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11/02/2022 | FRANCE | N°456823

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 11 février 2022, 456823


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 456823, par une requête enregistrée le 17 septembre 2021, des mémoires enregistrés les 20 septembre, l7, 25, 26 et 29 octobre, 7 et 24 novembre, 16 décembre 2021 et 6 janvier 2022, deux mémoires enregistrés le 21 janvier et des mémoires enregistrés les 22 , 26 et 27 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le texte n° 2021-30 adopté par l'assemblée de la Polynésie française le 20 août 2020 ;

2°) d'annuler la " loi du pays " n° 2021

-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion d...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 456823, par une requête enregistrée le 17 septembre 2021, des mémoires enregistrés les 20 septembre, l7, 25, 26 et 29 octobre, 7 et 24 novembre, 16 décembre 2021 et 6 janvier 2022, deux mémoires enregistrés le 21 janvier et des mémoires enregistrés les 22 , 26 et 27 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le texte n° 2021-30 adopté par l'assemblée de la Polynésie française le 20 août 2020 ;

2°) d'annuler la " loi du pays " n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 ;

3°) d'annuler l'acte de promulgation de la même " loi du pays " ;

4°) de censurer les motifs retenus par le président du tribunal administratif de la Polynésie française dans ses ordonnances n° 2100426 du 2 septembre 2021 et n° 2100427 du 6 septembre 2021;

5°) de lui désigner un avocat ;

6°) de lui attribuer la somme de 500 001 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 456824, par une requête et des mémoires enregistrés les 18, 20 septembre et 25 octobre, trois mémoires enregistrés le 3 novembre, des mémoires enregistrés les 5, 6 et 24 novembre 2021, 6 janvier 2022, deux mémoires enregistrés le 21 janvier et des mémoires enregistrés les 22, 26 et 27 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la " loi du pays " n° 2021-37 du 23 août 2021;

2°) de censurer les motifs retenus par le président du tribunal administratif de la Polynésie française dans ses ordonnances n° 2100426 du 2 septembre 2021 et n° 2100427 du 6 septembre 2021;

3°) de lui désigner un avocat ;

4°) de lui attribuer la somme de 500 001 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;

- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la Présidence de la Polynésie française et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la président de l'Assemblée de la Polynésie française ;

Considérant ce qui suit :

1. Eu égard à l'argumentation présentée, la première requête de M. B... doit être regardée comme dirigée contre la " loi du pays " n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19, contre le texte n° 2021-30 adopté par l'assemblée de la Polynésie française le 20 août 2021 et dont cette loi est issue, et contre l'acte par lequel le président de la Polynésie française l'a promulguée. Sa seconde requête est dirigée contre la " loi du pays " promulguée. Les deux requêtes tendent en outre à contester les motifs retenus par le président du tribunal administratif de la Polynésie française dans ses ordonnances n° 2100426 du 2 septembre 2021 et n° 2100427 du 6 septembre 2021 et par lesquelles, saisi par un autre requérant, il a, respectivement, refusé de suspendre l'exécution d'un arrêté d'application de la même " loi du pays " et transmis au Conseil d'Etat un recours contre cette loi. M. B... demande aussi qu'un avocat lui soit désigné. Il soulève une question prioritaire de constitutionnalité à l'appui de sa première requête et une autre à l'appui de ses deux requêtes. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par une même décision.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

En ce qui concerne la question relative à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :

3. Aux termes de cet article : " L'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable, dénuée de fondement ou abusive en raison notamment du nombre des demandes, de leur caractère répétitif ou systématique. / (...) / Lorsqu'en vertu des alinéas qui précèdent, l'aide juridictionnelle n'a pas été accordée et que cependant le juge a fait droit à l'action intentée par le demandeur, il est accordé à ce dernier le remboursement des frais, dépens et honoraires par lui exposés ou versés, à concurrence de l'aide juridictionnelle dont il aurait bénéficié compte tenu de ses ressources ".

