Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février et 24 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 janvier 2021 par laquelle le sous-directeur des ressources humaines et des relations sociales de la direction de l'administration pénitentiaire a, au nom du garde des sceaux, ministre de la justice, prononcé le rejet exprès de la demande tendant à l'abrogation de l'article 3 du décret n° 98-287 du 9 avril 1998 fixant le régime d'indemnisation des astreintes et interventions de nuit effectuées par le personnel de surveillance des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire et à l'indemniser de ses préjudices ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'abroger l'article 3 du décret n° 98-287 du 9 avril 1998, ou de le modifier en assimilant l'astreinte, effectuée au sein d'un établissement pénitentiaire à un temps de travail effectif et en prévoyant qu'elle soit rémunérée comme telle ;
3°) de surseoir à statuer, à titre subsidiaire, sur la requête jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1) l'article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, qui définit le " temps de travail ", doit-il être interprété en ce sens que du temps, passé par un surveillant pénitentiaire au sein d'un établissement pénitentiaire pour la réalisation d'astreintes, est constitutif d'un temps de travail '
2) l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 3, 5, 6, 16 et 22 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003 doivent-ils être interprétés en ce sens que ces dispositions s'opposent à ce qu'une astreinte, passée au sein d'un établissement pénitentiaire pour une nuit entière, soit l'équivalent de 12h15, puisse être rémunérée par un forfait de trois heures supplémentaires '
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le décret n° 68-518 du 30 mai 1968 ;
- le décret n° 98-287 du 9 avril 1998 ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 mars 2021 D.J. c/Radiotelevizija Slovenija, aff. C-344/19 et R.J. c/ Stadt Offenbach am Main, aff. C-580/19 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., surveillant affecté à la maison d'arrêt de Chaumont, a demandé par courrier du 12 octobre 2020 au garde des sceaux, ministre de la justice, d'abroger l'article 3 du décret du 9 avril 1998 fixant le régime d'indemnisation des astreintes et interventions de nuit effectuées par le personnel de surveillance des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ainsi que le paiement de l'intégralité de ses astreintes de nuit exécutées au sein de l'établissement ou, à titre subsidiaire, des temps d'intervention, ainsi que l'indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi. Par courrier du 29 janvier 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. C....
2. Aux termes de l'article 1er du décret du 9 avril 1998 fixant le régime d'indemnisation des astreintes et interventions de nuit effectuées par le personnel de surveillance des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Des indemnités d'astreintes et d'interventions de nuit, non soumises à retenue pour pension civile, peuvent être attribuées à certains personnels des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire (...) ". En application des articles 2 et 3 du même décret, les agents des services concernés bénéficient d'une indemnité pour astreintes de nuit calculée sur la base du taux des indemnités horaires pour travaux supplémentaires à raison de trois heures par nuit lorsque l'astreinte est effectuée au sein de l'établissement et d'une heure trente par nuit lorsqu'elle est effectuée à domicile. Enfin, selon l'article 5 du même décret : " Seuls les agents pouvant intervenir, compte tenu de la localisation de leur logement, dans le quart d'heure suivant l'appel qui justifie leur déplacement sont autorisés à effectuer l'astreinte à domicile ".
3. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts du 9 mars 2021 D.J c/Radiotelevizija Slovenija et RJ c/ Stadt Offenbach am Main (aff. C-344/19 et C-580/19), exception faite de l'hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, cette directive se borne à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail afin d'assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs, laquelle relève des dispositions pertinentes du droit national. Cette directive ne s'oppose par conséquent pas à l'application d'une réglementation d'un État membre, d'une convention collective de travail ou d'une décision d'un employeur qui, aux fins de la rémunération d'un service de garde, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du " temps de travail " pour l'application de cette directive.
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, le requérant ne peut utilement invoquer l'incompatibilité de l'article 3 décret du 9 avril 1998, dont l'unique objet est de déterminer les modalités d'indemnisation des agents effectuant une astreinte de nuit au sein d'un établissement pénitentiaire, avec les objectifs de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Par suite, les conclusions de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 janvier 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.