Vu la procédure suivante :
M. C... B..., M. H... P... et Mme J... R... ont demandé au tribunal administratif de Rouen l'annulation, d'une part, des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux dans la commune de Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) et, d'autre part, de l'élection du maire et des adjoints de cette commune qui s'est déroulée le 28 mai 2020. Ils ont également demandé au tribunal de suspendre les mandats des candidats élus et de déclarer inéligibles pour une durée de trois ans Mme O... K..., M. D... E..., M. S... F..., M. N... Q..., Mme A... I... et Mme G... L....
Par un jugement n°s 2001070, 2001883, 2001888, 2001931 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'élection du maire et des adjoints de la commune de Saint-Pierre-du-Vauvray du 28 mai 2020 et rejeté le surplus des conclusions de la protestation de M. B... et autres.
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 octobre et 27 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces opérations électorales ;
3°) de suspendre les mandats des candidats élus ;
4°) de déclarer inéligibles pour une durée de trois ans Mme K..., M. E..., M. F..., M. Q..., Mme I... et Mme L... ;
5°) de mettre à la charge de Mme K... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. B... et à la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme K... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de Saint-Pierre-du-Vauvray, la liste conduite par Mme K... (" M... et Solidaires à Saint-Pierre-du-Vauvray ") est arrivée en tête avec 259 voix, soit 37 voix d'avance sur la liste conduite par le maire sortant, M. T... pour Saint-Pierre "), qui a obtenu 222 voix. Par un jugement du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'élection du maire et des adjoints de cette commune par le conseil municipal le 28 mai 2020 et rejeté le surplus des conclusions de la protestation électorale de M. B... et autres. L'appel de M. B... doit être regardé comme contestant ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa protestation.
Sur les opérations électorales :
2. En premier lieu, M. B... soutient que des colistiers de Mme K... auraient utilisé leurs fonctions associatives à des fins électorales et propagé des informations erronées dépassant ce que permet la propagande électorale au point d'altérer la sincérité du scrutin. Toutefois, M. B... n'assortit pas ses allégations d'éléments probants. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a écarté ce grief, par un jugement suffisamment motivé sur ce point.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 51 du code électoral, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / (...) Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. "
4. S'il résulte de l'instruction que certains affichages irréguliers de la liste conduite par Mme K... ont pu être constatés, cette méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du code électoral n'a pas revêtu un caractère massif susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ".
6. Il est constant qu'un des colistiers de Mme K... a, le vendredi 13 mars 2020 en fin de journée, indiqué à deux agents municipaux que les membres de sa liste n'avaient pas l'intention de supprimer leur emploi, contrairement à ce que laissaient supposer certaines rumeurs. Par ailleurs, des membres de la même liste se sont adressés au même moment à quelques parents d'élèves présents à l'école municipale. Il résulte toutefois de l'instruction que l'M... de ces propos, qui n'étaient pas injurieux ou diffamatoires, n'était pas de nature à caractériser une manoeuvre ni n'excédait les limites de la polémique électorale.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 106 du code électoral : " Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros. / Seront punis des mêmes peines ceux qui auront agréé ou sollicité les mêmes dons, libéralités ou promesses ". S'il n'appartient pas au juge de l'élection de faire application de ces dispositions en ce qu'elles édictent des sanctions pénales, il lui revient, en revanche, de rechercher si des pressions telles que définies par celles-ci ont été exercées sur les électeurs et ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
8. Il ne résulte pas de l'instruction que les propos évoqués au point 6, adressés à deux agents municipaux par le colistier de Mme K..., ont revêtu la nature de promesses de dons de nature à altérer la sincérité du scrutin.
9. En dernier lieu, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'M... des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.
10. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.
11. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ".
12. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020, le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.
13. En l'espèce, M. B... fait valoir que l'épidémie de covid-19 et les déclarations des autorités à ce sujet ont entraîné l'abstention d'un grand nombre de ses électeurs et présente quelques attestations à cet effet. Toutefois, ces allégations ne sont pas établies par l'instruction. En outre, le taux de participation aux opérations électorales en litige s'est élevé dans la commune à 54,86%, soit d'ailleurs un niveau nettement supérieur à la moyenne nationale, et l'écart de voix entre les listes est important. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée pour le scrutin en litige ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
Sur les conclusions de M. B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral :
14. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil municipal élit le maire et les adjoints parmi ses membres, au scrutin secret (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-13 du même code : " L'élection du maire et des adjoints peut être arguée de nullité dans les conditions, formes et délais prescrits pour les réclamations contre les élections du conseil municipal. ".
15. Il résulte de ces dispositions que le scrutin au cours duquel le conseil municipal élit le maire et les adjoints, régi par le code général des collectivités territoriales, n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral, qui sont relatives à l'élection des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires. Par suite, M. B... ne peut pas utilement invoquer des manoeuvres frauduleuses susceptibles d'avoir altéré la sincérité de l'élection du maire et de ses adjoints par le conseil municipal le 28 mai 2020 pour demander au juge de l'élection de prononcer, sur le fondement de cet article L 118-4, l'inéligibilité de certains élus. Dès lors, ses conclusions à cette fin, qui sont au demeurant irrecevables en appel faute d'avoir été présentées dans le délai de recours devant le tribunal administratif, ne peuvent qu'être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté le surplus des conclusions de sa protestation.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme K..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme sur ce fondement à la charge de M. B....
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme K... et autres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B..., à Mme O... K..., représentant unique pour l'M... des défendeurs, ainsi qu'au ministre de l'intérieur.