La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/05/2021 | FRANCE | N°433553

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 05 mai 2021, 433553


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août 2019, 27 mars et 16 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française de montagne-escalade Auvergne Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus du Premier ministre d'abroger l'article 12 du décret n° 2007-1091 du 13 juillet 2007 portant création de la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy, en tant qu'il omet de mentionner l'alpinisme et l'escalade par

mi les activités sportives réglementées sur le territoire de la réserve ;

2°...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août 2019, 27 mars et 16 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française de montagne-escalade Auvergne Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus du Premier ministre d'abroger l'article 12 du décret n° 2007-1091 du 13 juillet 2007 portant création de la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy, en tant qu'il omet de mentionner l'alpinisme et l'escalade parmi les activités sportives réglementées sur le territoire de la réserve ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de procéder à l'abrogation de l'article 12 du décret du 13 juillet 2007 dans cette mesure, dans un délai d'un mois suivant le prononcé de la décision à intervenir avec une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... A..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La Fédération française de montagne-escalade Auvergne Rhône-Alpes a saisi, le 2 mai 2020, le Premier ministre d'une demande tendant à l'abrogation de l'article 12 du décret du 13 juillet 2007 portant création de la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy (Puy-de-Dôme) aux termes duquel " Les activités sportives ou touristiques sont interdites, à l'exception des activités de découverte de la réserve, de la randonnée pédestre, équestre et du ski alpin et nordique ainsi que du parapente, du deltaplane et de la montgolfière, qui peuvent être réglementées par le préfet conformément aux orientations définies dans le plan de gestion de la réserve ", en tant qu'il omet de mentionner l'alpinisme et de l'escalade parmi les activités sportives réglementées sur le territoire de la réserve. Elle demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite du Premier ministre de faire droit à sa demande et d'enjoindre l'Etat d'abroger dans cette mesure les dispositions de l'article 12 de ce décret.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 332-1 du code de l'environnement : " I. - Des parties du territoire terrestre ou maritime d'une ou de plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présente une importance particulière ou qu'il convient de les soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader. / II. - Sont prises en considération à ce titre : / 1° La préservation d'espèces animales ou végétales et d'habitats en voie de disparition sur tout ou partie du territoire national ou présentant des qualités remarquables (...) ". Aux termes de l'article L. 332-3 du même code, dans sa version en vigueur à la date de l'acte attaqué : " I. - L'acte de classement d'une réserve naturelle peut soumettre à un régime particulier et, le cas échéant, interdire à l'intérieur de la réserve toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore, au patrimoine géologique et, plus généralement, d'altérer le caractère de ladite réserve. / Peuvent notamment être réglementés ou interdits la chasse, la pêche, les activités agricoles, forestières, pastorales, industrielles, commerciales, sportives et touristiques, l'exécution de travaux publics ou privés, l'utilisation des eaux, la circulation ou le stationnement des personnes, des véhicules et des animaux. (...). II. - L'acte de classement tient compte de l'intérêt du maintien des activités traditionnelles existantes dans la mesure où elles sont compatibles avec les intérêts définis à l'article L. 332-1. ".

3. En premier lieu, si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite, la fédération ne peut utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger les dispositions réglementaires litigieuses, le moyen tiré de ce que le décret du 13 juillet 2007 n'aurait pas été contresigné par le ministre chargé des sports.

4. En deuxième lieu, Il résulte des dispositions des articles L. 332-1 et L. 332-3 du code de l'environnement citées au point 2 que le pouvoir réglementaire tenant de la loi le pouvoir d'interdire à l'intérieur d'une réserve l'exercice de certaines activités sportives susceptibles de nuire au développement naturel de la faune et de la flore et, plus généralement, d'altérer le caractère de cette réserve, la requérante ne peut utilement invoquer, à raison d'une telle interdiction, une atteinte au libre exercice d'activités sportives résultant des dispositions de l'article 1er de la loi du 29 octobre 1975 relative au développement de l'éducation sportive et du sport, codifiées aux articles L. 100-1 et L. 100-2 du code du sport.

5. En troisième lieu, Il appartient cependant au pouvoir réglementaire, avant d'interdire une ou plusieurs de ces activités dans une réserve naturelle, de s'assurer qu'une telle mesure d'interdiction est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs de préservation des milieux naturels, de la faune et de la flore poursuivis par l'acte de classement de la réserve.

