Vu la procédure suivante :
Mme D... A... et M. C... E..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants de leur fille mineure, B... E..., ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier d'Avranches-Granville à leur verser la somme de 1 837 189,38 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis, ainsi que leur fille, à l'occasion de la prise en charge de Mme A... par cet établissement. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Manche a demandé la condamnation du centre hospitalier d'Avranches-Granville à lui verser la somme de 64 691,84 euros en remboursement des débours déjà exposés au profit de B... E.... Par un jugement n° 1501984 du 28 mai 2018, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à Mme A... et M. E..., en leur qualité de représentants légaux de B..., la somme de 248 237 euros et une rente annuelle de 42 048 euros jusqu'à sa majorité au titre des frais futurs d'assistance par une tierce personne et rejeté le surplus des conclusions de leur demande. Il a également condamné le centre hospitalier à verser à la CPAM de la Manche la somme de 58 222,65 euros au titre des débours déjà exposés au profit de B... E....
Par un arrêt n° 18NT02851 du 2 avril 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du centre hospitalier d'Avranches-Granville et appel incident de Mme A... et M. E..., annulé ce jugement en tant qu'il rejette la demande d'indemnisation des préjudices propres de Mme A..., condamné le centre hospitalier à verser à ce titre à Mme A... la somme de 10 000 euros, porté à 164 600,92 euros les indemnités que le centre hospitalier a été condamné à verser à Mme A... et M. E... en leur qualité de représentants légaux de B..., modifié la méthode de calcul de la rente mise à la charge du centre hospitalier au titre des frais futurs d'assistance par une tierce personne et rejeté le surplus des conclusions des requêtes d'appel et d'appel incident. Enfin, elle a ramené à 32 345,92 euros la somme que le centre hospitalier avait été condamné à verser à la CPAM de la Manche au titre de ses débours actuels.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 juin et 2 septembre 2020 et le 27 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... et M. E... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du centre hospitalier d'Avranches-Granville et de faire droit à leur appel incident ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avranches-Granville la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme A... et de M. C... E... et à Me Le Prado, avocat du Centre hospitalier Avranches-Granville ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a accouché en 2012, au centre hospitalier d'Avranches-Granville, de la jeune B..., atteinte de troubles moteurs et cognitifs que Mme A... et son conjoint, M. E..., ont imputés à des fautes commises par l'établissement lors de l'accouchement. Par un jugement du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier d'Avranches-Granville à verser à Mme A... et à M. E... diverses indemnnités en leur qualité de représentants légaux de leur fille et a rejeté les conclusions indemnitaires qu'ils présentaient en leurs noms propres. Il a également condamné le centre hospitalier à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Manche les débours exposés au profit de B.... Par un arrêt du 2 avril 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du centre hospitalier et appel incident de Mme A... et M. E..., annulé ce jugement en tant qu'il rejette la demande d'indemnisation des préjudices propres de Mme A... et condamné le centre hospitalier à lui verser une idemnité à ce titre, mais diminué le montant des indemnités que le centre hospitalier est condamné à verser à Mme A... et M. E... en leur qualité de représentants légaux de leur fille. Par le même arrêt, la cour a, en conséquence, diminué la somme que le centre hospitalier est condamné à verser à la CPAM de la Manche. Mme A... et M. E... demandent l'annulation de cet arrêt en tant, d'une part, qu'il statue sur les préjudices subis par leur fille et que, d'autre part, il rejette le surplus des conclusions de leur appel relatif au préjudice propre de M. E.... La CPAM de la Manche demande son annulation en tant qu'il diminue le montant des débours à lui rembourser. Enfin, par la voie du pourvoi incident, le centre hospitalier d'Avranches-Granville demande son annulation en tant qu'il statue sur l'indemnisation des frais d'assistance par une tierce personne de la jeune B....
Sur le pourvoi de Mme A... et de M. E... :
En ce qui concerne l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le préjudice propre de M. E... :
2. En estimant, pour rejeter les conclusions de M. E... dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Caen en tant qu'il rejette comme irrecevable sa demande indemnitaire présentée en son nom propre, que la réclamation préalable adressée le 7 juillet 2015 au centre hospitalier d'Avranches-Granville l'était seulement au nom de Mme A... et de sa fille B..., la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
3. Mme A... et M.E... ne sont, par suite, pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le préjudice propre de M. E....
En ce qui concerne l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice de la fille mineure de Mme A... et de M. E... :
4. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que le manquement fautif du centre hospitalier à son devoir de surveillance lors de l'accouchement de Mme A... n'était en lien direct qu'avec une perte de chance pour la jeune B... de se soustraire aux séquelles dont elle est atteinte, la cour s'est fondée sur la circonstance que le diabète gestationnel dont souffrait Mme A..., l'hypotrophie du foetus et la délétion chromosomique dont B... est porteuse constituaient trois facteurs de risque susceptibles d'être chacun, même en l'absence de faute du service public hospitalier, la cause des dommages subis par l'enfant.
5. Toutefois, en estimant, pour fixer à 50% le taux de cette perte de chance, que la délétion chromosomique dont B... est porteuse constituait, pour cet enfant, un facteur de risque d'anoxie lors de sa naissance, alors qu'un tel lien possible de causalité ne ressortait d'aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond et, notamment, ni de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, qui relevait l'absence de cas connus d'encéphalopathie néonatale précoce d'origine anoxique chez les personnes porteuses de cette délétion chromosomique, ni de l'avis du médecin généticien produit par les requérants, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, Mme A... et M. E... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il statue sur les préjudices de leur fille mineure.
Sur le pourvoi de la CPAM de la Manche et le pourvoi incident du centre hospitalier d'Avranches-Granville :
7. Les conclusions des pourvois de la CPAM de la Manche et du pourvoi incident du centre hospitalier d'Avranches-Granville étant dirigées contre l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice subi par la fille des requérants, l'annulation prononcée ci-dessus les prive de leur objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avranches-Granville la somme de 1 500 euros à verser à Mme A... et la somme de 1 500 euros à verser à M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 2, 3 et 5 de l'arrêt du 2 avril 2020 de la cour administrative d'appel de Nantes, ainsi que son article 6 en tant qu'il porte sur ces mêmes articles et son article 9 en tant qu'il porte sur des conclusions relatives au préjudice subi par la fille mineure de Mme A... et de M. E..., sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Le centre hospitalier d'Avranches-Granville versera à Mme A... et M. E... la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A... et de M. E... est rejeté.
Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la CPAM de la Manche et du pourvoi incident du centre hospitalier d'Avranches-Granville.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme D... A..., à M. C... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche et au centre hospitalier d'Avranches-Granville.