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19/05/2021 | FRANCE | N°431352

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 19 mai 2021, 431352


Vu la procédure suivante :

M. D... E... a porté plainte contre Mme B... C... devant la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins. Par une décision du 14 mars 2017, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.

Par une décision du 4 avril 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de M. E..., annulé cette décision et infligé à Mme C... la sanction de l'interdiction d'exercice de la médecine pendant un mois.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un m

moire en réplique, enregistrés les 4 juin et 30 août 2019 et le 10 novembre 2020 ...

Vu la procédure suivante :

M. D... E... a porté plainte contre Mme B... C... devant la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins. Par une décision du 14 mars 2017, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.

Par une décision du 4 avril 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de M. E..., annulé cette décision et infligé à Mme C... la sanction de l'interdiction d'exercice de la médecine pendant un mois.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 juin et 30 août 2019 et le 10 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme F... A..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de Mme C... et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C..., médecin spécialiste qualifiée en psychiatrie, option enfant et adolescent, a adressé, à propos d'un de ses jeunes patients, né le 19 mai 2011, qu'elle présumait être victime de violences sexuelles de la part de son père, deux signalements au juge des enfants du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, déjà saisi de la situation de l'enfant, le 28 septembre 2014 et le 19 avril 2015, puis un signalement au procureur de la République près ce tribunal, avec copie au juge des enfants, le 8 septembre 2015. Le père de cet enfant, M. E..., a porté plainte le 26 mai 2016 contre Mme C... devant la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins, laquelle a rejeté cette plainte par une décision du 14 mars 2017. Mme C... se pourvoit en cassation contre la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 4 avril 2019 qui, sur l'appel de M. E..., a annulé cette décision et a infligé à Mme C... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un mois.

2. Aux termes, de première part, du I de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : " Toute personne prise en charge par un professionnel de santé (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel (...). (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-4 du même code : " Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. / Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ".

3. En vertu, de deuxième part, de l'article 226-14 du code pénal, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, l'article 226-13 du même code, qui punit " la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession (...) " d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, n'est pas applicable " dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret " et en outre, notamment " (...) / 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire (...) ".

4. Aux termes, de troisième part, de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique : " Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. / Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ".

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a rédigé en moins d'une année trois signalements relatifs au même jeune patient, les deux premiers étant adressés au juge des enfants d'ores et déjà saisi, en application de l'article 375 du code civil, de la situation de ce mineur et le dernier étant adressé au procureur de la République avec copie au même juge des enfants. La circonstance que ces signalements, contenant des éléments couverts par le secret professionnel, aient été adressés au juge des enfants, qui n'est pas au nombre des autorités mentionnées au 2° de l'article 226-14 du code pénal, ne saurait, à elle seule, alors que le juge des enfants était, en l'espèce, déjà saisi de la situation de cet enfant, caractériser un manquement aux dispositions du I de l'article L. 1110-4 et de l'article R. 4127-4 du code de la santé publique de nature à justifier une sanction disciplinaire. Par suite, en se fondant sur cette seule circonstance pour juger qu'il devait être infligé à Mme C..., pour avoir méconnu l'obligation déontologique de secret professionnel, la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un mois, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'elle attaque.

7. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Mme C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 4 avril 2019 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme C... et par M. E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C... et à M. D... E....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 431352
Date de la décision : 19/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 mai. 2021, n° 431352
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Françoise Tomé
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:431352.20210519
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