La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/10/2021 | FRANCE | N°438362

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 12 octobre 2021, 438362


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau, en premier lieu, d'annuler la décision de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur son recours administratif du 29 septembre 2014 relatif notamment à son avancement de grade et à la communication de documents, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 5 janvier 2015 prise par la même autorité sur la mise en œuvre de la protection fonctionnelle qu'elle lui avait accordée, en troisième lieu, d'enjoindre à la même autorité de pre

ndre en charge au titre de la protection fonctionnelle l'intégralité de...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau, en premier lieu, d'annuler la décision de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur son recours administratif du 29 septembre 2014 relatif notamment à son avancement de grade et à la communication de documents, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 5 janvier 2015 prise par la même autorité sur la mise en œuvre de la protection fonctionnelle qu'elle lui avait accordée, en troisième lieu, d'enjoindre à la même autorité de prendre en charge au titre de la protection fonctionnelle l'intégralité des frais afférents à la procédure qu'il a engagée et de reconstituer sa carrière, enfin, de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 9 400 euros en réparation de son préjudice de rémunération et de 35 000 euros en réparation de ses préjudices moral et de carrière. Par un jugement n° 1500229 du 16 octobre 2017, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision implicite de rejet du recours administratif du 29 septembre 2014 en tant qu'elle porte sur la communication des documents demandés et a rejeté le surplus des demandes de M. B....

Par un arrêt n° 17BX04009 du 10 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement dans la mesure où il lui fait grief.

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 7 février, 29 avril et 2 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2006-8 du 4 janvier 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., alors titulaire du grade de chef technicien supérieur du ministère de l'agriculture, a adressé les 4 et 24 juin 2014 au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt une demande tendant, d'une part, au bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des faits de harcèlement moral dont il s'estimait victime et, d'autre part, à son inscription sur la liste d'aptitude en vue d'une promotion dans le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement. Il a formé le 29 septembre 2014 un recours administratif contre les décisions de rejet nées du silence gardé par l'administration sur ces demandes, par lequel il demandait également la communication de documents administratifs et la réparation de préjudices moral, de rémunération et de carrière. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, par une décision du 25 novembre 2014, a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. B... puis, répondant le 5 janvier 2015 à un courrier de ce dernier relatif notamment aux modalités d'intervention de son avocat, a indiqué ne pas pouvoir prendre d'engagement financier. M. B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler tant la décision de rejet née du silence gardé par le ministre sur son recours administratif du 29 septembre 2014 que la décision du 5 janvier 2015, par laquelle, selon lui, la même autorité lui a retiré le bénéfice de la protection fonctionnelle initialement accordée, d'enjoindre à la même autorité de prendre en charge au titre de la protection fonctionnelle l'intégralité des frais afférents à la procédure qu'il a engagée et de reconstituer sa carrière, ainsi que de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 9 400 euros en réparation de son préjudice de rémunération et de 35 000 euros en réparation de ses préjudices moral et de carrière. Par un jugement du 16 octobre 2017, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision de rejet implicite du recours administratif du 29 septembre 2014 en tant qu'elle porte sur la communication des documents demandés et a rejeté le surplus des demandes. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement en tant qu'il ne fait pas entièrement droit à ses demandes.

Sur la régularité des décisions des juges du fond :

2. En premier lieu, en relevant que la page insérée à tort par l'administration dans l'extrait de procès-verbal de la commission administrative paritaire tenue en 2014 produit devant le tribunal administratif de Pau n'avait pas exercé d'influence sur le sens de l'appréciation portée par le tribunal, la cour administrative d'appel a répondu de manière suffisamment motivée au moyen de M. B... tiré de ce que cet extrait constituait un faux.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à l'instance devant le tribunal administratif de Pau : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 613-2 du même code : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ".

4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'il décide de soumettre au contradictoire une production de l'une des parties après la clôture de l'instruction, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Ce n'est que lorsque le délai qui reste à courir jusqu'à la date de l'audience ne permet plus l'intervention de la clôture automatique trois jours francs avant l'audience prévue par l'article R. 613-2 du code de justice administrative mentionné ci-dessus, qu'il appartient à ce président, qui, par ailleurs, peut toujours, s'il l'estime nécessaire, fixer une nouvelle date d'audience, de clore l'instruction ainsi rouverte.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que devant le tribunal administratif de Pau, le mémoire en défense de l'administration a été produit le 19 février 2016, jour fixé par ordonnance pour la clôture de l'instruction. Il résulte de ce qui précède que la communication de ce mémoire a eu pour effet de rouvrir l'instruction et qu'eu égard à la date à laquelle l'audience a finalement été fixée, soit le 2 octobre 2017, le président de la formation de jugement n'était pas tenu de clore par ordonnance l'instruction ainsi rouverte. M. B... n'est par suite pas fondé à soutenir qu'en écartant le moyen tiré de l'irrégularité dont la procédure devant le tribunal aurait été entachée en l'absence d'une telle ordonnance, la cour administrative d'appel aurait méconnu les principes du caractère contradictoire de la procédure et du droit à un procès équitable.

