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24/12/2021 | FRANCE | N°438338

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 24 décembre 2021, 438338


Vu la procédure suivante :

1° Sous le numéro 438338, M. C... M... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1407578, 1503140 du 19 mai 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17MA03144 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a fait droit à l'appel que M. M... a formé

contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés le 7...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le numéro 438338, M. C... M... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1407578, 1503140 du 19 mai 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17MA03144 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a fait droit à l'appel que M. M... a formé contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés le 7 février 2020 et le 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

2° Sous le numéro 438344, la société Intérim B... SP Zoo a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1407376 du 19 mai 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17MA03112 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a fait droit à l'appel que la société intérim B... SP Zoo a formé contre ce jugement.

Par un pourvoi enregistré le 7 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. C... M... ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de la vérification de la comptabilité de la société Intérim B... SP Zoo, dont le siège social est situé en Pologne, l'administration fiscale, considérant qu'elle exerçait une activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Elle a par ailleurs notifié à son gérant et unique associé, M. C... M..., des rectifications de ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu au titre de la même période, assorties de pénalités, à raison des bénéfices industriels et commerciaux réalisés par cette société. Par deux arrêts du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appels formés par M. M..., d'une part, et la société intérim B... SP Zoo, d'autre part, contre les jugements du 19 mai 2017 du tribunal administratif de Marseille rejetant leurs conclusions tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires, prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles ils avaient été assujettis. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre ces deux arrêts sous les n° 438338 et 438344.

3. Aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. / II. Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. (...) III. La visite, qui ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures, est effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant ; en cas d'impossibilité, l'officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l'administration des impôts. (...) IV. Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s'il y a lieu. Le procès-verbal et l'inventaire sont signés par les agents de l'administration des impôts et par l'officier de police judiciaire ainsi que par les personnes mentionnées au premier alinéa du III ; en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal. (...) V. Les originaux du procès-verbal et de l'inventaire sont, dès qu'ils ont été établis, adressés au juge qui a autorisé la visite ; une copie de ces mêmes documents est remise à l'occupant des lieux ou à son représentant. Une copie est également adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'auteur présumé des agissements mentionnés au I, nonobstant les dispositions de l'article L. 103. / Les pièces et documents saisis sont restitués à l'occupant des locaux dans les six mois de la visite ; toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées, leur restitution est autorisée par l'autorité judiciaire compétente. (...) VI. L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en œuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 47 ". En vertu de l'article L. 47 de ce code : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'indépendance de la procédure de visite et de saisie instituée par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales par rapport à la procédure de vérification de comptabilité ou d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle concernant le même contribuable, qui constituent deux étapes distinctes de la procédure d'imposition, ne saurait avoir pour effet de réduire dans chacune d'entre elles les garanties accordées au contribuable. Si l'administration peut valablement engager une vérification de comptabilité sans avoir au préalable restitué au contribuable les pièces et documents, notamment comptables, qu'elle a saisis dans le cadre d'une opération de visite domiciliaire, elle est tenue de lui restituer ces documents en principe avant l'engagement de la vérification de comptabilité, en tout état de cause dans les six mois de la visite, et, avant ce terme, dans un délai permettant au contribuable d'avoir, sur place, un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, eu égard à la teneur de ces documents, à leur portée et à l'usage que l'administration pourrait en faire à l'issue de la vérification de comptabilité. A défaut de restitution de ces pièces et documents dans ces délais, la vérification est entachée d'une irrégularité qui vicie la procédure d'imposition dès lors que les redressements contestés procèdent de cette vérification.

5. Dans l'hypothèse d'une pluralité d'occupants de locaux ayant fait l'objet d'une visite domiciliaire, les dispositions de l'article L. 16 B précité obligent, en principe, l'administration à restituer à chacun de ces occupants, dans les conditions prévues par ce texte, les pièces et documents lui appartenant qu'elle a saisis dans le cadre de cette visite. L'administration n'est toutefois tenue à cette obligation qu'à l'égard des occupants dont elle connaissait l'existence à la date de la visite. La circonstance que l'exploitation de documents saisis révèle ultérieurement qu'un contribuable occupait des locaux alors que l'administration n'était pas en mesure d'en avoir connaissance auparavant ne saurait entraîner la décharge des impositions contestées par ce contribuable au seul motif qu'elle ne lui aurait pas restitué ces documents dans les délais prescrits par le V de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par ordonnances du 19 avril 2012, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a autorisé l'administration fiscale à procéder à une visite et une saisie le 23 avril 2012 dans des locaux situés à Velaux, présumés occupés par Mme L... B..., M. M... et l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Elisabeth B... et dans des locaux situés à Berre l'Etang, présumés occupés notamment par l'EURL Elisabeth B... et susceptibles de contenir des documents ou supports d'information relatifs à la fraude présumée de la société de droit polonais Intérim B... SP Zoo. Il ressort des énonciations du procès-verbal établi à l'occasion de la visite et de la saisie dans les locaux locaux situés à Velaux que Mme L... B... a indiqué à l'administration que M. M... et la société de droit polonais Intérim B... SP Zoo n'occupaient pas ces locaux. Les documents saisis à ces deux adresses ont été restitués, le 25 juin 2012, à Mme L... B... à titre personnel et en sa qualité de gérante de l'EURL Elisabeth B....

