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22/11/2021 | FRANCE | N°441820

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 22 novembre 2021, 441820


Vu la procédure suivante :

M. A... N... a demandé au tribunal administratif de Paris de constater la prescription des créances déclarées le 6 mars 2015 par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé parisien n° 1 (Paris Nord-Est) à la procédure de redressement judiciaire ouverte à son encontre portant les numéros " 2 " et " 13 " dans la liste établie par le mandataire judiciaire, d'un montant respectif de 151 961 euros et de 7 695,53 euros. Par un jugement n° 1717584 du 31 janvier 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01178 du 9 juillet

2020, enregistré le 10 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil...

Vu la procédure suivante :

M. A... N... a demandé au tribunal administratif de Paris de constater la prescription des créances déclarées le 6 mars 2015 par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé parisien n° 1 (Paris Nord-Est) à la procédure de redressement judiciaire ouverte à son encontre portant les numéros " 2 " et " 13 " dans la liste établie par le mandataire judiciaire, d'un montant respectif de 151 961 euros et de 7 695,53 euros. Par un jugement n° 1717584 du 31 janvier 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01178 du 9 juillet 2020, enregistré le 10 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi enregistré au greffe de cette cour le 28 mars 2019 par M. N....

Par ce pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistré le 31 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. N... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif ;

2°) de constater la nullité des avis à tiers détenteur des 17 décembre 2012, 5 décembre 2013 et 30 septembre 2014, notifiés par le Trésor Public et la prescription des créances nos 2 et 13 d'un montant respectif de 151 961 euros et de 7 695,53 euros, déclarées le 6 mars 2015 par le pôle de recouvrement spécialisé parisien n° 1 à la procédure de redressement judiciaire le concernant ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. N... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. N..., qui exerçait la profession d'avocat, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par un jugement du 8 janvier 2015 du tribunal de grande instance de Paris. Dans le cadre de cette procédure, le pôle de recouvrement spécialisé parisien n° 1 a déclaré le 6 mars 2015 deux créances fiscales d'un montant respectif de 151 961 euros (créance dite n° 2) et 7 695,53 euros (créance dite n°13) qu'il estimait détenir sur M. N.... Celui-ci a contesté l'exigibilité de ces deux créances en faisant valoir qu'elles étaient prescrites. Par deux ordonnances du 22 décembre 2016, le juge commissaire du tribunal de grande instance de Paris, après avoir constaté que la contestation de M. N... portait sur l'exigibilité des créances déclarées et relevait, en application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, de la compétence de la juridiction administrative, a décidé de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal administratif de Paris sur l'exigibilité des créances du Trésor Public. M. N... se pourvoit en cassation contre le jugement du 31 janvier 2019 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande tendant à ce qu'il constate que les deux créances en cause étaient atteintes par la prescription.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si M. N... soutient que ce jugement a été rendu au terme d'une procédure irrégulière au motif que l'avis d'audience qui lui a été adressé n'aurait pas été revêtu des mentions prévues à l'article R. 711-2 du code de justice administrative, il ne saurait être regardé comme assortissant son moyen des précisions nécessaire pour en apprécier le bien-fondé en se bornant à faire valoir que ce document, dont il reconnaît avoir reçu régulièrement notification mais qu'il ne produit pas, ne figure pas dans le dossier de première instance mis à sa disposition.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable ". Aux termes de l'article 2240 du code civil : " La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. ". A cet égard, la reconnaissance, par le redevable de l'impôt, de l'exigibilité de sa dette s'entend de tout acte ou de toute démarche par lesquels celui-ci admet son obligation de payer une créance définie par sa nature, son montant et l'identité de son titulaire. En vertu de l'article 2244 du code civil, le délai de prescription est également interrompu, notamment, par un acte d'exécution forcée, au nombre desquels sont les avis à tiers détenteurs.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur l'exigibilité de la créance n° 2 :

4. Par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation, le tribunal administratif a relevé que le comptable public avait diligenté des actes de poursuite en vue du recouvrement d'une créance fiscale portant sur des droits de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités correspondantes dus par M. N... au titre de périodes comprises entre juillet 2006 et novembre 2009, qui a fait l'objet, sous la désignation de " créance n° 2 ", d'une déclaration à la procédure collective le 6 mars 2015 à concurrence d'un montant non encore acquitté de 151 961 euros. Le tribunal a notamment relevé que le comptable public avait émis aux fins de recouvrement de cette créance un avis à tiers détenteur le 17 décembre 2012, adressé à M. N... à son adresse professionnelle, et que si ce dernier contestait la signature apposée le 19 décembre 2012 sur l'avis de réception correspondant en faisant valoir que son cabinet avait quitté cette adresse depuis le 31 mai 2012, il reconnaissait toutefois avoir pris connaissance de cet acte de poursuite par l'intermédiaire de la Caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) au plus tard le 3 janvier 2013 et avoir pris contact avec l'administration à cette même date En déduisant de cette connaissance acquise que l'avis à tiers détenteur ainsi émis par le comptable public avait valablement interrompu le cours de la prescription de l'action en recouvrement prévue à L. 274 du livre des procédures fiscales, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.

5. Compte tenu de l'effet interruptif de prescription ainsi reconnu par le tribunal administratif à l'avis à tiers détenteur émis le 17 décembre 2012, les motifs par lesquels il s'est également fondé, pour juger que la créance n° 2 n'était pas prescrite à la date de sa déclaration à la procédure collective, sur des paiements effectués par M. N... en 2013 et en 2014 revêtent un caractère surabondant. M. N... ne saurait, par suite, utilement soutenir que ces derniers motifs seraient entachés d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que M. N... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il a statué sur la créance n° 2.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur l'exigibilité de la créance n° 13 :

7. Le tribunal s'est notamment fondé, pour estimer que la prescription de l'action en recouvrement de la créance n° 13, d'un montant de 7 695,53 euros, avait été interrompue, d'une part, sur un courrier du 22 mars 2007 visant le " dossier taxe sur la valeur ajoutée " par lequel M. N... avait informé l'administration qu'il ne disposait pas de la trésorerie nécessaire pour un règlement de " 5 000 euros " mensuels sur 6 mois dont il avait été question pour lui permettre d'apurer son arriéré mais qu'il pourrait envisager un règlement global des 30 000 euros en cause au plus tard au 30 juin 2007. Il s'est appuyé, d'autre part, sur un nouveau courrier du 24 janvier 2011 se référant au même " dossier taxe sur la valeur ajoutée ", et par lequel le contribuable avait expressément reconnu une dette au principal d'un montant de " 7 949,53 euros ". Il en a déduit que cette démarche, qui se référait clairement à une créance définie par sa nature, l'identité du créancier et son montant, valait reconnaissance de sa dette par le contribuable, alors même que, s'agissant du montant, le contribuable évoquait des sommes supérieures à la créance en litige. En statuant ainsi, sans rechercher si les montants évoqués par M. N... dans ses courriers se rapportaient précisément aux créances en litige, le tribunal a commis une erreur de droit.

8. Il suit de là que M. N... est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il a statué sur l'exigibilité de créance n° 13.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la limite de la cassation prononcée.

10. La question de savoir si la créance n°13 est prescrite ne peut être résolue en l'état du dossier. En effet celui-ci ne comporte pas les avis à tiers détenteurs des 24 novembre 2010 et 18 janvier 2011 dont il était fait état par les parties devant le tribunal administratif. Il y a lieu, dans ces conditions, d'ordonner un supplément d'instruction tendant à la production par les parties de ces documents.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 31 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a statué sur l'exigibilité de la créance n° 13, d'un montant de 7 695,53 euros, déclarée le 6 mars 2015 par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé parisien n° 1 (Paris Nord-Est) à la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de M. N....

Article 2 : Avant de statuer sur les conclusions de la demande de M. N... tendant à ce qu'il soit constaté que cette créance n° 13 est prescrite ainsi que sur ses conclusions tendant à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il sera procédé à un supplément d'instruction tendant à la production, par la partie la plus diligente, des documents mentionnés au point 10 des motifs de la présente décision.

Article 3 : Ces documents devront parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... N... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. J... D..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. H... L..., M. E... K..., M. B... M..., M. I... G..., Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Charles-Emmanuel Airy

La secrétaire :

Signé : Mme C... F...


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441820
Date de la décision : 22/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2021, n° 441820
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:441820.20211122
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