Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 février, 17 mai et 23 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Ultragenyx France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, intervenue au plus tôt le 1er mars 2020 en application de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale, rejetant sa demande, présentée le 4 décembre 2019, d'inscrire la spécialité MEPSEVII 2 mg/ml, solution à diluer pour perfusion, sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, ainsi que la décision de rejet de son recours tendant au réexamen de cette décision et à l'inscription de la spécialité litigieuse ;
2)° d'annuler pour excès de pouvoir la décision expresse du 17 décembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie, des finances et de la relance rejetant cette demande ;
3°) d'enjoindre aux ministres compétents de procéder à l'inscription sollicitée ou, subsidiairement, de réexaminer la demande d'inscription, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 décembre 2021, présentée par la société Ultragenyx France.
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation par les collectivités publiques des médicaments disposant d'une autorisation de mise sur le marché sont limités, dans les conditions, propres à ces médicaments, fixées par le décret mentionné à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du code de la santé publique et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l'inscription sur cette liste est proposée par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé.
2. Il ressort des pièces du dossier que la société Ultragenyx France est titulaire d'une autorisation centralisée de mise sur le marché, délivrée " dans des circonstances exceptionnelles " le 23 août 2018 par la Commission européenne dans l'indication du traitement chez les enfants et les adultes des manifestations non neurologiques de la mucopolysaccharidose (MPS) de type VII dite " syndrome de Sly ", pour la spécialité MEPSEVII 2 mg/ml, solution à diluer pour perfusion. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir des décisions par lesquelles les ministres compétents ont refusé l'inscription de cette spécialité sur la liste mentionnée au point précédent.
Sur les décisions implicites de refus d'inscription de la spécialité MEPSEVII sur la liste mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique et de rejet du recours gracieux de la société requérante :
3. La décision du 17 décembre 2020, par laquelle les ministres compétents ont refusé de manière expresse la demande d'inscription de la spécialité en cause, s'est substituée à la décision de refus implicitement née auparavant et, dès lors, les conclusions à fin d'annulation de cette dernière décision ainsi que de la décision de rejet du recours gracieux contre celle-ci, doivent être regardées comme dirigées contre la décision explicite du 17 décembre 2020. Par suite, la société requérante ne peut utilement contester la décision implicite antérieure et celle rejetant son recours gracieux contre cette décision au motif que l'administration aurait méconnu l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale exigeant une communication à l'entreprise, en cas de refus d'inscription, des motifs de la décision.
Sur la décision expresse du 17 décembre 2020 refusant l'inscription de la spécialité MEPSEVII :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 17 décembre 2020 :
4. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° les (...) directeurs d'administration centrale (...) / 2° les chefs de service, (...), sous-directeurs (..) ". Par suite, Mme B... E..., nommée sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins, à la direction générale de la santé, par arrêté du Premier ministre et de la ministre des solidarités et de la santé du 7 janvier 2020, publié au Journal officiel de la République française le 9 janvier 2020, et M. G... D..., maintenu en détachement auprès du ministère des solidarités et de la santé, pour une durée de deux ans, à compter du 1er juillet 2020, afin de continuer à exercer les fonctions de sous-directeur du financement du système de soins à la direction de la sécurité sociale, par arrêté du Premier ministre en date du 20 août 2020, publié au Journal officiel de la République française le 22 août 2020, avaient compétence pour signer la décision litigieuse, aux noms, respectivement, des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Il en résulte que le moyen tiré de l'incompétence des signataires de la décision du 17 décembre 2020 doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision du 17 décembre 2020 :
5. Aux termes du I de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste ". Le motif tiré du niveau du service médical rendu est également de nature à fonder légalement le refus d'inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. En outre, en vertu de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, l'avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui précède ces décisions, comporte notamment " 1° L'appréciation du bien-fondé, au regard du service médical rendu, de l'inscription du médicament sur les listes, ou l'une des listes, prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ; / L'avis porte distinctement sur chacune des indications thérapeutiques mentionnées par l'autorisation de mise sur le marché (...) ".
6. En premier lieu, la circonstance que la Commission européenne avait délivré à la spécialité MEPSEVII une autorisation de mise sur le marché, sous réserve du respect de certaines obligations, " dans des circonstances exceptionnelles ", sur le fondement du paragraphe 8 de l'article 14 du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, qui permet la délivrance d'une telle autorisation alors même que le demandeur ne peut fournir des renseignements complets sur l'efficacité et la tolérance du médicament, ne s'opposait pas à ce que les autorités nationales, dans l'exercice de leurs compétences et en application d'une législation distincte, refusent ensuite d'inscrire cette même spécialité sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique pour un motif tiré de ce que l'étude clinique fournie à l'appui de la demande d'inscription ne permettait pas de regarder le service médical rendu de cette spécialité comme suffisant pour justifier sa prise en charge par l'assurance maladie. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres ne pouvaient, sans méconnaître l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, qualifier d'insuffisant le service médical rendu d'une spécialité disposant d'une autorisation de mise sur le marché au titre d'une indication pour laquelle il n'existe aucune alternative thérapeutique.
7. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que le refus d'inscription de la spécialité MEPSEVII a pour effet de priver les patients du seul traitement disponible pour la mucopolysaccharidose de type VII, il ressort des pièces du dossier que les données disponibles démontrent son efficacité uniquement sur un critère biologique, à savoir la réduction de l'excrétion urinaire de glycosaminoglycane (GAG), sans bénéfice démontré sur un critère cliniquement pertinent ni corrélation établie entre la réduction de l'excrétion urinaire de GAG et un bénéfice clinique et sans bénéfice démontré sur la qualité de vie des patients, alors que son profil de tolérance comprend des réactions d'hypersensibilité et des effets indésirables nombreux. Par ailleurs, la commission de la transparence, dont l'avis a été suivi par la décision litigieuse, a rappelé, sans se méprendre sur le service médical rendu de la spécialité dont l'indication est réservée au traitement des symptômes non neurologiques des patients atteints de mucopolysaccharidose de type VII, que ces patients peuvent présenter des symptômes neurologiques qui ne sont pas pris en charge par cette spécialité dès lors que son principe actif, l'enzyme vestronidase alfa, ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique. A cet égard, la circonstance que cette commission ait pu évaluer à un niveau important le service médical rendu par des spécialités indiquées dans le traitement de mucopolysaccharidoses d'autres types est sans incidence sur l'appréciation du service médical rendu en l'espèce, la requérante ne pouvant utilement invoquer à ce titre une méconnaissance du principe d'égalité. Par suite, en estimant, malgré la gravité de l'affection traitée et la difficulté de réaliser des études cliniques compte tenu de la rareté de la pathologie, que la spécialité en cause présentait un service médical rendu insuffisant et en refusant pour ce motif son inscription sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, les ministres n'ont ni méconnu les dispositions du I de l'article R. 163-3 ou du 1° de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, citées au point 5, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
8. Enfin, dès lors que l'article L. 5123-2 du code de la santé publique dont il a été fait application subordonne l'inscription de la spécialité en cause au respect des conditions mentionnées au point 5, la société requérante ne peut utilement soutenir que le droit à la protection de la santé, garanti par les dispositions de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique selon lesquelles " le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne (...) ", aurait été méconnu.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Ultragenyx France, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Ultragenyx France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Ultragenyx France et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à la Haute autorité de santé et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. A... K..., Mme H... J..., M. I... F..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 décembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson
La secrétaire :
Signé : Mme L... C...