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29/12/2021 | FRANCE | N°434906

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 29 décembre 2021, 434906


Vu la procédure suivante :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'avis de sommes à payer émis à son encontre le 30 juin 2016 par le maire de Villepinte pour le paiement de la somme de 73 894 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1606669 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet avis en tant qu'il excède la somme de 52 918 euros, a déchargé Mme E... de l'obligation de payer résultant de cet avis à concurrence de la somme de 20 976 euros et a rejeté le surplus des c

onclusions de la demande.

Par un arrêt nos 18VE00527, 18VE00528 du ...

Vu la procédure suivante :

Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'avis de sommes à payer émis à son encontre le 30 juin 2016 par le maire de Villepinte pour le paiement de la somme de 73 894 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1606669 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet avis en tant qu'il excède la somme de 52 918 euros, a déchargé Mme E... de l'obligation de payer résultant de cet avis à concurrence de la somme de 20 976 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt nos 18VE00527, 18VE00528 du 25 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé Mme E... de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis de sommes à payer émis à son encontre le 30 juin 2016 par le maire de Villepinte en tant que la somme excède 26 459 euros, réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 7 décembre 2017 en ce qu'il a de contraire à son arrêt, rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de Mme E... et dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de celle-ci tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en défense à pourvoi incident, enregistrés les 25 septembre et 26 décembre 2019 et 22 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Villepinte une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de Mme E... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Villepinte ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 novembre 2021, présentée par Mme E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme E..., alors maire de la commune de Villepinte a, par courriers en date du 12 novembre 2012 remis en main propre, demandé à Mmes D... et H..., affectées au secrétariat de son cabinet, de se maintenir à leur domicile. Cette éviction du service a été confirmée par des arrêtés de suspension des 31 janvier et 3 juin 2013. Mmes D... et H... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil l'annulation et, en référé, la suspension de l'exécution des arrêtés du 3 juin 2013 et des refus implicites du maire de Villepinte d'en prononcer le retrait ainsi que la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices résultant de l'illégalité de ces mesures de suspension. Mmes D... et H... ont également sollicité l'annulation et, en référé, la suspension de l'exécution des décisions du maire de Villepinte des 5 et 15 mai 2014 les réintégrant dans les services de la commune sur des emplois différents de ceux qu'elles occupaient auparavant. Le tribunal administratif de Montreuil, par des jugements du 7 novembre 2014, a condamné la commune de Villepinte à verser à Mme D... une indemnité de 13 207 euros et à Mme H... une indemnité de 13 502 euros.

2. La commune de Villepinte, estimant que les sommes mises à sa charge à l'occasion de ces litiges avaient pour origine une faute personnelle détachable du service commise par Mme E..., a adressé à cette dernière un avis des sommes à payer en date du 30 juin 2016, d'un montant de 73 894 euros correspondant aux indemnités et frais irrépétibles versés à Mme D... et H..., ainsi qu'aux honoraires d'avocat exposés dans ces différentes instances. Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil, saisi d'une demande d'annulation de ce titre exécutoire et de décharge de l'obligation de payer la somme de 73 894 euros, a annulé l'avis de sommes à payer du 30 juin 2016 en tant qu'il excède la somme de 52 918 euros et a déchargé Mme E... de l'obligation de payer à concurrence de 20 976 euros. Mme E... se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 25 juillet 2019 qui, sur son appel, l'a déchargée du paiement de la somme mise à sa charge par le titre de recettes émis à son encontre le 30 juin 2016 par le maire de Villepinte, en tant que cette somme excède 26 459 euros, et a rejeté le surplus de ses conclusions. Par la voie d'un pourvoi incident la commune de Villepinte demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il a déchargé Mme E... du paiement de la somme mise à sa charge par le titre de recettes émis à son encontre le 30 juin 2016, en tant que cette somme excédait 26 459 euros.

Sur la qualification de la faute :

3. Si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers ces collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi quand le préjudice qu'ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables de l'exercice de leurs fonctions. Présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité.

4. En estimant que le tribunal administratif, qui avait retenu que les agissements de Mme E... révélaient de sa part une faute personnelle détachable du service, avait suffisamment caractérisé l'existence d'une telle faute et que son jugement n'était, par suite, pas insuffisamment motivé, la cour n'a pas entaché son appréciation d'une erreur de qualification.

