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28/12/2021 | FRANCE | N°452038

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 28 décembre 2021, 452038


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 452038, par une requête, enregistrée le 27 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... H... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 26 février 2021 rapportant le décret du 14 février 2018 lui accordant la nationalité française;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 452712, par une requête, enregistrée le 11 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'E

tat, Mme H... D... présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que dans la requête en...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 452038, par une requête, enregistrée le 27 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... H... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 26 février 2021 rapportant le décret du 14 février 2018 lui accordant la nationalité française;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 452712, par une requête, enregistrée le 11 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... D... présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que dans la requête enregistrée sous le n° 452038 visée au 1°.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Weil, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 452712 et n° 452038 sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.

2. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... D..., ressortissante camerounaise, a déposé le 30 juin 2016 auprès de la préfecture des Hauts-de-Seine une demande de naturalisation, dans laquelle elle indiquait être célibataire et mère de deux enfants dont une, Jenny D..., née le 7 février 2002, de nationalité française en raison de la reconnaissance de paternité de M. B... G.... Au vu de ses déclarations, l'intéressée a été naturalisée par décret du 14 février 2018, publié au Journal officiel de la République française du 16 février 2018. Toutefois, par courriel reçu le 26 février 2019, le préfet des Hauts-de-Seine a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que, par un jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 16 août 2016, la reconnaissance de paternité de M. G... envers l'enfant Jenny D... avait été annulée. Par décret du 26 février 2021, le Premier ministre a rapporté le décret du 14 février 2018 de naturalisation de Mme H... D... au motif qu'il n'avait été pris qu'à raison des manœuvres frauduleuses de l'intéressée. Mme H... D... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

4. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, dans sa version en vigueur à la date du décret attaqué, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie l'engagement de la procédure de retrait à l'intéressé " qui dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification (...) pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Après l'expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé a perdu la qualité de français ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'intéressé a présenté des observations en défense, dans les conditions énoncées ci-dessus, elles doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci se prononce.

5. Il ressort des visas du décret attaqué que les observations en défense de Mme H... D... produites le 19 octobre 2020 ont bien été portées à la connaissance, d'une part, de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat avant que celle-ci rende son avis et, d'autre part, du ministre de l'intérieur avant que ce dernier prenne sa décision. Dès lors, le moyen selon lequel la procédure suivie aurait été irrégulière doit être écarté.

6. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de Mme H... D... commence à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée est portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. Il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à la reconnaissance frauduleuse de l'enfant de l'intéressée transmis par courriel de la préfecture des Hauts-de-Seine, que le

26 février 2019. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 26 février 2021, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'entrée irrégulièrement en France en 2005, Mme H... D... a obtenu un titre de séjour en juin 2007 à la suite de la reconnaissance anticipée par M. G... le 3 octobre 2006 de son enfant C... D..., la demande de titre de séjour ayant été déposée dans le mois suivant la naissance de l'enfant. Par un jugement, devenu définitif, du 16 août 2016, le tribunal de grande instance de Mulhouse a annulé comme frauduleuse la reconnaissance prénatale de l'enfant. Par suite, au regard de ces circonstances, Mme H... D... ayant volontairement bénéficié de cette reconnaissance de paternité par l'obtention d'un titre de séjour, le Premier ministre, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude et à ses conséquences, était légalement fondé à rapporter le décret de naturalisation de Mme H... D... dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 27-2 du code civil doit, par suite, être écarté.

8. En quatrième lieu, la définition des conditions et de la perte de nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrir une autre nationalité. Il résulte des dispositions de l'article 27-2 du code civil qu'un décret ayant conféré la nationalité française peut être rapporté dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec le droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à Mme H... D... la nationalité française. Si Mme H... D... soutient, en invoquant la loi camerounaise, qu'elle aurait perdu la nationalité camerounaise, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait effectivement perdu sa nationalité d'origine ou ne pourrait la recouvrer. Par suite, le Premier ministre a pu légalement prendre le décret attaqué en faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

9. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur les liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, Mme H... D... ne saurait utilement se prévaloir d'une éventuelle perte de son emploi d'infirmière hospitalière et d'un risque de perte de revenu, au demeurant non établis, pour soutenir que le décret attaqué porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ni davantage qu'il méconnaît l'intérêt supérieur de sa fille.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme H... D... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 février 2021 par lequel le Premier Ministre a rapporté le décret du 14 février 2018. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de Mme H... D... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme F... H... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 décembre 2021 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et

M. François Weil, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 28 décembre 2021.

Le Président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. François Weil

La secrétaire :

Signé : Mme E... A...


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 452038
Date de la décision : 28/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2021, n° 452038
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Weil
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet

Origine de la décision
Date de l'import : 31/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:452038.20211228
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