La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2021 | FRANCE | N°445193

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 31 mai 2021, 445193


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 23 juillet 2020 rapportant le décret du 15 décembre 2017 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le décret n°93-1362 du 30

décembre 1993 ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Aprè...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 23 juillet 2020 rapportant le décret du 15 décembre 2017 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- Le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- Les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil, dans leur rédaction applicable au présent litige : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai d'un an à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., ressortissante algérienne, a déposé une demande de naturalisation, le 10 janvier 2016, par laquelle elle a indiqué être célibataire et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement qui viendrait à survenir dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, elle a été naturalisée par décret du 15 décembre 2017, publié au Journal Officiel de la République française du

17 décembre 2017. Toutefois, par bordereau reçu le 23 juillet 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que Mme A... avait épousé en Algérie, le 20 septembre 2016, un ressortissant algérien résidant en Algérie. Par décret du 23 juillet 2020, le Premier ministre a rapporté le décret du 15 décembre 2017 de naturalisation de Mme A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation familiale. Mme A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 62 et 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.

4. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a indiqué à Mme A... les motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé sa naturalisation par une lettre du 23 janvier 2020. La lettre a été expédiée au nom et à l'adresse de l'intéressée avec demande d'avis de réception. Elle a été présentée à son domicile le 27 janvier 2020 mais n'a pas été réclamée par l'intéressée aux services postaux, qui ont retourné le pli au ministre après l'expiration du délai de mise en instance postale. Cette notification doit être regardée, faute pour l'intéressée d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer le pli qui lui avait été régulièrement adressé, comme étant intervenue à la date de première présentation du pli par les services postaux, soit le 27 janvier 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait illégal faute pour l'intéressée d'avoir pu présenter ses observations en défense ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte la situation familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française. Par suite, ainsi que l'énonce le décret attaqué, la circonstance que Mme A... ait dissimulé s'être mariée en Algérie était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est mariée le 20 septembre 2016 avec un ressortissant algérien résidant habituellement en Algérie. Ce mariage, contracté postérieurement au dépôt de sa demande de naturalisation, a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale qu'elle aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, ce qu'elle n'a pas fait. Mme A... soutient qu'elle est de bonne foi et que son état de santé ne lui a pas permis de comprendre le sens et la portée des renseignements qui lui étaient demandés par l'administration. Toutefois, l'intéressée, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 4 janvier 2017, n'établit pas qu'elle aurait été dans l'incapacité de comprendre le sens de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée le 10 janvier 2016 en déposant sa demande. En outre, Mme A... n'a pas davantage informé les services chargés de sa demande lors de son entretien d'assimilation de la réalité de sa situation familiale lorsque lui ont été demandés les liens qui la rattachent encore à son pays d'origine. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant le décret accordant la réintégration dans la nationalité française de Mme A..., le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application de l'article 27-2 du code civil.

7. En dernier lieu, un décret qui rapporte pour fraude un décret de naturalisation est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de la vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mme A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 23 juillet 2020 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 15 décembre 2017. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 445193
Date de la décision : 31/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mai. 2021, n° 445193
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Bernard
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445193.20210531
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award