4. En premier lieu, M. B... soutient que le premier alinéa, en particulier par l'emploi du mot " manifestement " qui n'est pas défini, méconnaît le droit à une protection juridictionnelle et à un recours effectif, le droit à un procès équitable, le principe d'égalité et celui d'égalité des armes, les droits de la défense, l'objectif de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, ainsi que les principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions. Toutefois, le dispositif d'aide juridictionnelle a pour objet même de garantir l'effectivité du droit au recours juridictionnel pour les personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice. En vertu de l'article 23 de la même loi, la personne à laquelle le bénéfice de l'aide juridictionnelle n'a pas été accordé dispose d'une voie de recours contre la décision de refus de cette aide. Elle conserve le droit d'agir devant une juridiction pour soutenir sa réclamation. Le refus de l'aide juridictionnelle ne préjuge pas de la décision qui sera rendue par cette juridiction. Il ressort du dernier alinéa de l'article 7 que cette même personne peut, si le juge fait droit à son action, obtenir le remboursement des frais qu'il a engagés. La personne qui remplit les conditions fixées par l'article 7 et celle qui n'a pas demandé l'aide juridictionnelle ne sont pas dans la même situation qu'une personne qui l'a demandée et dont l'action est manifestement irrecevable ou dénuée de fondement ou abusive. Par suite, les dispositions contestées, qui sont claires, répondent à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et, par elles-mêmes, ne méconnaissent pas les principes invoqués.

5. En second lieu, le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 porteraient atteinte à la liberté individuelle n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

6. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne la question relative à l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 :

7. De façon générale et en vertu de cet article, les " lois du pays " peuvent, après leur adoption, être contestées devant le Conseil d'Etat, dans le délai fixé par cet article et en application de son I, par le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de Polynésie ou six de ses membres. Parallèlement et en application du II, la loi est publiée pour information au Journal officiel de la Polynésie française, afin que dans le délai d'un mois à compter de cette publication, toute personne y ayant intérêt puisse introduire devant le Conseil d'Etat un recours à l'encontre de cette loi. Le Conseil d'Etat, s'il est saisi, dispose d'un délai de trois mois pour statuer sur le recours, délai au terme duquel, en vertu de l'article 177, il est loisible au président de la Polynésie française de promulguer la " loi du pays ". Toutefois, le Conseil d'Etat, s'il n'a pas encore statué, reste saisi du recours. Au terme du délai de recours, aucune action directe à l'encontre de la " loi du pays " n'est recevable. Ses dispositions peuvent cependant être alors contestées par voie d'exception devant toute juridiction, qui doit dans ce cas transmettre le moyen soulevé au Conseil d'Etat, en vertu de l'article 179. Les articles 180-1 à 180-4 fixent des règles particulières concernant les " lois du pays " relatives aux impôts et taxes.

8. M. B... soutient que si l'article 176 est interprété comme faisant obstacle à ce qu'il puisse attaquer le texte n° 2021-30 adopté par l'assemblée de la Polynésie française le 20 août 2021 et dont la " loi du pays " en litige est issue, et dès lors au surplus que ce droit était ouvert au haut-commissaire de la République, cet article méconnaît le principe d'égalité proclamé par les articles 1er et 6 de la Déclaration de 1789, son article 5 en vertu duquel " La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ", la garantie des droits et la séparation des pouvoirs énoncés par son article 16, les objectifs à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de bonne administration de la justice, ainsi que le droit à un procès équitable.

9. Par ses décisions n° 2004-490 DC du 12 février 2004 et n° 2019-783 DC du 27 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l'article 176 conformes à la Constitution. Le requérant n'apporte pas d'éléments relatifs à un changement de circonstances de nature à justifier qu'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions soit transmise au Conseil constitutionnel.

10. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....

Sur les conditions d'exercice des recours :

11. Il résulte des dispositions rappelées au point 7 que les " lois du pays " qui ne sont pas relatives aux impôts et aux taxes ne peuvent pas, en principe, faire l'objet d'un recours par voie d'action après leur promulgation par le président de la Polynésie française. Il en va toutefois différemment quand la " loi du pays " a été prématurément promulguée, que cette promulgation intervienne avant l'expiration du délai d'un mois suivant la publication ou, si le Conseil d'Etat a été saisi, avant l'expiration du délai de trois mois prévu au I de l'article 177.

