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22/11/2021 | FRANCE | N°450598

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 22 novembre 2021, 450598


Vu la procédure suivante :

Mme E... G... et ses colistiers ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Bondy. Par un jugement n° 2006201 du 12 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a annulé les opérations électorales.

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés les 11 mars, 14 juin, 13 août, 10 et 15 septembre et 18 octobre 2021 au

secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... et ses colistiers ...

Vu la procédure suivante :

Mme E... G... et ses colistiers ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Bondy. Par un jugement n° 2006201 du 12 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a annulé les opérations électorales.

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés les 11 mars, 14 juin, 13 août, 10 et 15 septembre et 18 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... et ses colistiers demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de valider l'élection des conseillers municipaux et du conseiller communautaire de la commune de Bondy ;

3°) de mettre à la charge de de Mme G..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme G... ;

Vu les trois notes en délibéré, enregistrées les 21 et 22 octobre et 18 novembre 2021, présentées par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 à Bondy (Seine-Saint-Denis), commune de plus de 1 000 habitants, en vue de l'élection des conseillers municipaux et du conseiller communautaire, la liste " Unis pour réussir ! " conduite par M. D... A..., a obtenu à l'issue du second tour de scrutin 4 464 voix, soit 50,36 % des suffrages exprimés et trente-quatre élus au conseil municipal ainsi que le siège de conseiller communautaire. La liste " Ensemble réunissons Bondy " conduite par Mme E... G..., maire sortante, a obtenu 4 400 voix, soit 49,63 % des suffrages exprimés et onze sièges au conseil municipal. M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil ayant, sur protestation de Mme G..., annulé les opérations électorales.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en omettant de préciser la nature des différences de signature entre le premier et le second tour de scrutin l'ayant conduit à regarder dix-neuf votes comme irréguliers ne peut qu'être écarté, dès lors que le tribunal a précisément mentionné le numéro des électeurs dont les émargements présentaient des différences manifestes entre les deux tours.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 118-2 du code électoral : " Si le juge administratif est saisi de la contestation d'une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il sursoit à statuer jusqu'à réception des décisions de la commission instituée par l'article L. 52-14 qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l'expiration du délai fixé au II de l'article L. 52-12. (...) ". Aux termes de l'article R. 120 du même code : " Le tribunal administratif prononce sa décision dans le délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe (bureau central ou greffe annexe) et la notification en est faite dans les huit jours à partir de sa date, dans les conditions fixées à l'article R. 751-3 du code de justice administrative. En cas de renouvellement général, le délai est porté à trois mois. (...) Lorsqu'il est fait application des dispositions de l'article L. 118-2, le délai, prévu au premier alinéa, dans lequel le tribunal administratif doit se prononcer, court à partir de la date de réception par le tribunal administratif des décisions de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ou, à défaut de décision explicite, à partir de l'expiration du délai de deux mois prévu audit article. ". Aux termes de l'article R. 121 de ce code : " Faute d'avoir statué dans les délais ci-dessus fixés, le tribunal administratif est dessaisi ".

4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, saisi d'un recours contre les résultats du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, le juge électoral doit surseoir à statuer jusqu'à la réception des décisions de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à compter de laquelle il dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer. Il résulte de l'instruction que les décisions de cette commission ont été notifiées au tribunal administratif de Montreuil le 9 décembre 2020. En se prononçant le 12 février 2021, soit moins de trois mois après que la commission des comptes de campagne et des financements politiques lui eut notifié sa décision, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les suffrages irrégulièrement exprimés :

5. Aux termes de l'article L. 62-1 du code électoral : " (...) Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ". Aux termes de l'article L. 64 du même code : " (...) Lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par le troisième alinéa de l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : "l'électeur ne peut signer lui-même" ". Il résulte de ces dispositions, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l'encre, d'un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d'impossibilité dûment reporté sur la liste d'émargements ; qu'ainsi, la constatation d'une signature qui présente des différences manifestes entre les deux tours de scrutin sans qu'il soit fait mention d'un vote par procuration sur la liste d'émargement ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité du vote.

6. Il résulte de l'instruction que, parmi les dix-neuf suffrages jugés irréguliers par le tribunal en raison d'un doute sur l'authenticité des signatures apposées sur la liste d'émargement, les signatures électeurs ayant voté sous numéro 119 dans le bureau de vote n° 4, sous le numéro 452 dans le bureau de vote n° 6, sous les numéros 330, 500, 611, et 917 dans le bureau de vote n°10, sous les numéros 852 de la liste principale et 15 de la liste complémentaire dans le bureau de vote n° 11, sous le numéro 97 dans le bureau de vote n° 23, ainsi que sous le numéro 72 du bureau de vote n° 25 présentent des différences significatives entre les deux tours de scrutin sans que la mention d'un vote par procuration ou d'une impossibilité de signer ait été portée sur la liste d'émargement. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif les a jugés irréguliers.

7. Doivent être également regardés comme irréguliers, les votes des électeurs ayant voté sous le numéro 561 dans le bureau de vote n° 11, sous les numéros 601 et 815 dans le bureau n° 23 et sous le numéro 410 dans le bureau de vote n° 25 dont les signatures présentent, selon le tour de scrutin, des différences significatives, sans que cette différence soit justifiée par les mentions portées sur la liste d'émargement ni par l'attestation, produite pour la première fois en appel, par laquelle ils assurent être l'auteur de leur vote, la signature figurant sur la liste d'émargement pour le second tour étant, pour chacun d'eux, étant différente de celle figurant sur la copie du document d'identité produit à l'appui de l'attestation.

