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17/06/2021 | FRANCE | N°452122

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 17 juin 2021, 452122


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face a` l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et l

ibertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° et 2° du I d...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face a` l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° et 2° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.

Mme Pedrono soutient que les dispositions contestées méconnaissent l'article 66 de la Constitution et les articles 1er, 2, 7 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 ;

- le code de justice administrative;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 3131-15 du code de la santé publique dispose, dans sa version applicable au litige, que : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; / 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...). / Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

3. A l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 avril 2021 modifiant les décrets du 16 octobre 2020 et du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face a` l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, Mme Pedrono demande au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° et 2° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.

4. Par sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le 1° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision n'est de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.

5. En ce qui concerne le 2° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, Mme Pedrono soutient, en premier lieu, qu'en ne prévoyant pas l'intervention de l'autorité judiciaire aux fins de vérifier l'absence de caractère arbitraire de l'interdiction de sortie du domicile que peut décider le Premier ministre en application du 2° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le législateur aurait méconnu la compétence de l'autorité judiciaire résultant de l'article 66 de la Constitution aux termes duquel " Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ", alors que cette interdiction peut avoir pour effet d'imposer aux personnes concernées de rester à leur domicile, de sorte qu'elle serait assimilable à une garde à vue ou à un placement en détention provisoire.

6. Cependant, si les dispositions contestées de l'article L. 3131-15 permettent au Premier ministre, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré et pour garantir la santé publique, d'interdire aux personnes de sortir de leur domicile, elles précisent que la mesure doit être strictement proportionnée aux risques sanitaires courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elle n'est plus nécessaire et réservent expressément les déplacements indispensables aux besoins familiaux ou de santé. Les dispositions contestées donnent ainsi au Premier ministre, lorsque la situation l'exige et que les conditions posées sont remplies, la possibilité non d'interdire, par une mesure individuelle, à une personne déterminée de sortir de son domicile, mais de prendre un acte réglementaire à caractère général, visant un ensemble des personnes se trouvant dans une circonscription territoriale dans laquelle l'état d'urgence sanitaire est déclaré, et qui n'a d'autre but, conformément à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, que de protéger la santé de l'ensemble de la population en prévenant la propagation incontrôlée d'une épidémie. La contestation d'une telle mesure, eu égard à sa nature et à son objet, n'est pas au nombre de celles que l'article 66 de la Constitution réserve à la compétence de l'autorité judiciaire.

7. En deuxième lieu, et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes desquelles " nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites (...) ", ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, les autres moyens soulevés ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme Pedrono.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Pierrette Pedrono.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé et au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 452122
Date de la décision : 17/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jui. 2021, n° 452122
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:452122.20210617
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