12. Si, en cas de promulgation prématurée, le Conseil d'Etat est simultanément saisi de conclusions dirigées contre l'acte de promulgation et contre la " loi du pays " promulguée et s'il annule l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la " loi du pays " est alors regardé comme un recours tendant à déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique la délibération adoptée par l'assemblée de la Polynésie française. S'il rejette les conclusions dirigées contre l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la " loi du pays " présente le caractère d'un recours en annulation.

13. Il est constant que la délibération n° 2021-30 LP/APF relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 a été adoptée le 20 août 2021 par l'assemblée de la Polynésie française. Le président de la Polynésie française a promulgué la " loi du pays " n° 2021-37 qui en procède dès le 23 août 2021 et l'a publiée le même jour au Journal officiel de la Polynésie française, prématurément eu égard aux règles précédemment rappelées.

Sur les conclusions dirigées contre l'acte de promulgation :

14. La Polynésie française a été soudainement frappée à l'été 2021 par une vague épidémique massive que le nombre des vaccinations volontaires, trop faible, ne suffisait pas à ralentir. En peu de jours, de nombreuses personnes sont tombées malades et beaucoup en sont décédées, tandis que les capacités hospitalières étaient complètement saturées. Cette situation a conduit les autorités nationales à décréter l'état d'urgence sanitaire en Polynésie française puis à le prolonger. Si M. B... soutient que la situation n'était pas imprévisible, cette circonstance, à la supposer établie, n'implique pas que les autorités de la Polynésie française auraient dû s'abstenir de prendre, dans l'urgence, les mesures nécessaires. Dans ces circonstances exceptionnelles, l'acte de promulgation de la " loi du pays " ne peut être tenu pour illégal au seul motif qu'il est intervenu prématurément.

Sur les conclusions dirigées contre le texte n° 2021-30 adopté par l'assemblée de la Polynésie française le 20 août 2021 et contre la " loi du pays " :

En ce qui concerne la procédure d'élaboration de la " loi du pays " :

15. En premier lieu, le II de l'article 151 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Le conseil économique, social, environnemental et culturel est consulté sur les projets et propositions d'actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " à caractère économique ou social. (... )". Eu égard à son objet, la " loi du pays " contestée n'a pas un caractère économique ou social au sens de ces dispositions. Elle n'était, dès lors, pas soumise à la consultation obligatoire du conseil économique, social, environnemental et culturel. Elle n'a pas été prise pour l'application ou sur le fondement de la " loi du pays " n° 2020-12 du 21 avril 2020 portant diverses mesures d'urgence en matière économique en raison de l'épidémie de covid-19, qui dispense certains projets de textes règlementaires de toute consultation préalable. Est par suite inopérante l'exception d'illégalité de cette " loi du pays ", laquelle, au demeurant, ne saurait avoir eu pour objet ou pour effet de déroger à des obligations de rang organique. Le principe de participation des travailleurs garanti par le 8ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas la consultation préalable des organismes paritaires sur un projet de " loi du pays ", ni celle des partenaires sociaux.

16. En second lieu, s'il ressort du compte-rendu de la séance au cours de laquelle la " loi du pays " attaquée a été adoptée qu'une langue autre que le français a été utilisée, de manière ponctuelle, au cours des débats, une telle méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article 57 de la loi organique du 27 février 2004, qui, dans les circonstances de l'espèce, n'a pas eu pour conséquence d'entraver l'exercice du contrôle de légalité du texte ainsi adopté ou de priver toute personne, y compris les membres de l'assemblée, des garanties d'accès et de compréhension indispensables au débat démocratique, n'a pas entaché la procédure d'adoption de la " loi de pays " attaquée d'une irrégularité de nature à en affecter la légalité. Les autres arguments que M. B... tire du même compte-rendu ne sont pas de nature à caractériser des irrégularités dans le déroulement de la séance.