8. En revanche, si les signatures des électeurs ayant voté sous le n° 214 dans le bureau de vote n° 10, sous le n°150 dans le bureau de vote n° 23 et sous le n° 82 dans le bureau de vote n° 25 présentent des différences significatives selon le tour de scrutin, la signature figurant sur la liste d'émargement pour le second tour est, pour chacun d'eux, identique à celle figurant sur la copie du document d'identité produit à l'appui de l'attestation par laquelle ils assurent être l'auteur de leur vote. De même, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il ressort de l'examen de la liste d'émargement que les électrices ayant voté sous le n° 924 dans le bureau de vote n° 10 et sous le n° 121 dans le bureau de vote n° 25 ont utilisé alternativement leur nom de famille et leur nom d'usage. Les suffrages correspondant doivent donc être regardés comme ayant été régulièrement émis.

9. Enfin, il résulte également de l'examen des listes d'émargements que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les signatures des électeurs ayant voté sous le numéro 24 dans le bureau de vote n° 10 et sous le numéro 1296 dans le bureau de vote n°11 présentent des différences manifestes entre les deux tours sans qu'il soit fait mention d'un vote par procuration.

10. Il résulte de ce qui précède que seize suffrages doivent être regardés comme irrégulièrement émis lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Bondy. Ces seize suffrages doivent être hypothétiquement déduits du nombre de voix obtenues par la liste conduite par M. A....

En ce qui concerne le déroulement de la campagne électorale :

11. Aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Aux termes de l'article L. 49 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ".

12. Il résulte de l'instruction que des tracts reprenant un article paru sur le site internet du journal Le Parisien le jeudi 25 juin 2020 à 21h19 et intitulé " La maire de Bondy visée par une enquête pour prise illégale d'intérêts ", pour certains sous sa forme originelle mais en recto-verso, ce qui ne permettait pas de lire le verso en cas d'affichage, pour d'autres sous un format n'en reproduisant que le titre, ou grossissant ce dernier tout en tronquant certains développements et en surlignant les éléments à charge, ou enfin sous forme de photographies de Mme G... et de son fils assorties du slogan " Ma famille d'abord ! ", ont été distribués dans les boites aux lettres et sur les pare-brise de véhicules ou placardés dans la commune le vendredi 26 et le samedi 27 juin 2020. M. A... soutient que cette diffusion n'était pas massive, que le contenu du tract ne constituait pas un élément nouveau de propagande électorale, dès lors qu'il se bornait à reproduire l'article en question et que ce dernier mentionnait que l'enquête se fondait notamment sur un enregistrement sonore posté sur Facebook et vu plusieurs milliers de fois, et que Mme G..., qui avait elle-même relayé l'article du Parisien, dès sa publication, en appelant ses abonnés Facebook à le lire dans son intégralité, a été en mesure d'y répondre utilement. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les tracts diffusés ne reproduisaient l'article en cause que de manière biaisée, mettant en exergue les éléments à charge et omettant les éléments à décharge, qu'avant la diffusion de ce tract la probité de la maire sortante n'avait pas fait l'objet de polémiques au cours de la campagne, et que ces tracts ont fait l'objet d'une distribution et d'un affichage massifs au cours des deux jours précédant le scrutin, confirmés par des attestations circonstanciées d'habitants de la commune, mais également par une colistière de la liste de M. A... et un ancien membre de son équipe de campagne, et corroborés par les nombreuses photographies de tracts affichés dans différents endroits de la ville (gare RER, arrêt de bus, halls d'immeuble) ou déposés sur les pare-brise de voitures. La diffusion massive de ces tracts, à une date ne permettant pas à la candidate mise en cause de répondre utilement à cet élément nouveau de la polémique électorale, et mettant gravement en cause sa probité, a, compte tenu de l'écart entre les deux listes s'établissant, comme il résulte de ce qui a été dit au point 10, à seulement quarante-huit voix, soit 0,54 % des suffrages exprimés, porté atteinte à la sincérité du scrutin.

13. M. A... soutient toutefois, d'une part, que des publications sur les réseaux sociaux appelant à voter pour Mme G... effectuées par le joueur de football Kylian B... et " l'influenceuse " Sarah C... le jour du scrutin ont également affecté, en sens inverse, la sincérité de ce dernier. Toutefois, il résulte de l'instruction que le message de M. B... sur le réseau social Twitter se limitait à une photographie prise dans le bureau de vote avec la maire sortante, tous deux portant un masque, assortie de la mention " a voté ", et que les vidéos postées par Mme C... font seulement état, en termes non argumentés, de son soutien personnel à Mme G..., dont il n'est pas soutenu, au demeurant, qu'il serait nouveau. Dans ces conditions, ces publications, diffusées tardivement et auprès d'abonnés nombreux mais dont il n'est pas établi qu'ils incluraient une part significative du corps électoral de Bondy, ne peuvent être regardées comme ayant affecté la sincérité du scrutin.

14. Enfin, si M. A... soutient, d'autre part, que la sincérité du scrutin aurait aussi été affectée par les démarches de Mme G... incitant personnellement, le jour du scrutin, certains électeurs à se rendre aux urnes, il résulte de l'instruction que les photographies de Mme G... prises dans les rues de Bondy, l'attestation d'une électrice et le contrat de location d'un minibus de neuf places ne permettent pas de corroborer ses allégations.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Montreuil a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux et du conseiller communautaire de la commune de Bondy.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme G... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme G... sur le même fondement.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et à Mme E... G....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques,

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 novembre 2021.

Le Président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme F... H...


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 450598
Date de la décision : 22/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2021, n° 450598
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:450598.20211122
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