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07/07/2021 | FRANCE | N°451752

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 07 juillet 2021, 451752


Vu la procédure suivante :

L'établissement public de coopération culturelle Opéra de Rouen Normandie, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 juillet 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a retiré les autorisations d'activité partielle qu'elle lui avait accordées ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé le 22 juillet 2020 contre cette décision, a prod

uit un mémoire, enregistré le 3 février 2021 au greffe du tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

L'établissement public de coopération culturelle Opéra de Rouen Normandie, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 juillet 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a retiré les autorisations d'activité partielle qu'elle lui avait accordées ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé le 22 juillet 2020 contre cette décision, a produit un mémoire, enregistré le 3 février 2021 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2004605 du 15 avril 2021, enregistré le 16 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Rouen, avant qu'il soit statué sur la demande de l'Opéra de Rouen Normandie, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, notamment son article 2 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur le cadre du litige :

2. Au sein du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail, consacré aux dispositifs de maintien et de sauvegarde de l'emploi, le chapitre II regroupe les dispositions relatives à l'" aide aux salariés placés en activité partielle ". Le I de l'article L. 5122-1 dispose à ce titre que : " Les salariés sont placés en position d'activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l'autorité administrative, s'ils subissent une perte de rémunération imputable : / - soit à la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d'établissement ; / - soit à la réduction de l'horaire de travail pratiqué dans l'établissement ou partie d'établissement en deçà de la durée légale de travail (...) ". Le II du même article dispose que : " Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'Etat. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'Etat et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. (...) ".

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020.

4. Dans ce cadre, l'article 2 de l'ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle, dans sa rédaction modifiée par l'article 6 de l'ordonnance du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, ici en litige, dispose que : " Les salariés de droit privé des employeurs mentionnés aux 3° à 7° de l'article L. 5424-1 du code du travail, des établissements publics à caractère industriel et commercial de l'Etat, des groupements d'intérêt public et des sociétés publiques locales peuvent être placés en activité partielle dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier de la cinquième partie du même code et par la présente ordonnance dès lors que ces employeurs exercent à titre principal une activité industrielle et commerciale dont le produit constitue la part majoritaire de leurs ressources. Dans ce cas, ces employeurs bénéficient d'une allocation d'activité partielle selon les modalités prévues par ces mêmes dispositions. / Par dérogation au II de l'article L. 5122-1 du même code, les sommes mises à la charge de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage au titre du personnel mentionné au premier alinéa lui sont remboursées dans des conditions définies par décret, par les employeurs mentionnés au premier alinéa qui n'ont pas adhéré au régime d'assurance selon la faculté qui leur est reconnue par l'article L. 5424-2 du code du travail ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. En premier lieu, les dispositions citées au point précédent ont été prises sur le fondement de l'habilitation donnée par le 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui autorise le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance dans un délai de trois mois à compter de sa publication, toute mesure relevant du domaine de la loi " afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : / (...) b) En matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet : / - de limiter les ruptures des contrats de travail et d'atténuer les effets de la baisse d'activité, en facilitant et en renforçant le recours à l'activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre, en l'étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l'employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en oeuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel (...) ". Les dispositions contestées de l'ordonnance du 27 mars 2020 n'ont, à ce jour, pas fait l'objet d'une ratification législative. Toutefois, d'une part, le délai d'habilitation fixé par la loi du 23 mars 2020 est expiré, d'autre part, ces dispositions, qui fixent les conditions dans lesquelles des employeurs publics n'ayant pas l'obligation d'adhérer au régime d'assurance chômage peuvent recourir au dispositif d'activité partielle mentionné au point 2, relèvent du domaine de la loi. Elles doivent, par suite, être regardées comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

6. En deuxième lieu, par les dispositions citées au point 4, l'ordonnance attaquée, prise en vertu de l'habilitation mentionnée au point précédent, a entendu permettre à certains employeurs publics de recourir au régime d'activité partielle institué à l'article L. 5122-1 du code du travail auquel ils n'auraient pu prétendre sur le fondement de cet article en l'absence d'adhésion au régime d'assurance chômage dans les conditions prévues à l'article L. 5424-2 de ce code. A ce titre, l'ordonnance prévoit que les salariés de droit privé des employeurs mentionnés aux 3° à 7° de l'article L. 5424-1 du code du travail, parmi lesquels figurent les salariés relevant soit des établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales, soit des sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire, mais aussi les salariés des établissements publics à caractère industriel et commercial de l'Etat, des groupements d'intérêt public et des sociétés publiques locales, peuvent être placés en activité partielle à la double condition que ces employeurs exercent à titre principal une activité industrielle et commerciale et que le produit de celle-ci constitue la part majoritaire de leurs ressources.

7. La société requérante doit être regardée comme soutenant que ces dispositions sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu'elles ne permettent pas à un employeur public de recourir à ce régime lorsque ses ressources ne proviennent pas majoritairement de son activité industrielle et commerciale, comme ce peut être le cas pour un établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial dont les ressources sont majoritairement constituées de subventions.

8. D'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. Si les salariés de droit privé d'établissements publics à caractère industriel et commercial sont, en application de l'article L. 1233-1 du code du travail, susceptibles de faire l'objet de mesures de licenciement économique dans les conditions prévues par la loi, notamment en cas de suppressions d'emploi consécutives à des difficultés économiques voire à la cessation d'activité de l'établissement employeur, et si le régime d'activité partielle, auquel les dispositions en cause entendent permettre à certains organismes publics qui n'étaient pas éligibles de recourir compte tenu de la situation économique particulière liée à la pandémie, a pour objet de maintenir et de sauvegarder l'emploi, les employeurs publics exerçant à titre principal une activité industrielle et commerciale dont les ressources proviennent majoritairement du produit de cette activité ne se trouvent pas dans la même situation que ceux dont les ressources proviennent majoritairement d'autres sources de financement, notamment de financements publics.

10. La différence de traitement ainsi instituée est en rapport direct avec l'objet du dispositif d'urgence instauré par l'ordonnance, pour un temps limité et sous condition, pour les établissements qui n'ont pas adhéré volontairement au régime d'assurance chômage, de remboursement à celui-ci des sommes mises à sa charge, objet qui vise à prévenir et limiter le risque de cessations d'activité et de ruptures de contrats de travail, moins important pour des établissements qui ne sont pas financés majoritairement par le produit de leur activité industrielle et commerciale que pour les autres.

11. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne présente pas de caractère sérieux.

12. D'autre part, les dispositions litigieuses n'imposant aucune sujétion particulière aux établissements exclus du dispositif d'activité partielle instauré par l'ordonnance, l'Opéra de Rouen Normandie ne saurait utilement soutenir qu'elles seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Rouen.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public de coopération culturelle Opéra de Rouen Normandie et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, ainsi qu'au tribunal administratif de Rouen.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451752
Date de la décision : 07/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2021, n° 451752
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Damien Pons
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:451752.20210707
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