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28/12/2021 | FRANCE | N°449558

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 28 décembre 2021, 449558


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 449558, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 10 février et 23 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 57-2 et 56-5 respectivement des décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire modifiés par les décrets n° 2021-99 du 30 jan

vier 2021 et n° 2021-272 du 11 mars 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 449558, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 10 février et 23 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 57-2 et 56-5 respectivement des décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire modifiés par les décrets n° 2021-99 du 30 janvier 2021 et n° 2021-272 du 11 mars 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 449828, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 février et 10 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des Français de l'étranger (UFE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 57-2 et l'annexe 2 bis et l'article 56-5 et l'annexe 2 bis respectivement des décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire tels que modifiés par les décrets n° 2021-31 du 15 janvier 2021 et n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 450824, par une requête enregistrée le 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... F... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le 1° du I de l'article 57-2 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire modifié par les décrets n° 2021-99 du 30 janvier 2021 et n° 2021-272 du 11 mars 2021.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la Déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 3131-15 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020-1319 du 29 octobre 2020 ;

- le décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 ;

- le décret n° 2021-57 du 23 janvier 2021 ;

- le décret n° 2021-272 du 11 mars 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées par M. B..., Mme F... et l'Union des Français de l'étranger présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, prorogée par la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. L'évolution de la situation sanitaire a permis, en application de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, un assouplissement des mesures à compter du 10 juillet 2020. Une nouvelle progression de l'épidémie a toutefois conduit à l'adoption d'un décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, dont la prorogation a été autorisée par la loi du 14 novembre 2020, puis la loi du 15 février 2021, jusqu'au 1er juin 2021 inclus.

3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. ". L'article L. 3131-13 du même code précise que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code, dans sa version issue de la loi du 9 juillet 2020 : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) ; (...) III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ".

4. Par un décret du 14 octobre 2020, pris sur le fondement des articles L. 3131 12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le Président de la République a déclaré l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le Premier ministre a pris, le 16 octobre 2020 un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, puis, le 29 octobre 2020, un décret ayant le même objet qui l'a abrogé et remplacé, hormis, en application de son article 55, dans certains territoires mentionnés à l'article 72-3 de la Constitution où il demeure applicable. La loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire a prorogé cet état d'urgence jusqu'au 1er juin 2021.

5. Le II des articles 11 respectivement des décrets des 16 octobre et 29 octobre 2020, dans leur version issue du décret modificatif du 23 janvier 2021, dispose que : " (...) Les personnes de onze ans ou plus souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination du territoire métropolitain depuis un pays étranger mentionné sur la liste figurant en annexe 2 bis présentent à l'embarquement le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de 72 heures avant le vol ne concluant pas à une contamination par le covid-19. " Aux termes de l'annexe 2 bis, dans sa version issue du même décret : " Les pays étrangers mentionnés à la première phrase du troisième alinéa du V de l'article 6 et à la première phrase du troisième alinéa du II de l'article 11 sont l'ensemble des pays du monde. ".

6. Par ailleurs, aux termes des articles 57-2 et 56-5 respectivement des décrets des 16 octobre et 29 octobre 2020 dans leur version issue du décret modificatif du 30 janvier 2021 : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes :/ 1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse ; (...) / II. - Les personnes souhaitant bénéficier de l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I doivent se munir d'un document permettant de justifier du motif de leur déplacement. Lorsque le déplacement est opéré par une entreprise de transport, la personne présente, avant l'embarquement, une déclaration sur l'honneur du motif de son déplacement, accompagnée de ce document. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés (...). " Dans la version de ces dispositions issue du décret modificatif du 11 mars 2021, la liste des Etats, en provenance ou à destination desquels, une telle justification ne s'impose pas a été étendue à l'Australie, la Corée du Sud, Israël, le Japon et Singapour.

7. Le Premier ministre a ainsi, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, réglementé les conditions de sortie et d'entrée sur le territoire national en période d'état d'urgence sanitaire, en imposant à toute personne, y compris aux ressortissants français, la justification d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé pour se déplacer entre la France et l'étranger, hormis pour une liste de pays limitativement énumérés, et la présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 réalisée dans les 72 heures dans le pays de départ avant l'embarquement pour tout voyage, notamment par la voie aérienne, à destination de la France.

