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12/04/2021 | FRANCE | N°441396

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 12 avril 2021, 441396


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 441396, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juin et 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CFDT Santé-Sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-568 du 14 mai 2020 relatif au versement d'une prime exceptionnelle aux agents des établissements publics de santé et à certains agents civils et militaires du ministère des armées et de l'Institution nationale des invalides dans le cadre de l'épidémie de covid-

19, tel que modifié par le décret n° 2020-698 du 8 juin 2020 ;

2°) en tant que d...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 441396, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juin et 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CFDT Santé-Sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-568 du 14 mai 2020 relatif au versement d'une prime exceptionnelle aux agents des établissements publics de santé et à certains agents civils et militaires du ministère des armées et de l'Institution nationale des invalides dans le cadre de l'épidémie de covid-19, tel que modifié par le décret n° 2020-698 du 8 juin 2020 ;

2°) en tant que de besoin, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle de savoir si la clause 4, point 1, de l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe de la directive 1999/70/CE, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause, qui impose aux agents hospitaliers employés en tant qu'agents contractuels de droit public notamment à durée déterminée, des critères supplémentaires relatifs à leur quotité de travail, afin de pouvoir prétendre au versement d'une prime exceptionnelle, alors même que de tels critères ne sont pas imposés aux agents hospitaliers employés dans le cadre d'une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 441517, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin 2020 et 18 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CFDT Santé-Sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-711 du 12 juin 2020 relatif au versement d'une prime exceptionnelle aux personnels des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux de la fonction publique hospitalière, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique de l'Etat dans le cadre de l'épidémie de covid-19 ;

2°) en tant que de besoin, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle de savoir si la clause 4, point 1, de l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe de la directive 1999/70/CE, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause, qui impose aux agents des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux employés en tant qu'agents contractuels de droit public notamment à durée déterminée, des critères supplémentaires relatifs à leur quotité de travail, afin de pouvoir prétendre au versement d'une prime exceptionnelle, alors même que de tels critères ne sont pas imposés aux agents des mêmes établissements et services employés dans le cadre d'une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 99/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la défense ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu les deux notes en délibéré, enregistrées le 1er avril 2021, présentées par la Fédération CFDT Santé-Sociaux ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boulloche, avocat de la Fédération CFDT Santé-sociaux ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 : " I. - La prime exceptionnelle versée, en 2020, par les administrations publiques au sens du règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil du 25 juin 1996 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté, à ceux de leurs agents particulièrement mobilisés pendant l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 afin de tenir compte d'un surcroît de travail significatif durant cette période est exonérée d'impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d'origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions prévues à l'article 235 bis du code général des impôts et à l'article L. 6131-1 du code du travail. (...) / II. - Les bénéficiaires, les conditions d'attribution et de versement de la prime exceptionnelle mentionnée au présent article ainsi que son montant sont déterminés dans des conditions fixées par décret, en fonction des contraintes supportées par les agents à raison du contexte d'état d'urgence sanitaire déclaré en application du chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique / (...) ".

2. Pour l'application de cette disposition législative, le pouvoir réglementaire a prévu, par un décret du 14 mai 2020 modifié par un décret du 8 juin 2020, le versement d'une prime exceptionnelle à l'ensemble des agents publics des établissements publics de santé, des hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du code de la défense et de l'Institution nationale des invalides, et défini les critères d'éligibilité à la prime et les critères permettant de moduler son montant en fonction de l'impact géographique de la crise sanitaire et du temps de présence effective de l'agent au cours d'une période de référence débutant le 1er mars et s'achevant le 30 avril 2020, correspondant à la période la plus aigüe de la crise. Par un décret du 12 juin 2020, il a également prévu que peuvent bénéficier d'une prime exceptionnelle les agents relevant des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux de la fonction publique hospitalière, de la fonction publique d'Etat et de la fonction publique territoriale, et défini les critères d'éligibilité et ses modalités d'attribution.

3. La Fédération CFDT Santé-Sociaux demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décrets. Compte tenu des moyens soulevés, elle doit être regardée comme demandant l'annulation des articles 1er, 2 et 8 du décret du 14 mai 2020 modifié et des articles 3 et 5 du décret du 12 juin 2020. Les requêtes de la fédération requérante présentant à juger des mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme :

4. D'une part, les dispositions des deuxième et quatrième alinéas de l'article 2 du décret du 14 mai 2020 et celles du II de l'article 5 du décret du 12 juin 2020 ouvrent le bénéfice de la prime exceptionnelle aux agents contractuels qui ont exercé, entre le 1er mars et le 30 avril 2020, pendant une durée cumulée d'au moins trente jours calendaires équivalents à un temps plein ou complet. Contrairement à ce que soutient la fédération requérante, ces dispositions définissent de façon claire et sans ambiguïté les conditions de durée cumulée d'activité des agents contractuels pour l'octroi de la prime exceptionnelle.