En ce qui concerne les moyens relatifs aux mesures prises par les autorités nationales :

17. Il résulte des dispositions combinées des articles 13 et 14 de la loi organique que la Polynésie française est compétente pour édicter une obligation de vaccination. La " loi du pays " n'a pas été adoptée pour l'application ou sur le fondement des dispositions que les autorités nationales ont prises par ailleurs dans leur propre domaine de compétence. M. B... ne peut donc utilement soutenir, en tout état de cause, que ces dernières seraient illégales. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de ce que la " loi du pays " serait dépourvue de base légale doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation vaccinale :

18. L'article LP. 1er de la " loi du pays " établit une liste de catégories de personnes qui exercent une activité professionnelle ou bénévole les exposant ou exposant les personnes dont elles ont la charge à des risques de contamination. Il prévoit qu'elles doivent avoir un schéma vaccinal complet contre la covid-19. Il soumet à la même obligation vaccinale les élèves ou étudiants d'un établissement préparant à l'exercice des professions médicales et des autres professions de santé dont la liste sera déterminée par arrêté pris en conseil des ministres, et à condition que leurs études comportent certains stages. L'article LP. 3 soumet à l'obligation " les personnes exerçant des activités essentielles au fonctionnement de la Polynésie française, en raison du faible nombre de personnels qualifiés exerçant sur le territoire, en raison de l'impact sur le fonctionnement du pays en cas d'arrêt de l'activité ou nécessaires au maintien de la sécurité ou de l'ordre public sur le territoire " et l'article LP. 4 " les personnes exerçant des activités dans des conditions dans lesquelles les gestes barrières, notamment le port du masque ou la distanciation physique, ne peuvent pas être respectés ". L'article LP. 5 dispose : " Les secteurs d'activité, les lieux d'exercice, les personnes ou les professions concernés par la présente loi sont fixés, par arrêté pris en conseil des ministres ". L'article LP. 2 soumet aussi à l'obligation " les personnes de plus de seize ans, atteintes d'une des affections dont la liste est établie par arrêté pris en conseil des ministres ". Enfin et en vertu de l'article LP. 6, un arrêté pris en conseil des ministres peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, après avis de l'agence de régulation de l'action sanitaire et sociale et du service en charge de la veille sanitaire, suspendre l'obligation pour tout ou partie des catégories de personnes concernées.

Quant au grief d'incompétence négative :

19. Ces articles ont défini avec suffisamment de précision les catégories de personnes auxquelles s'applique l'obligation vaccinale. Par suite, le moyen tiré de ce que le législateur du pays n'aurait pas épuisé sa compétence doit être écarté.

Quant à la proportionnalité des dispositions contestées :

20. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

21. En premier lieu, d'une part, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Celle-ci prend la forme de vagues soudaines, difficiles à prévenir et entraînant dans un délai très bref des conséquences particulièrement graves, y compris un nombre significatif de décès et la saturation des capacités hospitalières. Ce risque s'est aggravé avec l'apparition d'un nouveau variant, encore plus contagieux, comme en témoigne la crise que la Polynésie française a connue à l'été 2021. Enl'état des connaissances disponibles, la vaccination réduit de 95 % le risque d'hospitalisation, les risques de circulation du virus sont réduits lorsqu'une personne est vaccinée et il ressort des travaux préparatoires de la " loi du pays " que la très grande majorité des personnes admises dans un service de réanimation ou décédées n'étaient pas vaccinées. Le niveau de la vaccination, en l'absence d'obligation, n'était pas suffisant pour stopper des vagues épidémiques, qui n'ont pu l'être que par des mesures restreignant, notamment, l'exercice de la liberté d'aller et venir.

22. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que tous les vaccins contre la covid-19 autorisés par le gouvernement de la Polynésie française ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que les vaccins auraient un caractère expérimental. En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, celle-ci ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. Il ressort des pièces du dossier que les cas d'effets secondaires sont trop rares ou trop mal établis pour compenser les bénéfices de la vaccination. L'agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées.

23. En second lieu, le législateur du pays pouvait, eu égard à la nature de l'obligation, choisir de ne pas fixer de limite dans le temps, dès lors, d'une part, qu'il lui appartenait d'agir, non seulement face à la vague épidémique alors en cours, mais aussi en prévision de vagues épidémiques futures, et, d'autre part, qu'il appartiendrait au gouvernement de la Polynésie française, en application de l'article LP. 6, de réexaminer les mesures prises si la situation venait à le nécessiter.