6. En troisième lieu, la cour n'a pas davantage méconnu ces principes en jugeant que le tribunal avait pu, sans commettre d'irrégularité, s'abstenir de communiquer à M. B... une pièce dont la production avait été demandée à l'administration, dès lors que le tribunal ne s'est fondé pour prendre sa décision sur aucune pièce dont l'intéressé n'aurait pas eu connaissance.

Sur la protection fonctionnelle :

7. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable aux faits en litige : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire./ (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".

8. Les dispositions citées au point précédent établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à raison de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l'agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances.

9. S'il est loisible à l'agent auquel le bénéfice de la protection fonctionnelle a été accordé de contester devant le juge de l'excès de pouvoir une décision prise par l'administration sur les modalités de cette protection, au motif qu'il en résulte, y compris en tenant compte d'autres mesures de protection mises en œuvre par ailleurs, une protection insuffisante au regard de son objet, la seule circonstance que l'administration ne mette pas en œuvre une mesure de protection déterminée demandée par l'agent ne s'analyse en revanche pas, en elle-même, comme un retrait de la décision accordant le bénéfice de la protection. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour administrative d'appel a jugé que la décision du 5 février 2015, refusant de prendre un engagement financier sur les modalités de protection souhaitées par M. B..., ne lui avait pas retiré le bénéfice de la protection fonctionnelle accordé par la décision du 25 novembre 2014.

Sur le refus d'inscription sur la liste d'aptitude :

10. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune discrimination, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur âge ".

11. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux qui permettent d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

12. Pour écarter le moyen tiré de ce que le refus d'inscrire M. B... sur la liste d'aptitude en vue d'une promotion dans le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement présentait un caractère discriminatoire, la cour administrative d'appel a estimé que sa candidature avait été refusée du fait de l'incertitude sur sa capacité à effectuer une mobilité en raison de son âge mais que le fait d'avoir tenu compte de son âge n'était pas constitutif d'une discrimination, dès lors que le refus de sa candidature était par ailleurs et principalement motivé par l'absence de reconnaissance d'expertise dans son domaine de compétence. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration ne motivait pas sa décision de refus par l'absence de reconnaissance d'expertise dans le domaine de compétence de M. B... mais se bornait à indiquer que si ce dernier sollicitait la reconnaissance de son expertise dans les conditions définies par une note de service, il bénéficierait de l'adaptation de l'exigence de mobilité prévue dans cette hypothèse. Par suite, en statuant comme elle l'a fait, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

Sur le harcèlement moral :

13. M. B... soutient que pour rejeter ses conclusions aux fins d'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'il aurait subi, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'il se bornait à reprendre en appel ses productions de première instance et a en conséquence insuffisamment motivé son arrêt en adoptant les motifs des premiers juges. Toutefois, les éléments nouveaux qu'il a développés en appel portaient soit sur le seul caractère discriminatoire du refus d'inscription sur la liste d'aptitude, soit sur des faits postérieurs à l'introduction de sa demande d'indemnisation, de sorte qu'ils ne pouvaient en tout état de cause venir utilement au soutien de sa demande de réparation à raison du harcèlement moral qu'il alléguait, que la cour a ainsi pu régulièrement rejeter par adoption des motifs des premiers juges.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué qu'en tant qu'il statue sur le litige relatif au refus de l'inscrire sur la liste d'aptitude en vue d'une promotion dans le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement et à la réparation des éventuels préjudices causés par ce refus.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 10 décembre 2019 est annulé en tant qu'il statue sur le litige relatif au refus d'inscrire M. B... sur la liste d'aptitude en vue d'une promotion dans le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement et à la réparation des éventuels préjudices causés par ce refus.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 septembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 12 octobre 2021.

Le Président :

Signé : M. Guillaume Goulard

Le rapporteur :

Signé : M. Martin Guesdon

La secrétaire :

Signé : Mme C... D...


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 438362
Date de la décision : 12/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 oct. 2021, n° 438362
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Martin Guesdon
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:438362.20211012
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award