6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la pratique de l'escalade est susceptible d'affecter sensiblement la végétation des parois rocheuses, les espèces qui y sont liées et l'avifaune. Il en ressort également, notamment de l'avis défavorable rendu le 21 septembre 2017 par le conseil scientifique régional du patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes sur une demande présentée par la communauté de communes du massif du Sancy tendant à la modification du décret du 13 juillet 2007 pour autoriser l'escalade et l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle de Chastreix-Sancy, que la pratique de l'escalade serait de nature à constituer une source supplémentaire de destruction de la flore et de dérangement de la faune à des périodes particulièrement sensibles pour les espèces, comme la période de survie hivernale et le début des cycles de reproduction. De plus, il ressort des pièces du dossier que les quatre seuls sites de la réserve dans lesquels l'escalade rocheuse peut être pratiquée, à savoir les sites dits des verrous, du bas, du milieu et du haut, ainsi que des aiguilles du diable, constituent des biotopes très particuliers hébergeant des espèces endémiques ou très rares sur lesquelles pèsent différentes menaces, à la différence de ceux dans lesquels le ski est autorisé. Si la demande de modification du décret attaqué tendant à ce qu'il soit mis fin à l'interdiction par principe de l'escalade ne concerne qu'un seul site, dit " Verrou du bas ", il ressort également des pièces du dossier que ce site, situé à proximité immédiate d'une zone humide sensible est très menacé par le risque de piétinement dans ses abords immédiats par les personnes rejoignant la zone de pratique de l'escalade. Par suite, l'interdiction de l'escalade sur ce site de la réserve naturelle du Chastreix- Sancy apparaît, à la date de la présente décision, nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs de protection poursuivis, sans que la fédération requérante puisse utilement invoquer la méconnaissance du principe d'égalité entre les personnes pratiquant l'escalade et celles pratiquant d'autres activités sportives autorisées.

7. D'autre part, pour justifier le maintien de l'interdiction de l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle, la ministre de la transition écologique et solidaire s'appuie en particulier sur l'avis du 19 juin 2019 par lequel la commission des espaces protégés du Conseil national de la protection de la nature a estimé que le secteur de la réserve envisagé pour être ouvert à l'alpinisme hivernal est un milieu unique et constitue un habitat non représenté dans les autres espaces naturels protégés du Massif Central et estime que les avis complémentaires portant sur les impacts de cette activité sur la faune et la flore, recueillis pour donner suite à l'avis défavorable du conseil scientifique régional, n'ont pas permis de lever les doutes quant à ses impacts éventuels. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les sites où cette activité est susceptible d'être pratiquée représentent, dans la réserve naturelle, à la différence de ceux dans lesquels l'escalade peut être pratiquée, des surfaces importantes, de sorte qu'ils sont moins susceptibles de faire l'objet d'une forte concentration de pratiquants, ne présentent pas les mêmes caractéristiques physiques et n'abritent pas les mêmes espèces de faune et de flore. Il en ressort également, notamment de l'avis précité du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes du 21 septembre 2017, que lorsque le couvert neigeux est supérieur à 15 cm, la pratique de l'alpinisme n'a pas d'impact significatif sur la flore située sous le couvert neigeux et la faune présentes dans la réserve. Cette circonstance a d'ailleurs conduit aussi bien le conservatoire botanique naturel du Massif Central que le syndicat mixte du parc naturel régional des volcans d'Auvergne, gestionnaire de la réserve, ainsi que le délégué régional de l'Office français de la biodiversité, dans leurs avis rendus en mars 2018, à estimer que la pratique de l'alpinisme n'est pas susceptible de porter atteinte à la réserve à condition que sa pratique soit restreinte à la période hivernale et à la partie nord de la réserve, que l'enneigement soit suffisant et que les cascades de glace en soient exclues. Par suite, dès lors que, conformément à ce que prévoit l'article 12 du décret attaqué, le préfet peut, dans l'exercice de son pouvoir de réglementation des activités sportives autorisées dans la réserve naturelle, encadrer la pratique de l'alpinisme pour éviter qu'elle ne porte atteinte aux milieux protégés par la réserve, la requérante est fondée à soutenir que l'interdiction générale et absolue de l'alpinisme dans la réserve naturelle n'est pas nécessaire pour atteindre les objectifs de préservation poursuivis.

8. Il résulte de ce qui précède que le refus du Premier ministre de modifier le décret attaqué est illégal en tant qu'il n'autorise pas sous conditions l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy et doit être annulé dans cette mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". En outre, selon l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite (...) d'une astreinte (...) ".

10. L'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger l'article 12 du décret du 13 juillet 2007 en tant qu'il n'autorise pas, sous conditions, l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy implique nécessairement la modification de ce décret dans cette mesure. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de prendre un décret modificatif dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la Fédération française de montagne-escalade Auvergne Rhône-Alpes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger l'article 12 du décret du 13 juillet 2007 en tant qu'il n'autorise pas sous conditions l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier l'article 12 du décret du 13 juillet 2007 dans cette mesure dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à la Fédération française de montagne-escalade Auvergne-Rhône-Alpes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération française de montagne-escalade Auvergne-Rhône-Alpes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française de montagne-escalade Auvergne Rhône-Alpes, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 433553
Date de la décision : 05/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2021, n° 433553
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Olivier Fuchs

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433553.20210505
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award