5. D'autre part, le dernier alinéa de l'article 3 du décret du 12 juin 2020 prévoit que les agents relevant des établissements et services mentionnés au 1° du I de l'article L. 312-1 et à l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles peuvent bénéficier d'une indemnité exceptionnelle d'un montant maximal de 1 000 euros. Cette disposition fixe, sans imprécision, un plafond au montant de la prime susceptible d'être perçue par les agents concernés en fonction de leur activité durant la période de référence.

6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance par les décrets attaqués de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme doit être écarté.

Sur la méconnaissance du principe d'égalité :

7. La fédération requérante soutient que les décrets attaqués sont entachés d'une méconnaissance du principe d'égalité, tant entre les agents contractuels et les agents titulaires qu'entre les agents en fonction de leur établissement ou service d'exercice.

8. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

En ce qui concerne la rupture d'égalité entre les agents contractuels et les agents titulaires :

9. En premier lieu, le premier alinéa de l'article 2 du décret du 14 mai 2020 prévoit que la prime exceptionnelle est versée aux personnes qui ont exercé leurs fonctions de manière effective, y compris en télétravail, entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Par dérogation à cette disposition, les deuxième et quatrième alinéas du même article n'ouvrent le bénéfice de la prime exceptionnelle qu'aux agents contractuels qui ont exercé, entre le 1er mars et le 30 avril 2020, pendant une durée cumulée d'au moins trente jours calendaires équivalents à un temps plein ou complet. Par ailleurs, le I de l'article 6 du même décret prévoit notamment que les personnes qui ont été absentes, au sens de cette disposition, plus de trente jours calendaires au cours de la période de référence mentionnée au premier alinéa de l'article 2 ne sont pas éligibles au versement de la prime.

10. En second lieu, le I de l'article 5 du décret du 12 juin 2020, qui figure dans le chapitre II du décret qui précise les dispositions applicables aux personnels de certains des établissements mentionnés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles relevant de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l'Etat et des unités de soins mentionnées au 2° de l'article R. 6145-12 du code de la santé publique, prévoit que la prime exceptionnelle peut être versée aux agents publics et aux apprentis relevant des dispositions de l'article L. 6211-1 du code du travail qui ont exercé leurs fonctions de manière effective, y compris en télétravail, entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Par dérogation à cette disposition, le II du même article n'ouvre le bénéfice de la prime exceptionnelle qu'aux agents contractuels qui ont exercé, entre le 1er mars et le 30 avril 2020, pendant une durée, le cas échéant cumulée, d'au moins trente jours calendaires équivalents à un temps plein ou complet. Par ailleurs, l'article 7 du décret attaqué, qui figure dans le même chapitre, prévoit notamment que les agents qui ont été absents, au sens de cette disposition, plus de trente jours calendaires au cours de la période de référence mentionnée à l'article 5 du décret ne sont pas éligibles au versement de la prime.

11. Si, pour les agents titulaires, ces dispositions ne fixent pas de critère relatif à la durée d'exercice pendant la période de référence, il résulte des dispositions de l'article 37 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat, de l'article 60 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière que les fonctionnaires titulaires peuvent accomplir un service à temps partiel qui ne peut être inférieur au mi-temps. Il en découle que l'ensemble des agents concernés, qu'ils soient titulaires ou contractuels, ne peuvent bénéficier de la prime que si la durée d'exercice effectif de leurs fonctions durant la période de référence a été de trente jours équivalents à un temps plein ou complet, durée d'exercice unique permettant d'apprécier de façon similaire l'éligibilité à la prime, indépendamment des différences statutaires entre les agents. Dès lors, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que les décrets attaqués, en posant une condition d'éligibilité à la prime exceptionnelle relative à la quotité horaire pour les seuls agents contractuels, méconnaîtraient le principe d'égalité entre agents titulaires et agents contractuels pour l'octroi de la prime ni, en tout état de cause, le principe de non-discrimination énoncé par la clause n° 4 de l'accord-cadre conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999.

