Vu la procédure suivante :
La société civile d'exploitation agricole (SCEA) Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler le titre de recettes d'un montant de 201 500,96 euros émis à son encontre le 21 janvier 2016 par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et de mettre à la charge de cet établissement la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n° 1600675 du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18MA00898 du 15 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 décembre 2019, 24 mars 2020 et 30 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCEA Méditerranée demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE ;
- le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil ;
- la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 relative aux aides dites " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;
- l'arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de commerce ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix-- Gury - Maître, avocat de la société civile d'exploitation agricole Méditerranée et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites " plans de campagne " étaient versées par l'ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d'une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d'Etat instituées en méconnaissance du droit de l'Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l'administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 21 janvier 2016 à l'encontre de la SCEA Méditerranée un titre de recettes d'un montant de 201 500,96 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées ainsi qu'aux SCEA La Bohémienne, Mas de Canaux et de Fabrègues au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCEA Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler ce titre de recettes. Par un jugement du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. La SCEA Méditerranée se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 octobre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
Sur la régularité du titre de recettes :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". En vertu de ces dispositions, la mise en recouvrement d'une créance doit comporter, soit dans le titre de recettes lui-même, soit par la référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul ayant servi à déterminer le montant de la créance.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a écarté le moyen tiré d'une insuffisance de motivation du titre de recettes en relevant que ce titre indiquait que le montant de la somme mise à la charge de la société requérante correspondait aux " aides plans de campagne jugées incompatibles avec le droit communautaire " et qu'était joint à ce titre une fiche liquidative sur laquelle figuraient, après le visa de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, l'indication qu'étaient concernées les aides versées dans le cadre des " plans de campagne " entre 1998 et 2002, le montant des aides publiques, celui des parts professionnelles, celui des cotisations versées dont la société a demandé le remboursement ainsi que le montant des intérêts arrêté au 31 décembre 2015. La cour a également relevé qu'une fiche annexe mentionnait, année par année, le montant des sommes reçues par la société requérante et par chacune des trois SCEA qu'elle avait absorbées, la nature de chaque production de la part du groupement de producteur " syndicat OP 84 " ainsi que le mode de calcul des intérêts. En jugeant que ces éléments étaient suffisants pour permettre à la société requérante d'être informée des bases de la liquidation et de pouvoir en contester le fondement, la cour n'a entaché son arrêt ni d'une erreur de droit, ni d'une dénaturation des pièces du dossier.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCEA Méditerranée a été destinataire le 26 mai 2015 d'un courrier l'informant de la mise en œuvre de la procédure de récupération des aides versées au titre des " plans de campagne " entre 1998 et 2002 et l'invitant à faire connaître ses observations. Elle a participé à un entretien qui s'est déroulé le 5 juin 2015 au cours duquel elle a été informée de ce qu'elle était redevable des montants dus par elle-même et les SCEA qu'elle avait absorbées. Des échanges de courriers ont eu lieu entre le 22 juin 2015 et le 6 juillet 2015, date à laquelle FranceAgriMer a émis le premier titre de recettes. La société requérante a transmis, le 6 août 2015, à l'administration l'état des parts des cotisations professionnelles versées par elle et les trois autres SCEA concernées par la demande de reversement de l'aide. Elle a formé un recours gracieux contre le premier titre de recettes le 14 septembre 2015 auquel il a été répondu le 1er octobre suivant. Enfin, le second titre de recettes, annulant le premier, a été émis le 21 janvier 2016.
6. En se fondant sur les éléments énoncés au point 5 pour en déduire que la société a disposé, avant l'émission du premier titre de recettes, d'un délai suffisant pour faire valoir ses observations, la cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier. La société n'est pas davantage fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit ou dénaturé les pièces du dossier en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire à l'égard du second titre de recettes, alors que ce titre, émis à la suite du recours gracieux de la société requérante, n'était pas au nombre des décisions soumises à une procédure contradictoire.
Sur le bien-fondé de la créance :
7. En premier lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, rappelée notamment dans son arrêt du 29 avril 2004, Allemagne/Commission (C-277/00), la récupération d'une aide incompatible avec le marché intérieur vise au rétablissement de la situation antérieure et cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant, des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire ou, en d'autres termes, par les entreprises qui en ont eu la jouissance effective. Par cette restitution, le bénéficiaire perd, en effet, l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie.
8. Par ailleurs, selon le point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne citée au point 1 : " (...) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l'initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles ". Aux termes du point 84 de cette même décision : " L'aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l'aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l'aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l'aide ne leur ait pas été transféré par l'organisation de producteurs. La récupération de l'aide doit donc s'effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l'Etat membre pourra démontrer que l'aide ne leur a pas été transférée par l'organisation de producteurs, auquel cas la récupération s'effectuera auprès de cette dernière ".
9. En jugeant que les producteurs sont présumés bénéficiaires de l'aide déclarée illégale, la cour n'a fait que tirer les conséquences de la décision de la Commission citée au point précédent et n'a pas commis d'erreur de droit. En en déduisant, en l'absence de contestation sérieuse de la part de la SCEA Méditerranée, que FranceAgriMer avait pu à bon droit désigner la SCEA Méditerranée comme destinataire final de l'aide, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 236-3 du code de commerce, " I. - La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération ".
11. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt de la cour que les SCEA La Bohémienne, de Fabrègues et Mas des Canaux ont été radiées du registre du commerce et des sociétés le 23 décembre 2005 à la suite de leur absorption par la SCEA Méditerranée. La cour a par ailleurs relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, qu'il n'était pas établi que cette dernière n'exerçerait plus l'activité pour laquelle les aides litigieuses ont été versées. Elle a pu en déduire, sans erreur de droit, que la société SCEA Méditerranée, qui a repris l'ensemble de l'actif et du passif des sociétés absorbées, était tenue à l'obligation de restitution des aides perçues par celles-ci.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA Méditerranée n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par suite obstacle à ce que ses conclusions présentées au titre de cet article soient accueillies. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA Méditerranée la somme de 3 000 euros à verser à FranceAgriMer au titre des dispositions de cet article.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SCEA Méditerranée est rejeté.
Article 2 : La SCEA Méditerranée versera à FranceAgriMer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCEA Méditerranée et à l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer.