La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/11/2021 | FRANCE | N°455421

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 08 novembre 2021, 455421


Vu la procédure suivante :

M. F... H..., à l'appui de sa requête tendant, d'une part, à l'annulation des décisions du département de la Loire-Atlantique refusant de lui communiquer l'ensemble des documents administratifs, pièces, rapports et évaluations du dossier ouvert à la suite de l'information préoccupante concernant ses enfants O... et N... H... et, d'autre part, à ce que soit ordonnée la communication de l'ensemble de ces documents, a produit un mémoire, enregistré le 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif de Nantes, en application de l'article 23-1 de l'o

rdonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une ...

Vu la procédure suivante :

M. F... H..., à l'appui de sa requête tendant, d'une part, à l'annulation des décisions du département de la Loire-Atlantique refusant de lui communiquer l'ensemble des documents administratifs, pièces, rapports et évaluations du dossier ouvert à la suite de l'information préoccupante concernant ses enfants O... et N... H... et, d'autre part, à ce que soit ordonnée la communication de l'ensemble de ces documents, a produit un mémoire, enregistré le 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif de Nantes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2009895 QPC du 6 août 2021, enregistrée le 10 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 1re chambre du tribunal administratif de Nantes, avant qu'il soit statué sur la demande de M. H..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'action sociale et des familles, notamment son article L. 226-9 ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration, notamment son article L. 311-6 ;

- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 et l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. F... H... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des articles 23-1 et 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la question prioritaire de constitutionnalité transmise par un tribunal administratif au Conseil d'Etat est renvoyée au Conseil constitutionnel à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Le Conseil d'Etat examine la question prioritaire de constitutionnalité dans la limite des dispositions dont la conformité à la Constitution a fait l'objet de la transmission par le tribunal.

2. Il ressort de l'ordonnance du 6 août 2021 du tribunal administratif de Nantes que le Conseil d'Etat est saisi d'une question portant sur la conformité à la Constitution des articles L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, dont seuls les 1° et 3° sont applicables au litige. M. H... soutient que ces dispositions, de nature législative, méconnaissent le droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'elles font obstacle à la communication, aux parents d'un enfant dont la situation a été signalée au service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger et aux services de l'aide sociale à l'enfance, des informations leur permettant de se défendre et, en particulier, de l'identité de l'auteur du signalement.

3. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ". Est garanti, par cette disposition, le droit d'accès aux documents administratifs. Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

4. L'article L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le secret professionnel est applicable aux agents du service d'accueil téléphonique et de l'Observatoire national de la protection de l'enfance dans les conditions prévues aux articles

226-13 et 226-14 du code pénal. Le quatrième [alinéa] de l'article L. 226-3 est également applicable aux informations recueillies par le service d'accueil téléphonique ". En vertu de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) h) Ou sous réserve de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, aux autres secrets protégés par la loi ". Aux termes des dispositions, relevant du domaine de la loi, de l'article L. 311-6 du même code, issu de l'ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration, prise dans le cadre de l'habilitation prévue à l'article 3 de la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens et dont le délai d'habilitation est expiré à la date de la présente décision : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ".

En ce qui concerne le 1° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration :

5. La liberté proclamée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen implique le respect de la vie privée. Par suite, en prévoyant, au 1° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, que les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ne sont communicables qu'à l'intéressé, le législateur a apporté au droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration de 1789 une limitation liée à une exigence constitutionnelle, qui n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

En ce qui concerne l'article L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles et le 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration :

6. Il résulte des dispositions citées au point 4 que les informations recueillies par les agents du service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger mentionnés à l'article L. 226-9 du code de l'action sociale et des familles sont couvertes par le secret professionnel et ne sont pas communicables aux tiers. En outre, si les documents produits ou reçus par les services d'aide sociale à l'enfance dans le cadre de leur mission de service public de protection de l'enfance en danger constituent des documents administratifs et sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande, sur le fondement de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration, doivent être occultées préalablement à une telle communication, notamment, l'ensemble des mentions révélant le comportement d'une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, conformément au 3° de l'article

L. 311-6 du même code, au nombre desquelles figure l'identité d'une personne signalant à l'autorité administrative des faits qu'elle estime répréhensibles.

7. Les dispositions mentionnées au point 4 visent notamment à éviter que les témoins de tels faits ne soient dissuadés de les dénoncer à l'autorité compétente par crainte de représailles de la part des personnes qu'ils mettent en cause. La limitation ainsi apportée au droit d'accès aux documents administratifs est dès lors justifiée par un objectif d'intérêt général. S'agissant en particulier des signalements portant sur la situation de mineurs dont la santé ou la sécurité est en danger ou en risque de l'être, une telle limitation est liée aux exigences constitutionnelles, résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, selon lesquelles la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et garantit à tous, notamment à l'enfant, la protection de la santé, dont il résulte une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.

8. D'une part, il appartient aux autorités administratives destinataires de signalements constitutifs d'une dénonciation calomnieuse au sens de l'article 226-10 du code pénal de porter ces faits à la connaissance du procureur, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale. Il est en outre loisible aux personnes qui s'estiment abusivement mises en cause de déposer plainte pour ce motif et de mettre en jeu la responsabilité civile des auteurs de signalements effectués de mauvaise foi et qui leur ont causé un préjudice, lorsqu'ils ont été identifiés. D'autre part, et sans préjudice du droit d'accès au dossier reconnu aux parties et à leurs conseils dans le cadre de la procédure d'assistance éducative qui serait éventuellement ouverte sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil, les titulaires de l'autorité parentale sur un mineur faisant l'objet d'un tel signalement peuvent, afin de contester les faits qui leur sont reprochés, le cas échéant, obtenir communication de l'ensemble des documents produits ou reçus par les services de l'aide sociale à l'enfance dans ce cadre, notamment du rapport d'évaluation sociale réalisé à la suite du signalement, y compris de la teneur des griefs qui leur sont adressées et des mentions émanant de ces services portant une appréciation ou un jugement de valeur sur leur comportement à l'égard de l'enfant, à l'exception des mentions couvertes par les dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Dans ces conditions, la limitation au droit d'accès aux documents administratifs résultant des dispositions contestées ne saurait être regardée comme disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Nantes, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Nantes.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F... H... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Nantes.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. I... G..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme K... B..., M. L... C..., Mme A... M..., M. D... E..., M. François Weil, conseillers d'Etat, et

M. Réda Wadjinny-Green, auditeur-rapporteur.

Rendu le 8 novembre 2021

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Réda Wadjinny-Green

La secrétaire :

Signé : Mme J... P...


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 455421
Date de la décision : 08/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2021, n° 455421
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:455421.20211108
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award