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31/05/2021 | FRANCE | N°445007

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 31 mai 2021, 445007


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er octobre et le 14 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 19 juin 2020 rapportant le décret du 30 mars 2017 lui ayant accordé la nationalité française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

-

le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-1...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er octobre et le 14 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 19 juin 2020 rapportant le décret du 30 mars 2017 lui ayant accordé la nationalité française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- Le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- Les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant algérien, a déposé une demande de naturalisation le 20 avril 2016, dans laquelle il indiquait être célibataire et s'est engagé sur l'honneur à signaler aux services chargés d'instruire sa demande de naturalisation tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, l'intéressé a été naturalisé par décret du 30 mars 2017. Toutefois, par courrier reçu le 25 juin 2018, le requérant a informé le ministre chargé des naturalisations que M. B... avait épousé à Beni Mouhli en Algérie, le 21 juillet 2016, Mme D... C..., de nationalité algérienne résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 19 juin 2020, le Premier ministre a rapporté le décret du 30 mars 2017 lui accordant la nationalité française, au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française. Par suite, la circonstance que l'intéressé ait dissimulé s'être marié avec une ressortissante algérienne était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., s'est marié le 21 juillet 2016 à Beni Mouhli en Algérie avec Mme D... C..., de nationalité algérienne résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage a constitué un changement de sa situation familiale que l'intéressé aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant sa demande, ce qu'il n'a pas fait avant que lui soit accordée la nationalité française. Si M. B... soutient qu'il est de bonne foi, que son omission résulterait de l'obtention tardive de son acte de mariage auprès des autorités algériennes et qu'il a lui-même informé les services du ministre de l'intérieur de sa situation familiale par courrier du 21 juin 2018, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de son changement de situation familiale au service chargé de l'instruction de sa demande de naturalisation avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du

procès-verbal d'assimilation du 31 août 2016, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. En outre, M. B... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, relatives au droit à la régularisation en cas d'erreur qui ne sont, en tout état de cause, pas applicables à un décret rapportant un décret ayant accordé la nationalité française, qui n'a pas le caractère d'une sanction. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé le changement de sa situation familiale. Dès lors, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas méconnu les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

5. En second lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. Il résulte des dispositions de l'article 27-2 du code civil qu'un décret ayant conféré la nationalité française peut être rapporté dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec le droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à M. B... la nationalité française dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'il aurait perdu la nationalité algérienne.

6. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale et n'a pas davantage pour effet de porter atteinte à la liberté de se marier. Un tel décret affecte, en revanche, un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. B..., sans que celui-ci puisse utilement soutenir qu'il aurait pu obtenir la nationalité française par filiation.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 juin 2019 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 30 mars 2017 qui lui avait accordé la nationalité française.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 445007
Date de la décision : 31/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mai. 2021, n° 445007
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Bernard
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445007.20210531
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