24. En troisième lieu, la circonstance que des personnes résidant en Polynésie française auraient été empêchées d'y revenir à la suite d'un test positif fait en métropole ou à l'étranger n'a pas son origine dans la " loi du pays " contestée

25. Ainsi, les dispositions critiquées ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique, et proportionnée à ce but. Doivent également être écartés pour les mêmes motifs les moyens par lesquels le requérant invoque la liberté personnelle ou la liberté d'aller et venir.

Quant aux moyens tirés du principe d'égalité :

26. Le législateur du pays a fait le choix d'appliquer l'obligation aux personnes que leurs activités mettent en contact avec le public ou avec des personnes fragiles, à celles exerçant des activités indispensables à la vie de la collectivité, à celles dont l'activité n'est pas compatible avec les " gestes barrières " et à celles que leur état de santé expose aux formes les plus graves de la maladie. Les personnes rétablies de la maladie n'étant immunisées qu'à court terme, il n'était pas tenu de les exclure. Ces choix sont cohérents avec le but poursuivi et ainsi ne méconnaissent pas le principe d'égalité. La circonstance que les élus n'en relèveraient pas ne suffit pas, en tout état de cause, à caractériser une rupture d'égalité. Si le requérant soutient que l'obligation ne s'applique pas aux personnes entrant sur le territoire, celles-ci ne sont pas placées dans la même situation et au surplus font l'objet d'autres types de mesures que celles prévues par la " loi du pays " contestée.

En ce qui concerne l'amende administrative :

27. L'article LP. 8 sanctionne le non-respect des obligations de vaccination imposées à raison de l'activité, ainsi que " la volonté d'en entraver l'exécution ", d'une amende administrative de 175 000 F CFP. Aux termes de l'article LP. 11 : " Avant de prononcer l'amende administrative prévue à l'article LP. 8, l'autorité administrative compétente informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle dispose d'un délai de trente jours à compter de la notification du courrier ou de la remise en main propre, pour régulariser sa situation vaccinale ou faire part de ses observations écrites ".

28. Aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la loi organique, " la Polynésie française peut assortir les infractions aux actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ou aux délibérations de l'assemblée de la Polynésie française de peines d'amende, y compris des amendes forfaitaires dans le cadre défini par le code de procédure pénale, respectant la classification des contraventions et délits et n'excédant pas le maximum prévu pour les infractions de même nature par les lois et règlements applicables en matière pénale. Elle peut assortir ces infractions de peines complémentaires prévues pour les infractions de même nature par les lois et règlements applicables en matière pénale ". Ces dispositions ne concernent que les sanctions pénales, non les amendes administratives prévues au deuxième alinéa du même article 20. Dès lors, le moyen tiré de ce que le montant de l'amende administrative excèderait celui des amendes prévues par la législation applicable en métropole pour des infractions de même nature est, en tout état de cause, inopérant.

29. Le montant de l'amende n'est pas disproportionné eu égard au manquement qu'elle a pour objet de sanctionner. Si, pour prendre et motiver la sanction, le président de la Polynésie française saura nécessairement que l'intéressé n'est pas vacciné et n'est pas dans un cas de contre-indication, il ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. Par suite, le moyen tiré de la violation du secret médical ne peut en tout état de cause qu'être écarté. Le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article LP. 11 seraient illégales au seul motif qu'elles ne rappellent pas le droit d'accès de toute personne concernée à son dossier, dès lors que ce droit s'applique même sans texte. Ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce que l'auteur du manquement se fasse assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance du principe général des droits de la défense doit être écarté. Le principe d'impartialité n'implique pas que, pour une sanction infligée selon les modalités prévues par la présente " loi du pays ", les fonctions d'instruction et de décision soient séparées. Contrairement à ce qui est soutenu, les personnes qui ont fait l'objet de l'amende peuvent la contester devant le juge administratif dans les conditions de droit commun.

