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30/12/2021 | FRANCE | N°447862

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 30 décembre 2021, 447862


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un nouveau mémoire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2020, les 25 janvier, 10 mars et 18 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... E..., épouse C..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle la première présidente de la cour d'appel a prononcé un avertissement à son encontre ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°)

de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 500 euros au titre de l'article L....

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un nouveau mémoire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2020, les 25 janvier, 10 mars et 18 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... E..., épouse C..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle la première présidente de la cour d'appel a prononcé un avertissement à son encontre ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'organisation judiciaire ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme E..., vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire, a fait l'objet, le 30 septembre 2020, d'un avertissement de la part de la première présidente de la cour d'appel d'Orléans en raison des propos inappropriés et dévalorisants qu'elle a adressés à plusieurs de ses collèges et collaborateurs, les 23 mars et 6 juin 2019 ainsi que les 20 janvier, 4 avril et 7 juin 2020. Elle demande l'annulation de cet avertissement, ainsi que la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice que Mme E... estime avoir subi du fait de la décision de lui infliger un avertissement ne sont pas au nombre de celles que l'article R. 432-2 du code de justice administrative dispense du ministère d'avocat au Conseil d'Etat. Faute pour la requérante d'avoir répondu à la demande qui lui a été faite de recourir à ce ministère et de régulariser ainsi sa requête, de telles conclusions présentées sans le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat, ne sont pas recevables et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les conclusions d'excès de pouvoir :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :

3. Aux termes de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire (...) ". Aux termes de l'article 44 de la même ordonnance : " En dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. / Le magistrat à l'encontre duquel il est envisagé de délivrer un avertissement est convoqué à un entretien préalable. Dès sa convocation à cet entretien, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en œuvre de cette procédure. Il est informé de son droit de se faire assister de la personne de son choix. / (...) / L'avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenu pendant cette période ". L'article 45 définit par ailleurs les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats.

4. S'il ne constitue pas une sanction disciplinaire au sens de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, un avertissement donné sur le fondement de l'article 44 de cette ordonnance présente le caractère d'une mesure prise en considération de la personne et est mentionné au dossier du magistrat duquel il n'est effacé automatiquement qu'en l'absence de nouvel avertissement ou de sanction disciplinaire dans les trois années suivantes. En vertu des dispositions précitées de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le magistrat a droit, dès sa convocation à l'entretien préalable, à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en œuvre de la procédure susceptible de conduire au prononcé d'un avertissement.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E... a été destinataire, le 9 juillet 2020, d'un courriel dont elle a accusé réception le 10 juillet lui indiquant que la première présidente de la cour d'appel souhaitait l'entendre au cours d'un entretien, sur le fondement de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, lui proposant le choix entre deux dates, l'informant que, lors de cet entretien, elle pouvait se faire assister de la personne de son choix et, enfin, lui transmettant le rapport établi par le président du tribunal judiciaire d'Orléans sur les faits qui lui étaient reprochés ainsi que les pièces qui y étaient jointes. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cette convocation était irrégulière. La circonstance que la convocation portait à tort la mention de ce que l'entretien aurait un caractère " disciplinaire " n'est pas à elle seule de nature à entacher sa régularité. La requérante n'est pas non plus fondée à soutenir qu'aurait été méconnu un principe de loyauté qui aurait imposé qu'elle ait connaissance des pièces jointes au courrier par lequel le président du tribunal judiciaire d'Orléans a saisi la première présidente de la cour d'appel avant que celles-ci ne lui soient transmises avec sa convocation à un entretien.

6. En deuxième lieu, si la requérante soutient qu'elle n'a pas pu transmettre avant l'entretien, qui s'est déroulé le 24 septembre 2020, les pièces sur lesquelles elle souhaitait appuyer sa défense, il ressort du procès-verbal de cet entretien qu'elle a été mise à même de répondre à chacun des faits qui lui était reprochés comme de remettre des pièces, qui ont été annexées à ce procès-verbal. La circonstance que la personne qu'elle avait chargée de l'assister n'ait pas pris la parole au cours de cet entretien n'est pas de nature à avoir caractérisé une méconnaissance des droits de la défense. Mme E... n'est dès lors pas fondée à soutenir que les droits de la défense et le principe du contradictoire auraient été méconnus au cours de cet entretien.

7. En troisième lieu, la circonstance que la décision attaquée du 30 septembre 2020, qui a été versée au dossier de Mme E... accompagnée des pièces ayant justifié la mise en œuvre de la procédure, conformément à ce que prévoit l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, indique qu'il est délivré à l'intéressée la " sanction " de l'avertissement ne peut avoir pour effet de conférer à cette mesure le caractère d'une sanction disciplinaire que la première présidente de la cour d'appel n'aurait pas été compétente pour prendre. Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose qu'une telle décision mentionne expressément qu'elle sera versée au dossier du magistrat. Enfin, l'absence de mention des voies et délais de recours est sans incidence sur la légalité de cette décision.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :

8. En premier lieu, l'avertissement contesté a été prononcé à raison des propos inappropriés et, pour certains d'entre eux, injurieux tenus par l'intéressée à l'égard de deux greffières de son cabinet d'instruction et de trois collègues magistrats. Eu égard à ces faits, dont la matérialité n'est pas contestée par la requérante, la première présidente de la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 citées ci-dessus en estimant qu'ils caractérisaient un comportement constitutif de la part de l'intéressée d'un manquement à l'obligation de dignité et en lui adressant, pour ce motif, un avertissement, nonobstant la circonstance, alléguée en défense, qu'ils auraient été prononcés ou transmis par messagerie électronique en réponse à des propos malveillants la concernant ou qu'ils auraient été la conséquence d'un " surmenage professionnel ". La circonstance que ces propos n'auraient pas porté préjudice à l'institution judiciaire est sans incidence sur la qualification ainsi retenue.

9. En second lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D... E... épouse C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2021 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteur.

Rendu le 30 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Fabien Raynaud

La rapporteure :

Signé : Mme Carine Chevrier

La secrétaire :

Signé : Mme B... A...


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 447862
Date de la décision : 30/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2021, n° 447862
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Carine Chevrier
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 06/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:447862.20211230
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