Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 octobre 2020 et 15 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 août 2020 rapportant le décret du 4 décembre 2013 en ce qu'il lui avait accordé la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Lasall, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. M. A..., ressortissant bangladais, ayant obtenu le statut de réfugié par une décision du 11 janvier 2010 de la Cour nationale du droit d'asile, a déposé une demande de naturalisation, le 15 octobre 2012, dans laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 4 décembre 2013. Toutefois, par bordereau reçu le 13 août 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations que M. A... aurait contracté un mariage, le 13 juin 2012 avec Mme B... A..., ressortissante bangladaise, résidant habituellement à l'étranger avec l'enfant du couple, Prabal A..., né de cette union le 29 avril 2013. Par décret du 16 août 2020, le ministre de l'intérieur a rapporté le décret de naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué que celui-ci a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur et la ministre déléguée à la citoyenneté, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces signatures ne figurent pas sur la même page. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué n'aurait pas été contresigné par le ministre de l'intérieur et la ministre déléguée à la citoyenneté ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, le délai de deux ans prévu à l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de M. A... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale du requérant que le 16 août 2018, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs au mariage et à l'enfant de l'intéressé transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur le bordereau reçu par le service des naturalisations. Dans ces conditions, le décret attaqué, signé le 16 août 2020, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
5. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française. Par suite, ainsi que l'énonce le décret attaqué, la circonstance que l'intéressé ait dissimulé être marié avec une ressortissante bangladaise et être le père d'un enfant était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est marié le 13 juin 2012 en Inde avec une ressortissante bangladaise résidant habituellement à l'étranger, et qu'un enfant est né de cette union. M. A... soutient qu'il ne pouvait produire, lors de l'instruction de sa demande de naturalisation, l'acte de ce mariage religieux dans la mesure où il n'a été enregistré par les autorités indiennes que le 28 avril 2017. Toutefois, la circonstance que cette union ne pourrait être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable n'interdit pas à l'autorité compétente de prendre en compte son existence pour apprécier si la condition de résidence posée par l'article 21-16 du code civil est remplie. Il en résulte qu'alors même qu'il remplirait les autres conditions requises à l'obtention de la nationalité française, la circonstance que l'intéressé ait conclu une union coutumière à l'étranger avec une ressortissante bangladaise et qu'un enfant soit né de cette union était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 22 octobre 2012, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signé. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur n'a pas méconnu les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
7. En quatrième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. Il résulte des dispositions de l'article 27-2 du code civil qu'un décret ayant conféré la nationalité française peut être rapporté dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec le droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à M. A... la nationalité française, sans que l'intéressé puisse utilement se prévaloir de la perte du statut de réfugié dès lors que le retrait de l'acte de naturalisation a pour effet de le rétablir dans son statut antérieur.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porte atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A....
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 août 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a rapporté le décret du 4 décembre 2013 qui lui avait accordé la nationalité française. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.