 2020. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être, en tout état de cause, rejetées. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme K... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... K..., première requérante dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. E... M..., asseseur, présidant ; Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d'Etat et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.

Rendu le 17 février 2022.

Le président :

Signé : M. E... M...

La rapporteure :

Signé : Mme Manon Chonavel

La secrétaire :

Signé : Mme A... J...


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 441292
Date de la décision : 17/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2022, n° 441292
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Chonavel
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:441292.20220217
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