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29/12/2021 | FRANCE | N°448330

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 29 décembre 2021, 448330


Vu la procédure suivante :

M. A... G... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 8 août 2016 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de le rétablir dans ce statut. Par une décision du 4 avril 2018, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à sa demande. Par une décision n° 421212 du 20 février 2019, le Conseil d'Etat a annulé cette décisi

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Vu la procédure suivante :

M. A... G... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 8 août 2016 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de le rétablir dans ce statut. Par une décision du 4 avril 2018, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à sa demande. Par une décision n° 421212 du 20 février 2019, le Conseil d'Etat a annulé cette décision de la Cour nationale du droit d'asile et lui a renvoyé l'affaire. Par une décision n° 16040613 du 4 novembre 2020, la Cour nationale du droit d'asile a, d'une part, annulé la décision du 8 août 2016 de l'OFPRA et, d'autre part, maintenu la reconnaissance à M. B... F... la qualité de réfugié.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 4 janvier et 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;

- la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020, énumère les cas dans lesquels l'OFPRA peut mettre fin au statut de réfugié en raison de la perte de la qualité de réfugié de l'intéressé. Aux termes de l'article L. 711-6 du même code applicable au présent litige : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat (...) ".

2. Par la décision attaquée, la Cour nationale du droit d'asile, saisie par M. B... F... la décision du 8 août 2016 par laquelle l'OFPRA a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a, à l'article 1er, annulé cette décision de l'OFPRA et, à l'article 2, maintenu M. B... dans la qualité de réfugié.

Sur le maintien de la qualité de réfugié de M. B... :

3. La décision par laquelle l'OFPRA met fin au statut de réfugié d'une personne qui en bénéficie, sur le fondement de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cité ci-dessus est dépourvue d'incidence sur la qualité de réfugié que l'intéressé est réputé avoir conservé. Lorsqu'elle est saisie d'un recours de ce dernier contre une telle décision et que l'OFPRA ne soutient pas devant elle que l'intéressé a perdu la qualité de réfugié par application des dispositions de l'article L. 711-4 du même code, la Cour nationale du droit d'asile ne peut, d'office, vérifier si le requérant a conservé cette qualité ni la maintenir ou l'en priver, mais elle doit se borner à examiner si l'intéressé relève, à la date à laquelle elle se prononce, d'un des cas prévus à l'article L. 711-6.

4. Devant la Cour nationale du droit d'asile, l'OFPRA ne s'est pas prévalu de ce que M. B... aurait perdu la qualité de réfugié et n'a pas demandé à la Cour d'en tirer les conséquences en le privant de son statut de réfugié sur le fondement de l'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'OFPRA ne saurait dès lors reprocher à la Cour d'avoir commis une erreur de droit en examinant le bien-fondé de sa décision, par application de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans avoir examiné préalablement s'il avait conservé la qualité de réfugié. Par suite, il n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée dans son ensemble.

Sur la révocation du statut de réfugié sur le fondement de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

5. Pour faire droit à la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision de l'OFPRA, la Cour nationale du droit d'asile a jugé que les éléments imprécis et non étayés figurant dans les deux notes blanches des services de renseignement et une note du ministre de l'intérieur produites devant elle ne permettaient d'établir ni un quelconque engagement de ce dernier en faveur de l'Emirat islamique du Caucase (EIC) et sa qualité de membre actif de cette organisation terroriste, ni une implication dans la mouvance djihadiste, et que, par conséquent, il ne pouvait être conclu " que la présence en France de l'intéressé constitue aujourd'hui une menace grave pour la sûreté de l'Etat au sens de l'article L. 711-6, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ".

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile, notamment de ces deux notes blanches, d'une part, que M. B... a été soupçonné par les services de renseignement d'avoir participé à la deuxième guerre d'Ossétie du Sud en août 2008 dans les rangs de l'organisation terroriste EIC et d'être impliqué, à compter de 2012, dans une filière de recrutement de djihadistes pour le compte de celle-ci, et, d'autre part, qu'il a fréquenté après son arrivée en France au moins six personnes, la plupart appartenant à la communauté tchétchène, proches ou impliquées dans la mouvance djihadiste et suspectées d'enrôler des combattants pour le compte de l'EIC ou de financer cette organisation terroriste. Il est en outre constant qu'à la fin du mois d'octobre 2014, M. B... a effectué un voyage en voiture depuis la France et à destination de la Géorgie en compagnie de M. E..., connu pour sa radicalisation et en relation régulière avec l'une des six personnes précédemment mentionnées, et que ce dernier aurait, selon les dires de M. B..., décidé de descendre du véhicule en Turquie, à quelques kilomètres du Bosphore, en raison de douleurs aux jambes et d'un " mal-être ", pour finir le trajet en avion, circonstances que la Cour a elle-même qualifiées d' " étranges ". M. E..., qui s'est en réalité rendu dans la foulée en zone irako-syrienne où il serait décédé en 2015, a été condamné à dix ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort enfin du dossier soumis au juge du fond que, lors de son entretien personnel à l'OFPRA, M. B... n'a fourni aucun renseignement précis sur M. E... avec lequel il a parcouru plus de deux mille kilomètres en voiture, a affirmé ne pas connaître son implication dans la mouvance djihadiste ni même savoir s'il avait de la famille en Géorgie, et a indiqué qu'il ne savait pas comment il avait pu être informé de son intention de se rendre dans ce pays en voiture. Or il ressort des énonciations de la décision attaquée que M. B... a lui-même fait état devant la Cour de ce qu'il avait recherché par voie d'annonce au sein de la communauté tchétchène un " compagnon de voyage " afin de partager les heures de conduite et les frais de voyage.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il existait, à la date à laquelle la Cour nationale du droit d'asile a statué, des raisons sérieuses de considérer que la présence de M. B... en France représentait une menace grave pour la sûreté de l'Etat. Par suite, l'OFPRA est fondé à soutenir que la Cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce et à demander, pour ce motif, l'annulation de l'article 1er de sa décision.

8. Il y a lieu, s'agissant d'un second pourvoi en cassation dans la même affaire, de statuer définitivement sur cette dernière, dans la mesure de la cassation prononcée, sur le fondement du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de l'instruction, et ainsi qu'il a été dit au point 5, que M. B..., dont à tout le moins le frère Ramzan a fait partie d'un groupe de combattants affilié à l'organisation terroriste EIC lors de la deuxième guerre d'Ossétie du Sud de 2008, a entretenu, dans un passé récent, des liens réguliers avec la mouvance djihadiste. Les incohérences et invraisemblances de son récit, en particulier en ce qui concerne les raisons et les conditions de son covoiturage avec un individu ayant rejoint la zone irako-syrienne et qui a été condamné à dix ans d'emprisonnement pour un acte de terrorisme, témoignent d'une volonté manifeste de dissimulation de son implication dans cette cause. En dépit de l'écoulement du temps depuis ces faits et des efforts d'intégration dont fait état l'intéressé, il existe toujours, à la date de la présente décision, des raisons sérieuses de considérer que la présence de M. B... en France constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat. Il s'ensuit que ce dernier n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 8 août 2016 par laquelle l'OFPRA a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'OFPRA, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 novembre 2020 est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par M. B... devant la Cour nationale du droit d'asile, ainsi que les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 3 : Le surplus des conclusions de cassation présentées par l'OFPRA est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. A... G... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 9 décembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme C... D...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 448330
Date de la décision : 29/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2021, n° 448330
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448330.20211229
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