En ce qui concerne la majoration du ticket modérateur :

30. L'article LP. 9 prévoit que le non-respect de l'obligation de vaccination par les personnes qui, en vertu de l'article LP. 2, y sont soumises à raison des pathologies dont elles sont atteintes, donne lieu à la majoration d'un nombre de points, fixé par arrêté pris en conseil des ministres, du ticket modérateur pour la prise en charge de tous actes, prescriptions et prestations dispensés à l'assuré par les régimes de protection sociale polynésiens, y compris l'hospitalisation. Il prévoit également que cette majoration cesse après satisfaction à l'obligation de vaccination et qu'elle peut se cumuler avec celle prévue par la " loi du pays " n° 2018-14 du 16 avril 2018 relative au médecin traitant, au parcours de soins coordonnés et au panier de soins.

31. En premier lieu, ces dispositions répondent à l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale des personnes les plus exposées à un risque grave en cas de contamination, dans un contexte de prévalence élevée des causes de comorbidité et d'un risque de saturation des services hospitaliers. La majoration du ticket modérateur qu'elles prévoient n'a pas vocation à s'appliquer à celles des prestations qui sont intégralement prises en charge en vertu des délibérations n° 74-22 du 14 février 1974 instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés, n° 94-170 AT du 29 décembre 1994 instituant le régime d'assurance maladie des personnes non-salariées et n° 95-262 AT du 20 décembre 1995 instituant et modifiant les conditions du risque maladie des ressortissants du régime de solidarité territorial. Il appartiendra au gouvernement de la Polynésie française, sous le contrôle du juge, de fixer et, si besoin, de différencier, le montant de la majoration de façon telle que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui garantit à tous la protection de la santé. Pour les mêmes raisons, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'article LP. 9 porterait atteinte au droit de propriété.

32. En deuxième lieu, en vertu de l'article 140 de la loi organique, les actes de l'assemblée de la Polynésie française dénommés " lois du pays " sont ceux qui relèvent du domaine de la loi. Si une disposition en vertu de laquelle des assurés devront acquitter une participation pour des dépenses prises en charge par l'assurance maladie relève de ce domaine, le législateur du pays n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence en chargeant le gouvernement de déterminer le niveau de la majoration dans les conditions rappelées au point précédent.

En ce qui concerne les autres moyens :

33. En premier lieu, aux termes de l'article LP. 10 : " Les manquements à la présente loi du pays et à ses arrêtés d'application sont constatés par les médecins et pharmaciens de l'Agence de régulation de l'action sanitaire et sociale et de la direction de la santé, dans le respect du secret médical ". Le requérant n'est donc en tout état de cause pas fondé à soutenir que la " loi du pays " n'aurait pas défini les catégories d'agents chargés du contrôle.

34. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la Polynésie française n'a pas pris par ailleurs de dispositions tendant à l'indemnisation des dommages qui pourraient résulter des vaccinations obligatoires qu'elle a choisi d'instituer. Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les personnes concernées obtiennent une indemnisation en application des principes généraux de la responsabilité.

35. En dernier lieu, les conclusions de M. B... sont dirigées contre le texte adopté le 20 août et promulgué le 23 août. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce que la " loi du pays " n° 2021-50 du 15 novembre 2021, qui l'a ultérieurement modifié, aurait été adoptée dans des conditions irrégulières.

Sur les autres conclusions :

36. Un recours dirigé contre les motifs d'une décision juridictionnelle et non contre son dispositif n'est pas recevable. Les conclusions par lesquelles M. B... demande au Conseil d'Etat de " censurer les motifs " retenus par le président du tribunal administratif de la Polynésie française dans ses ordonnances mentionnées au point 1 ne peuvent donc qu'être rejetées.

37. Il n'appartient pas au Conseil d'Etat de procéder à la désignation d'un avocat pour représenter M. B..., dont au surplus la demande d'aide juridictionnelle a été définitivement rejetée.

38. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir soulevées par le président de la Polynésie française et le président de l'assemblée de la Polynésie française, que les requêtes de M. B... doivent être rejetées.

39. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Polynésie française. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par le président de la Polynésie française et le président de l'assemblée de la Polynésie française.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B....

Article 2 : Les requêtes de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par le président de la Polynésie française et le président de l'assemblée de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au président de la Polynésie française et au président de l'assemblée de la Polynésie française.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 11 février 2022.

Le président:

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur

Signé : M. David Moreau

La secrétaire:

Signé : Mme C... D...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 456823
Date de la décision : 11/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2022, n° 456823
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:456823.20220211
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