5. Il résulte des énonciation de l'arrêt attaqué que Mme E... a décidé de suspendre de leurs fonctions, pendant plus de quinze mois, Mmes D... et H... à la suite de la découverte par ces dernières dans sa messagerie professionnelle, à laquelle elles avaient accès compte tenu de leurs fonctions, de trois vidéos à caractère pornographique sur lesquelles Mme E... était reconnaissable et que, eu égard à leur nature, aux conditions dans lesquelles sont intervenues les décisions de suspension édictées par Mme E..., ainsi qu'à leur durée, ces mesures répondaient à l'objectif d'écarter durablement Mmes D... et H... du service pour un motif personnel lié à la découverte de ces vidéos pornographiques. En estimant que ces faits, sur lesquels elle a porté une appréciation souveraine, révélaient des préoccupations d'ordre privé et présentaient par suite le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions de l'intéressée comme maire de la commune de Villepinte, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a entaché son arrêt ni d'erreur de qualification juridique des faits ni d'erreur de droit.

Sur le montant du préjudice :

6. En premier lieu, si Mme E... soutient que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'elle n'était pas fondée à soutenir qu'une partie des indemnités et frais d'instance qui ont été mis à la charge de la commune de Villepinte par les jugements du 7 novembre 2014 seraient partiellement imputables à l'illégalité des décisions de réintégration prises par la maire qui lui a succédé et ne pouvaient donc être mises à sa charge, il ressort des termes de ces jugements que les sommes mises à la charge de la commune par le tribunal administratif se rapportaient aux seules décisions de suspension de fonctions et de prolongation de suspension prises à l'encontre de Mmes D... et H..., et non également aux conditions de la réintégration de ces agents. Par suite, la cour n'a pas entaché son arrêt de dénaturation sur ce point.

7. En second lieu, il incombe aux fonctionnaires et agents des collectivités publiques de supporter l'intégralité des préjudices causés par leur faute personnelle détachable du service lorsque cette faute est seule à l'origine du dommage. Dès lors, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que la suspension de Mmes D... et H... présentait le caractère d'une faute personnelle de Mme E... détachable de l'exercice de ses fonctions de maire, a commis une erreur de droit en jugeant, sans avoir relevé l'existence d'aucune faute de service commise par la commune, que la responsabilité de Mme E... au titre de cette faute personnelle détachable du service pouvait être diminuée de moitié eu égard à la circonstance que les décisions de suspension n'étaient pas dénuées de tout lien avec l'intérêt du service.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi incident, que la commune de Villepinte est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il a déchargé Mme E... du paiement de la somme mise à sa charge par le titre de recettes émis à son encontre le 30 juin 2016, en tant que cette somme excédait 26 459 euros.

Sur le règlement de l'affaire au fond :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, " Le maire est seul chargé de l'administration (...) ". Si Mme E... soutient que les services de la commune ont commis une faute en préparant les arrêtés de suspension mis à sa signature et en ne proposant pas, au cours des quinze mois d'éloignement de Mmes D... et H..., une nouvelle affectation pour les intéressées, il résulte de l'instruction que les services de la commune sont intervenus, en l'espèce, à sa demande et sous son autorité, dans les circonstances exposées au point 5 ci-dessus. Dès lors, Mme E... ne peut utilement soutenir que les services de la commune ont concouru à la réalisation du dommage.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 ci-dessus que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif en tant que ce jugement a laissé à sa charge la somme de 52 918 euros.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Villepinte qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Villepinte au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme E... est rejeté.

Article 2: L'arrêt du 25 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il a déchargé Mme E... du paiement de la somme mise à sa charge par le titre de recettes émis à son encontre le 30 juin 2016, en tant que cette somme excédait 26 459 euros.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme E... devant la cour administrative d'appel de Versailles tendant à ce qu'elle soit déchargée du paiement de la somme de 52 918 euros laissée à sa charge par le jugement du 7 décembre 2017 du tribunal administratif de Montreuil sont rejetées.

Article 4 : Mme E... versera la somme de 3 000 à la commune de Villepinte au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... E... et à la commune de Villepinte.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. M... F..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. K... O..., M. L... I..., M. G... N..., M. B... P..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2021.

La Présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme A... J...


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 434906
Date de la décision : 29/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2021, n° 434906
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:434906.20211229
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