Sur l'obligation de justification par un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé :

8. Les requérants demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 57-2 et 56-5 des décrets du 16 octobre et 30 novembre 2020, en ce qu'ils subordonnent l'entrée des ressortissants français sur le territoire national à la justification d'un motif impérieux. Ils soutiennent notamment qu'une telle obligation constitue une atteinte au droit fondamental de tout citoyen français de rentrer dans son pays, qui, en tout état de cause, ne saurait être justifiée au regard du but poursuivi.

9. Tout ressortissant français dispose d'un droit d'accès et de séjour sur le territoire national, auquel il ne peut être portée atteinte qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sauvegarde de l'ordre public, notamment pour prévenir, de façon temporaire, un péril grave et imminent. Une restriction à ce droit fondamental peut ainsi être justifiée par la nécessité de préserver la situation sanitaire, sous réserve d'être strictement limitée dans le temps et à la condition que le bénéfice d'une telle mesure pour la protection de la santé publique excède manifestement l'atteinte ainsi portée à ce droit.

10. En l'espèce, si les dispositions contestées ont été adoptées dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées, alors que la vaccination était encore circonscrite aux populations les plus à risque, par une situation épidémiologique et hospitalière en forte dégradation sur le territoire national, l'obligation de justifier de motifs impérieux était susceptible de faire durablement obstacle au droit fondamental des ressortissants français de rejoindre le territoire national, alors que des solutions moins attentatoires à ce droit étaient possibles. Au demeurant, postérieurement à l'édiction des décrets contestés, l'article 3 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a posé le principe selon lequel " aucune justification de motif impérieux ne peut être exigée d'un Français pour entrer sur le territoire français, au titre des dispositions relatives à l'état d'urgence sanitaire et de sortie ou de gestion de sortie de l'état d'urgence sanitaire ou des dispositions prévues par la présente loi. ".

11. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, les requérants sont fondés à demander l'annulation des articles 57-1 et 56-5 des décrets du 16 octobre et du 29 octobre 2020, en ce qu'ils imposent aux ressortissants nationaux, hormis ceux en provenance d'une liste de quelques pays limitativement énumérés, de justifier de motifs impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé pour revenir sur le territoire français.

Sur l'obligation de présenter à l'embarquement le résultat d'un test réalisé moins de 72 heures avant et ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 :

12. L'UFE soutient que les dispositions des articles 11 des décrets des 16 octobre et 29 octobre 2021, ainsi que leur annexe 2 bis, portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ainsi qu'au droit de mener une vie familiale normale, en ce qu'elles imposent à tout ressortissant français établi hors de France et provenant d'un Etat étranger de réaliser un examen biologique de dépistage avant son départ, sans réserver l'hypothèse d'une dispense pour indisponibilité des tests, force majeure ou motif impérieux, et en ce qu'elle exclut les entrées en provenance d'une liste de pays limitativement énumérés, indépendamment de leur situation sanitaire.

13. Si la solution alternative consistant en la réalisation d'un test antigénique à l'arrivée n'a pas le même effet en terme de risque de diffusion du virus, les dispositions contestées, qui ont pour objet de prévenir le déplacement et l'arrivée sur le sol français d'une personne atteinte du virus, ne sauraient toutefois être interprétées comme faisant obstacle à l'embarquement de ressortissants français lorsque la réalisation d'un test préalable s'avère impossible, que ce soit en raison de l'indisponibilité du test dans le pays de départ ou d'une urgence impérieuse à rejoindre le territoire national, tenant à la santé ou la sécurité de la personne.

14. Par suite, l'Union des Français de l'étranger n'est pas fondée à demander l'annulation des articles 11 des décrets du 16 octobre et 29 octobre 2021, ainsi que de leur annexe 2 bis, en ce qu'ils imposent aux ressortissants français à l'embarquement à destination de la France un test concluant à la non contamination.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner le versement par l'Etat à l'Union des Français de l'étranger d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par M. B....

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 57-2 et 56-5 des décrets du 16 octobre et du 29 octobre 2020 sont annulés en ce qu'ils imposent aux ressortissants nationaux, hormis ceux en provenance d'une liste de quelques pays limitativement énumérés, de justifier de motifs impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé pour revenir sur le territoire français.

Article 2 : L'Etat versera la somme 3 000 euros à l'Union des Français de l'étranger au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., Mme E... F... et à l'Union des Français de l'étranger,

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme C... D...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 449558
Date de la décision : 28/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2021, n° 449558
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 30/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:449558.20211228
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