En ce qui concerne la rupture d'égalité entre les agents selon leur établissement ou service d'exercice :

S'agissant des agents hospitaliers :

Sur la différence de prise en compte du surcroît d'activité :

12. En vertu des articles 3 et 4 du décret du 14 mai 2020, les personnels des établissements publics de santé situés dans les départements les plus touchés par l'épidémie et dont la liste est fixée en annexe du décret perçoivent une prime exceptionnelle de 1 500 euros alors que ceux ayant exercé dans les établissements des autres départements se voient octroyer une prime exceptionnelle de 500 euros. L'article 8 du même décret, dans sa rédaction résultant du décret du 8 juin 2020, prévoit toutefois que " par dérogation aux dispositions de l'article 4, le chef d'établissement peut, dans la limite de 40 % des effectifs physiques de l'établissement, relever le montant de la prime exceptionnelle à mille cinq cents euros pour les services ou agents impliqués dans la prise en charge de patients contaminés par le virus covid-19 ou mobilisés par les circonstances exceptionnelles d'exercice, induites par la gestion sanitaire de l'épidémie de covid-19 dans les établissements situés dans les départements " qui n'étaient pas parmi les plus touchés par l'épidémie, la liste des services et du nombre d'agents concernés par l'application de ce régime dérogatoire étant transmise par chaque établissement à l'agence régionale de santé dont il relève.

13. Il appartient aux chefs d'établissement de faire application, sous le contrôle du juge, des critères énoncés à l'article 8 du décret du 14 mai 2020 et, par suite, de relever le montant de la prime lorsque l'agent concerné a dû faire face à un surcroît significatif de sa charge de travail résultant soit de la prise en charge de patients contaminés par le virus covid-19, soit de circonstances exceptionnelles d'exercice induites par la gestion sanitaire de l'épidémie. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le plafond de 40 % des effectifs physiques de l'établissement serait susceptible de faire obstacle à ce que des agents remplissant les conditions posées par l'article 8 bénéficient du relèvement de la prime exceptionnelle. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'article 8 méconnaîtrait le principe d'égalité entre les agents situés dans les départements du second groupe qui ont été effectivement impliqués dans la prise en charge de patients contaminés par le covid-19 ou mobilisés par les circonstances exceptionnelles d'exercice.

Sur la situation des agents des unités de soins de longue durée et des établissements et services accueillant des personnes âgées rattachés à un établissement public de santé :

14. L'article 1er du décret du 14 mai 2020, dans sa rédaction résultant du décret du 8 juin 2020, précise qu'il n'est pas applicable aux agents publics et personnes exerçant dans les unités de soins de longue durée mentionnées au 2° de l'article R. 6145-12 du code de la santé publique et aux établissements et services accueillant des personnes âgées, mentionnés au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, rattachés à un établissement public de santé, ces agents relevant du décret du 12 juin 2020.

15. Il résulte par ailleurs des articles 1er et 4 du décret du 14 mai 2020 que les agents des établissements publics de santé situés dans les départements du second groupe, qui n'ont pas été les plus touchés par l'épidémie de covid-19, bénéficient d'une prime exceptionnelle de 500 euros. En vertu de l'article 3 du décret du 12 juin 2020, les agents exerçant dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux situés dans les mêmes départements peuvent quant à eux bénéficier d'une prime exceptionnelle de 1 000 euros.

16. D'une part, s'il incombait au pouvoir réglementaire de prendre l'ensemble des dispositions réglementaires d'application prévues par l'article 11 de la loi du 25 avril 2020, aucune disposition ni aucun principe ne l'obligeait à épuiser sa compétence en un seul décret. Dès lors, la seule circonstance que les agents des unités de soins de longue durée et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes rattachés à un établissement public de santé ne soient pas inclus dans le champ d'application du décret du 14 mai 2020 dans sa rédaction résultant du décret du 8 juin 2020 n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité.

17. D'autre part, la fédération requérante ne saurait utilement soutenir que le principe d'égalité aurait imposé que les différents décrets d'application de l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 soient pris à la même date.

18. Enfin, la fédération requérante soutient qu'il résulte des dispositions des décrets attaqués que le montant de la prime exceptionnelle versée aux agents hospitaliers diffère sans justification selon l'établissement ou le service dans lequel ils ont exercé, alors même que ces agents sont régis par le même statut et peuvent être rattachés au même établissement public de santé. Toutefois, la prime exceptionnelle instituée par l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 est destinée à tenir compte du surcroît de travail et des contraintes effectivement supportées par les agents à raison du contexte de l'état d'urgence sanitaire lié à l'épidémie de covid-19. Dès lors, eu égard à l'objet de la prime, le pouvoir réglementaire pouvait légalement en déterminer le montant en se fondant non sur le statut des agents ou le statut juridique de l'établissement prenant en charge l'usager, mais sur l'activité, les conditions d'exercice et les contraintes effectivement supportées par les agents eu égard à la nature de l'établissement ou du service au sein duquel ils ont exercé leurs fonctions et aux personnes qui y sont prises en charge. D'une part, compte tenu des conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour y faire face pour les personnes prises en charge dans les unités de soins de longue durée et les établissements d'hébergement pour personnes âgées et des contraintes en résultant pour les agents exerçant dans ces établissements, ces derniers ne se trouvaient pas, de manière générale, dans une situation identique à celle des agents des établissements de santé des départements qui n'ont pas été les plus touchés par l'épidémie. D'autre part, en prévoyant des montants de prime exceptionnelle différents pour les deux catégories d'agents, le pouvoir réglementaire n'a pas établi une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de l'objet de la prime instituée par la loi du 25 avril 2020. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il aurait méconnu le principe d'égalité.

