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20/10/2021 | FRANCE | N°448834

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 20 octobre 2021, 448834


Vu la procédure suivante :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, d'annuler l'élection de l'ensemble des candidats proclamés élus à l'issue du scrutin qui s'est déroulé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de D..., et, à titre subsidiaire, de modifier le nombre de suffrages recueillis par la liste " D... ensemble " dont il est la tête afin qu'elle puisse atteindre le seuil de 5 %. Par un jugement n° 2001395, 2001967 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa protestation. >
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 janvier ...

Vu la procédure suivante :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, d'annuler l'élection de l'ensemble des candidats proclamés élus à l'issue du scrutin qui s'est déroulé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de D..., et, à titre subsidiaire, de modifier le nombre de suffrages recueillis par la liste " D... ensemble " dont il est la tête afin qu'elle puisse atteindre le seuil de 5 %. Par un jugement n° 2001395, 2001967 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa protestation.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 janvier et le 21 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, d'annuler l'élection de l'ensemble des candidats qui ont été proclamés élus à l'issue du scrutin qui s'est déroulé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de D... et, à titre subsidiaire, de modifier le nombre de suffrages recueillis par la liste " D... ensemble " dont il est la tête afin qu'elle puisse atteindre le seuil de 5 % ;

3°) de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code électoral ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour le premier tour des élections municipales de la commune de D... (Alpes-Maritimes), la liste " D... Dynamique " conduite par M. E... B... a obtenu 6 234 voix soit 52,40 % des suffrages exprimés, contre 15,39 % à la liste " D... à Tous - Ensemble et Autrement " menée par M. H.... Les autres listes qui ont obtenu un ou plusieurs sièges au conseil municipal sont celles de M. J... (" La voix du bon sens ") qui a obtenu 8,77 % des suffrages exprimés, M. L... et servir D...) " qui a obtenu 8,12 % des suffrages exprimés et M. I... (" S'unir pour l'avenir ") qui a obtenu 5,51 % des suffrages exprimés, les autres listes n'ayant pas obtenu de sièges étant notamment celles conduites par M. G... (" M... D... ") et M. F... (" D... ensemble "). M. F... dont la liste a obtenu 3,82 % des suffrages exprimés, relève appel du jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête tendant à l'annulation du scrutin.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...). Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) ". M. F... n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 portent atteinte à certains droits et libertés garantis par la Constitution. Ce moyen n'est, par suite, pas recevable et ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité du jugement du 18 décembre 2020 :

3. En premier lieu, si M. F... soutient qu'il n'aurait pas reçu communication des mémoires en défense des parties, il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs ne sont pas tenus d'ordonner la communication des mémoires en défense des conseillers municipaux dont l'élection est contestée aux auteurs des protestations, ni des autres mémoires ultérieurement enregistrés, et qu'il appartient seulement aux parties, si elles le jugent utile, de prendre connaissance de ces mémoires au greffe du tribunal administratif. Ainsi, le défaut de communication de ces mémoires n'entache pas la décision juridictionnelle d'irrégularité, même s'ils contiennent des éléments nouveaux. Dans ces conditions, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal a méconnu le caractère contradictoire de la procédure en omettant de lui communiquer les pièces en cause.

4. En deuxième lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires, y compris lorsqu'elles concernent des requérants distincts. La jonction est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge d'appel ou devant le juge de cassation. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Nice a entaché le jugement attaqué d'une irrégularité en joignant sa protestation et celle de M. G....

5. En dernier lieu, si M. F... soulève un moyen tiré de l'insuffisance de motivation du tribunal administratif, il n'apporte pas d'éléments permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors qu'il résulte des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nice a suffisamment répondu à tous les moyens opérants qu'il avait soulevés devant lui.

Au fond :

6. En premier lieu, d'une part, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

7. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

8. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ".

9. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

10. En l'espèce, M. F... fait valoir que l'interdiction des rassemblements de plus de cinquante personnes trois jours avant le scrutin et la mise en confinement de la caserne de gendarmerie de D..., située à proximité de plusieurs bureaux de vote, ont altéré la sincérité du scrutin. Si le taux de participation relevé sur la commune de D... a été inférieur au taux de participation national de 2020 et au taux de participation local de 2014, il ne résulte pas de l'instruction que des circonstances relatives au déroulement de la campagne électorale et du scrutin dans la commune de D... auraient fait obstacle, de quelque manière que ce soit, au libre exercice du droit de vote des électeurs. De même, le fait que des personnes inscrites sur les listes électorales de D... ont déclaré n'avoir pas souhaité se rendre aux élections du fait de la situation sanitaire ne caractérise pas des circonstances qui constitueraient une atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats, en l'absence de démonstration qu'elles n'auraient pas affecté l'ensemble des candidats de la même manière. Enfin, le niveau de l'abstention constaté ne peut, ainsi qu'il a été dit au point 9, être regardé par lui-même comme ayant altéré la sincérité du scrutin, en l'absence d'invocation de toute autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune. La circonstance que, dans ce contexte, la liste conduite par M. F... n'ait obtenu que 455 voix représentant 3,82 % des suffrages exprimés, soit un résultat inférieur à celui qui lui aurait permis d'obtenir le remboursement des frais de propagande officielle et de campagne, est en l'espèce sans incidence sur la sincérité du scrutin.

11. Par ailleurs, M. F... se borne à reprendre en appel, sans les étayer d'éléments nouveaux, les moyens, qu'il avait invoqués en première instance, tirés de ce que le maintien de l'élection acquise au premier tour le 15 mars 2020 méconnaît le principe de l'égalité du suffrage, de ce que la liste conduite par M. E... B..., candidat et maire sortant, a tiré profit de sa position de maire pour réaliser des ouvrages et programmes " de dernière minute " lui permettant d'accroître sa notoriété et d'en tirer un bénéfice électoral et de ce que le maintien des élections municipales du 15 mars 2020 est critiquable compte tenu de l'état d'urgence sanitaire. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Nice dans son jugement du 18 décembre 2020.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

13. Aux termes de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 rendu applicable par les dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure, outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts ".

14. Les passages du mémoire en réplique de M. F... enregistré le 21 avril 2021 visés par le mémoire présenté par M. B... et autres ne présentant pas un caractère injurieux et diffamatoire, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression en application des dispositions citées au point 13.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. F... au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. B... et autres présentées au titre des dispositions des articles L. 741-2 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... F..., à M. E... B..., premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs et au ministre de l'Intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 septembre 2021 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 20 octobre 2021.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

La rapporteure :

Signé : Mme Coralie Albumazard

La secrétaire :

Signé : Mme K... C...


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 448834
Date de la décision : 20/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 oct. 2021, n° 448834
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448834.20211020
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