Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août et 24 novembre 2020 et 26 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la sentence arbitrale (n° 22883/GR) rendue à Paris le 24 juin 2020 par le tribunal arbitral composé sous l'égide de la Chambre de commerce internationale qui a condamné solidairement les sociétés Tecnimont SpA, TCM FR SA et Saipem à payer à la société Fosmax A... la somme de 31 966 704,57 euros, avec intérêts moratoires capitalisés, au titre des travaux réalisés en régie et rejeté le surplus des conclusions des parties ;
2°) de faire droit à leurs conclusions devant ce tribunal arbitral ;
3°) de mettre à la charge de la société Fosmax A... la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, notamment son article V ;
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 ;
- la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 ;
- la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 93-990 du 3 août 1993 ;
- le décret n° 2002-56 du 8 janvier 2002 ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Tecnicmont Spa et de la société TCM FR SA et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Fosmax A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié au Journal officiel de l'Union européenne le 27 novembre 2001, Gaz de France, alors établissement public industriel et commercial, a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un contrat ayant pour objet la construction d'un terminal méthanier sur la presqu'île de Fos Cavaou, ouvrage comprenant principalement des installations de déchargement des navires méthaniers, des réservoirs de stockage et des unités de regazéification. Le contrat a été attribué le 17 mai 2004 au groupement momentané d'entreprises solidaires STS, composé des sociétés Sofregaz, devenue TCM FR, SN Technigaz et Saipem. Par un avenant du 17 juin 2005, Gaz de France, devenu société anonyme, a cédé le contrat, avec effet rétroactif à sa date de signature, à sa filiale, la société du terminal méthanier de Fos Cavaou, laquelle a ensuite pris le nom de B... A.... Par avenant du 23 janvier 2008, les droits et obligations de la société SN Technigaz ont été transférés à la société Saipem et la société de droit italien Tecnimont est entrée dans le groupement. Par un nouvel avenant conclu le 11 juillet 2011, les parties au contrat y ont inséré une clause compromissoire prévoyant que tout différend relatif au contrat serait tranché définitivement suivant le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par trois arbitres nommés conformément à ce règlement. Un différend étant né entre les parties, la société Fosmax A... a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage, sous l'égide de la Chambre de commerce internationale, afin d'obtenir réparation du préjudice résultant pour elle du retard et des malfaçons dans la livraison du terminal méthanier. Le groupement STS a formé de son côté des conclusions reconventionnelles tendant au remboursement de l'intégralité des surcoûts supportés par lui pour la réalisation du terminal. Aux termes d'une sentence rendue le 13 février 2015, le tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Chambre de commerce internationale a jugé que le groupement STS devrait payer la somme de 68 805 345 euros à la société Fosmax A... et que celle-ci devrait payer au groupement la somme de 128 162 021 euros et rejeté le surplus des demandes. Le 18 mars 2015, la société Fosmax A... a saisi le Conseil d'Etat d'un recours tendant à l'annulation de la sentence arbitrale. Par décision du 3 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a saisi le Tribunal des conflits de la question de compétence en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015. Celui-ci, par une décision du 11 avril 2016, a jugé que le recours en annulation formé contre la sentence arbitrale ressortissait à la compétence de la juridiction administrative. Par décision du 9 novembre 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé la sentence du 13 février 2015 en tant qu'elle avait rejeté la demande de la société Fosmax A... tendant au paiement par le groupement STS de la somme de 36 359 758 euros au titre du remboursement du coût des travaux exécutés aux frais et risques du groupement et rejeté le surplus des conclusions des parties.
2. Le 14 juin 2017, la société Fosmax A... a saisi le tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Chambre de commerce internationale d'une nouvelle demande tendant à ce que les membres du groupement STS soient solidairement condamnés à l'indemniser de l'intégralité du coût des travaux réalisés en régie, ainsi que du coût de remplacement des vannes KSB. Le groupement STS a formé des conclusions reconventionnelles tendant à ce que Fosmax A... l'indemnise au titre de ses pertes de marges pour les travaux d'achèvement et supplémentaires et de son préjudice moral. Aux termes d'une sentence rendue le 24 juin 2020, le tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Chambre de commerce internationale a condamné les sociétés membres du groupe STS à verser à la société Fosmax A... la somme de 31 966 704,57 euros au titre des travaux réalisés en régie et rejeté le surplus des conclusions des parties. Les sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA, membres du groupement STS, demandent l'annulation de cette sentence.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Lorsqu'il est saisi d'un recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, il appartient au Conseil d'Etat de s'assurer, le cas échéant d'office, de la licéité de la convention d'arbitrage, qu'il s'agisse d'une clause compromissoire ou d'un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d'une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d'autre part, de ce qu'elle est contraire à l'ordre public. S'agissant de la régularité de la procédure, en l'absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent, s'il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, s'il n'a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s'il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s'il n'a pas motivé sa sentence. S'agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public lorsqu'elle fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu'elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou lorsqu'elle méconnaît les règles d'ordre public du droit de l'Union européenne.
4. En premier lieu, le tribunal arbitral a motivé la sentence attaquée et s'est, en particulier, contrairement à ce qui est soutenu, prononcé sur l'imputabilité des inexécutions ayant entraîné la mise en régie. Les sociétés requérantes ne peuvent utilement soutenir, à l'appui de leur recours devant le Conseil d'Etat, que le tribunal arbitral n'aurait pas suffisamment répondu au moyen tiré ce que les inexécutions qui leur étaient reprochées par la société Fosmax A... étaient imputables à cette dernière.
5. En deuxième lieu, les requérantes ne peuvent utilement soutenir devant le Conseil d'Etat que le tribunal arbitral, en s'estimant libre de faire toutes constatations de fait et de droit relativement aux questions en débat devant lui, tenant à la validité et au contenu des travaux effectués en régie, et en condamnant le groupement STS à payer des intérêts moratoires à compter du quarante-cinquième jour suivant l'émission des factures acceptées, aurait méconnu la chose jugée par la sentence arbitrale précédemment rendue, le 13 février 2015, dans le cadre du même litige. En statuant ainsi sur la demande qui lui était soumise, le tribunal arbitral ne s'est pas, à tort, reconnu compétent.
6. En troisième lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que le tribunal arbitral aurait fait application des règles relatives à la mise en régie alors que les conditions n'en étaient pas réunies et statué en violation d'un principe selon lequel une personne privée ne saurait être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, de tels moyens ne caractérisent, en tout état de cause, aucune contrariété à l'ordre public susceptible de justifier l'annulation, par le Conseil d'Etat, de la sentence attaquée. Ils ne peuvent, par suite, qu'être écartés comme inopérants.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA ne sont pas fondées à demander l'annulation de la sentence qu'elles attaquent.
Sur les conclusions à fin d'exequatur :
8. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 311-1 du code de justice administrative, le rejet par le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international confère l'exequatur à cette sentence.
9. Par suite, le rejet, par la présente décision, de la demande des sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA tendant à l'annulation de la sentence arbitrale du 24 juin 2020 a pour effet de conférer l'exequatur à cette sentence.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA la somme de 2 000 euros chacune à verser à la société Fosmax A..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Fosmax A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA est rejetée.
Article 2 : Le rejet de la requête des sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA confère l'exequatur à la sentence arbitrale (n° 22883/GR) rendue à Paris le 24 juin 2020 par le tribunal arbitral composé sous l'égide de la Chambre de commerce internationale.
Article 3 : Les sociétés Tecnimont SpA et TCM FR SA verseront chacune à la société Fosmax A... une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Tecnimont SpA, TCM FR SA et Fosmax A....