S'agissant des agents du secteur social et médico-social :

Sur la différence du montant de la prime selon les établissements ou services :

19. En vertu de l'article 2 du décret du 12 juin 2020, les agents relevant des établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9°, 11 et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, ceux exerçant dans les unités de soins de longue durée mentionnées au 2° de l'article R. 6145-12 du code de la santé publique, et ceux exerçant dans des établissements accueillant des personnes âgées, mentionnés au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, rattachés à un établissement public de santé, et dont le lieu d'exercice est situé dans un des départements les plus touchés par l'épidémie de covid-19, peuvent bénéficier d'une prime exceptionnelle de 1 500 euros. L'article 3 du décret prévoit par ailleurs que peuvent bénéficier d'une indemnité exceptionnelle de 1 000 euros les agents ayant exercé dans les mêmes établissements situés dans les départements les moins touchés par l'épidémie ainsi que, quel que soit le département dans lequel est situé leur établissement, les agents relevant des établissements et services mentionnés aux 1°, 8° et 13° du I de l'article L. 312-1 et aux articles L. 322-1, L. 345-2, L. 345-2-1, L. 349-2 et L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles, au troisième alinéa de l'article L. 631-11 et au quatrième alinéa de l'article L. 633-1 du code de la construction et de l'habitation, ainsi qu'à l'article L. 744-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

20. Les établissements et services mentionnés à l'article 2 du décret du 12 juin 2020 ont vocation à accueillir des personnes âgées, des personnes handicapées ou des personnes malades. Compte tenu des conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour y faire face pour l'accueil de ces personnes et des contraintes particulières en résultant pour les agents exerçant dans ces établissements et services, ces derniers ne se trouvaient pas, de manière générale, dans une situation identique à celle des agents des autres établissements mentionnés à l'article 3 du même décret, qui ont vocation à accueillir des personnes défavorisées, des mineurs ou des demandeurs d'asile. Dès lors, en prévoyant une modulation du montant de la prime en fonction du département dans lequel les fonctions ont été exercées pour les seuls agents des établissements mentionnés à l'article 2 du décret du 12 juin 2020 et en limitant par suite à ceux de ces agents ayant exercé dans les départements les plus touchés par l'épidémie la possibilité de percevoir une prime de 1 500 euros, alors que pour les autres agents la prime est dans tous les cas de 1 000 euros ou au maximum de 1 000 euros, le pouvoir réglementaire n'a pas établi une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de l'objet de la prime instituée par la loi du 25 avril 2020. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que les articles 2 et 3 du décret du 12 juin 2020 méconnaitraient le principe d'égalité.

Sur la situation des agents des établissements ou services prenant en charge des mineurs et des majeurs de moins de vingt-et-un ans :

21. Le dernier alinéa de l'article 3 du décret du 12 juin 2020 prévoit que les agents relevant des établissements ou services prenant en charge habituellement, y compris au titre de la prévention, des mineurs et des majeurs de moins de vingt-et-un ans relevant des articles L. 221-1, L. 222-3 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles et les assistants familiaux régis par l'article L. 421-2 du même code peuvent bénéficier d'une indemnité exceptionnelle d'un montant maximal de 1 000 euros. D'une part, le montant de la prime fixé par l'établissement employeur sera déterminé en fonction du surcroît effectif de charge de travail résultant pour chaque agent concerné de la gestion sanitaire de l'épidémie. D'autre part, eu égard au risque sanitaire de moindre ampleur encouru par les mineurs et les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans et aux incidences plus limitées de l'épidémie sur l'activité des établissements et services les accueillant, en prévoyant pour les seuls agents de ces établissements non un montant fixe de prime, mais une modulation du montant de cette prime en fonction de la surcharge de travail effectivement supportée par chaque agent, le pouvoir réglementaire n'a pas établi une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de l'objet de la prime instituée par la loi du 25 avril 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que le dernier alinéa de l'article 3 méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement de ces agents et de ceux des autres établissements mentionnés dans le décret attaqué ne peut qu'être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération CFDT Santé-Sociaux n'est pas fondée à demander l'annulation des décrets qu'elle attaque. Il suit de là que ses requêtes doivent être rejetées, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la Fédération CFDT Santé-Sociaux sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CFDT Santé-Sociaux et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à la ministre des armées, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 12 avr. 2021, n° 441396
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP BOULLOCHE

Origine de la décision
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Date de la décision : 12/04/2021
Date de l'import : 14/04/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 441396
Numéro NOR : CETATEXT000043358783 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-04-12;441396 ?
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