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11/02/2022 | FRANCE | N°457818

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 11 février 2022, 457818


Vu la procédure suivante :

M. D... F..., Mme C... E..., l'association Ensemble pour la Planète, Mme G... A... et Mme C... J... épouse B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la délibération n° 44/CP du 3 septembre 2021 du congrès de la Nouvelle-Calédonie instaurant une obligation vaccinale contre le virus SARS-CoV-2. Par une ordonnance nos 2100336, 2100337, 2100341, 2100343, 2100344 du 8 octobre 2021, le juge des référés a r

ejeté leurs demandes.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire compléme...

Vu la procédure suivante :

M. D... F..., Mme C... E..., l'association Ensemble pour la Planète, Mme G... A... et Mme C... J... épouse B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la délibération n° 44/CP du 3 septembre 2021 du congrès de la Nouvelle-Calédonie instaurant une obligation vaccinale contre le virus SARS-CoV-2. Par une ordonnance nos 2100336, 2100337, 2100341, 2100343, 2100344 du 8 octobre 2021, le juge des référés a rejeté leurs demandes.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 octobre et 10 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Ensemble pour la Planète, Mme J... épouse B... et M. F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de suspendre la délibération en litige ;

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de l'association Ensemble pour la Planète et autres et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du Gouvernement et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 1er de la délibération en litige prévoit que " (...) il est institué une obligation de vaccination contre le virus SARS-CoV-2. Cette obligation s'impose, sauf contre-indication médicale, à l'ensemble des personnes majeures présentes sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. (...) ". Pour certaines professions, définies à l'article 5, les articles 6, 7 et 9 prévoient respectivement que le médecin du travail ou à défaut, un médecin agréé, atteste auprès de l'employeur du statut vaccinal du salarié ou de l'agent, que l'employeur est chargé de contrôler le respect de l'obligation vaccinale et qu'il doit proposer aux personnes non vaccinées des aménagements de poste ou des options de reclassement, si elles sont possibles.

2. En premier lieu, la santé publique n'est pas au nombre des matières, limitativement énumérées, que l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie range dans le domaine des lois du pays. Le congrès pouvait ainsi instituer une vaccination obligatoire par simple délibération, sans que la circonstance qu'elle affecte les relations de travail puisse la faire regarder comme relevant des principes fondamentaux du droit du travail, mentionnés au 3° de cet article. Eu égard à l'objet sanitaire de la délibération, ses articles 6, 7 et 9, destinés à assurer son effectivité, ne relèvent pas de ce 3°. La délibération ne régit ni l'état des personnes ni les obligations civiles, mentionnés aux 9° et 10° du même article 99. Par suite, le juge des référés n'a pas entaché son ordonnance d'erreur de droit en jugeant qu'en l'état de l'instruction n'était pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération contestée le moyen tiré de ce qu'elle serait intervenue dans des matières relevant des lois du pays.

3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la délibération a été adoptée par la commission permanente et que les dispositions contestées y ont été introduites par voie d'amendements à un projet du gouvernement qui prévoyait une obligation vaccinale pour les personnes entrant sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Aux termes de l'article 80 de la loi organique du 19 mars 1999 : " (...) La commission permanente règle par ses délibérations, dans la limite de la délégation qui lui est consentie à la majorité des membres du congrès, les affaires qui lui sont renvoyées par le congrès (...) ". Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne s'en déduit pas qu'un " lien étroit " devrait exister entre les amendements adoptés et le projet renvoyé à la commission permanente. Le juge des référés n'a donc pas commis l'erreur de droit alléguée en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 80 n'était pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération contestée. Par ailleurs, les requérants n'avaient invoqué l'article 74 du règlement intérieur du congrès que pour soutenir que l'adoption des dispositions contestées par voie d'amendement avait eu pour effet de contourner l'obligation de consulter le conseil économique, social et environnemental. Par suite, le moyen tiré de ce que la commission permanente aurait méconnu les règles de recevabilité des amendements fixées par cet article ne peut, en tout état de cause, pas être utilement soulevé pour la première fois en cassation.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Celle-ci prend la forme de vagues soudaines, difficiles à prévenir et entraînant dans un délai très bref des conséquences particulièrement graves, y compris un nombre significatif de décès et la saturation des capacités hospitalières. Ce risque s'est aggravé avec l'apparition d'un nouveau variant, encore plus contagieux. La Nouvelle-Calédonie est particulièrement vulnérable en raison de notamment de son éloignement. Sans attendre que l'épidémie n'atteigne ce territoire, les autorités nationales ont déclaré l'état d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie dès le 8 septembre 2021. La maladie a causé environ 270 morts entre septembre et novembre. Par ailleurs et en l'état des connaissances disponibles, la vaccination réduit considérablement le risque d'hospitalisation et de circulation du virus. L'article 3 de la délibération attaquée autorise les seuls vaccins qui ont fait l'objet d'une autorisation européenne de mise sur le marché ; or, en vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, celle-ci ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif.

5. Dans ces circonstances, en relevant qu'il existait, à la date de la délibération attaquée, un risque de propagation rapide du virus en cas d'introduction en Nouvelle-Calédonie, risque qui s'est confirmé par la suite, que la population était très faiblement vaccinée et que, selon un très large consensus scientifique, le vaccin prémunit contre les formes graves de la maladie et présente des effets indésirables limités, et en jugeant en conséquence que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées étaient injustifiées ou disproportionnées au regard du droit au respect de la vie privée n'était pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à leur légalité, le juge des référés n'a pas dénaturé les faits et les pièces du dossier.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Nouvelle-Calédonie à ce titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Nouvelle-Calédonie au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'association Ensemble pour la Planète, de Mme J... épouse B... et de M. F... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Nouvelle-Calédonie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Ensemble pour la Planète, représentant unique désigné, au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et au président du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 11 février 2022.

Le président:

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur

Signé : M. David Moreau

La secrétaire:

Signé : Mme H... I...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 457818
Date de la décision : 11/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2022, n° 457818
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:457818.20220211
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