7. Dans le cadre de la vérification de comptabilité portant sur les années 2009 à 2011 entamée à la suite de la procédure décrite au point précédent, l'administration fiscale s'est appuyée sur les documents saisis le 23 avril 2012 pour estimer que la société Intérim B... SP Zoo disposait, en France, d'un établissement stable. Elle lui a alors notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette période et a par ailleurs notifié à son gérant et unique associé, M. M..., des rectifications de ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu au titre des années 2009 à 2011, assorties de pénalités, à raison des bénéfices industriels et commerciaux réalisés.

8. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que la cour administrative d'appel de Marseille, pour établir que la société Intérim B... SP Zoo ou son gérant occupaient au moins en partie les locaux visités, s'est appuyée sur les seules mentions figurant dans les propositions de rectification du 29 juillet 2013. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, ces rectifications portaient sur la période allant de 2009 à 2011, soit une période antérieure à la date de la visite, et, d'autre part, que ces mentions résultaient de l'exploitation des documents saisis. En outre, il ressort clairement du procès-verbal de la visite domiciliaire que Mme L... B... avait signalé aux agents sur place que ni M. M..., ni la société Intérim B... SP Zoo n'occupaient ces locaux à cette date. Dès lors, il découle de ce qui a été dit au point 5 qu'en prononçant la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles M. M... et la société Intérim B... SP Zoo ont été assujettis au motif que les documents saisis le 23 avril 2012 ne leur avaient pas été remis dans les délais prescrits par le V de l'article L. 16B du livre des procédures fiscales, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'erreur de droit. En outre, il résulte de ce qui vient d'être dit que la cour a entaché son arrêt de dénaturation en retenant que M. M... ou la société Intérim B... SP Zoo occupaient, à la date de la visite domiciliaire, les locaux situés à Velaux.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les arrêts du 12 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.

Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : Les conclusions de M. M... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics, à M. C... M... et à la société Intérim B... SP Zoo.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 décembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme I... D..., M. J... E..., Mme A... K..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Réda Wadjinny-Green, auditeur-rapporteur.

Rendu le 24 décembre 2021

Président :

Signé :

Le rapporteur :

Signé : M. Réda Wadjinny-Green

Le secrétaire :

Signé : Mme H... N...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-06 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT. - CONTRÔLE FISCAL. - VISITES DOMICILIAIRES (ART. L. 16 B DU LPF) - OBLIGATION DE RESTITUTION DES DOCUMENTS SAISIS AUX OCCUPANTS DES LOCAUX, À PEINE D'IRRÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE D'IMPOSITION - CAS D'UNE PLURALITÉ D'OCCUPANTS - 1) PRINCIPE - RESTITUTION À CHACUN DES DOCUMENTS LUI APPARTENANT - 2) TEMPÉRAMENT - OCCUPANTS DONT L'ADMINISTRATION IGNORAIT L'EXISTENCE.

19-01-03-01-06 1) Dans l'hypothèse d'une pluralité d'occupants de locaux ayant fait l'objet d'une visite domiciliaire, l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF) oblige, en principe, l'administration à restituer à chacun de ces occupants, dans les conditions prévues par ce texte, les pièces et documents lui appartenant qu'elle a saisis dans le cadre de cette visite. ......2) L'administration n'est toutefois tenue à cette obligation qu'à l'égard des occupants dont elle connaissait l'existence à la date de la visite. La circonstance que l'exploitation de documents saisis révèle ultérieurement qu'un contribuable occupait des locaux alors que l'administration n'était pas en mesure d'en avoir connaissance auparavant ne saurait entraîner la décharge des impositions contestées par ce contribuable au seul motif qu'elle ne lui aurait pas restitué ces documents dans les délais prescrits par le V de l'article L. 16 B du LPF.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 24 déc. 2021, n° 438338
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Date de la décision : 24/12/2021
Date de l'import : 06/01/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 438338
Numéro NOR : CETATEXT000044635917 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-12-24;438338 ?
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