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09/04/2021 | FRANCE | N°440849

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 09 avril 2021, 440849


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 26 mai 2020 et le 5 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 25 mars 2020 de la première présidente de la cour d'appel de Colmar prononçant un avertissement à son égard ;

2°) d'enjoindre à la première présidente de la cour d'appel de Colmar de supprimer la mention de cet avertissement de son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à venir ;
>3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 26 mai 2020 et le 5 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 25 mars 2020 de la première présidente de la cour d'appel de Colmar prononçant un avertissement à son égard ;

2°) d'enjoindre à la première présidente de la cour d'appel de Colmar de supprimer la mention de cet avertissement de son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à venir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. B... Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., alors juge d'instruction et juge coordonnateur au tribunal de grande instance de Mulhouse, a adressé, le 2 août 2019, au président du tribunal un courriel intitulé " état des lieux cabinet n° 1 " portant une appréciation sur l'état des dossiers du cabinet n°1 alors que le magistrat qui en était responsable était absent et en cours de mutation, avec copie notamment à la présidente de la chambre de l'instruction et au procureur de la République de Mulhouse. Estimant, au vu de la teneur du courriel, qu'un tel comportement était constitutif d'un manquement aux devoirs de loyauté et de délicatesse, la première présidente de la cour d'appel de Mulhouse, saisie par le président du tribunal de grande instance et la présidente de la chambre de l'instruction, a, le 25 mars 2020, infligé à M. A... un avertissement dont il demande l'annulation.

Sur la légalité externe :

2. Aux termes de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " En dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. / Le magistrat à l'encontre duquel il est envisagé de délivrer un avertissement est convoqué à un entretien préalable. Dès sa convocation à cet entretien, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en oeuvre de cette procédure. Il est informé de son droit de se faire assister de la personne de son choix. / Aucun avertissement ne peut être délivré au-delà d'un délai de deux ans à compter du jour où l'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, le chef de cour, le directeur ou le chef de service de l'administration centrale a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits susceptibles de justifier une telle mesure. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du magistrat, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre du magistrat avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure d'avertissement. / L'avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenu pendant cette période. "

3. Un avertissement, s'il ne constitue pas une sanction disciplinaire au sens de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, est une mesure prise en considération de la personne et est mentionné au dossier du magistrat dont il ne peut être effacé automatiquement que si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenue pendant les trois années suivantes. L'avertissement doit, dès lors, respecter les droits de la défense, qui imposent aux autorités mentionnées à l'article 44 de la même ordonnance d'aviser, dans un délai raisonnable, l'agent concerné de la mesure qu'elle s'apprête à prendre et de lui communiquer, s'il le demande, son dossier.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la lettre du 13 février 2020 par laquelle la première présidente de la cour d'appel de Colmar convoquait M. A... à un entretien préalable faisait précisément état des faits reprochés à l'intéressé et pour lesquels a été pris l'avertissement contesté. Par suite, alors même que le grief de manquement au devoir de loyauté ne figurait pas expressément dans ce courrier, le moyen tiré de la méconnaissance du respect des droits de la défense doit être écarté.

5. En second lieu, si le requérant soutient que le principe d'impartialité a été méconnu en raison des courriers critiques à son égard que le président du tribunal de grande instance de Mulhouse et la présidente de la chambre de l'instruction ont adressé à la première présidente de la cour d'appel de Colmar, il ressort des pièces du dossier que ces magistrats se sont bornés à indiquer à la première présidente que le comportement de l'intéressé leur paraissait inadapté et justifiait un avertissement. Cette circonstance n'est pas de nature à caractériser un défaut d'impartialité de la part de la première présidente de la cour d'appel de Colmar.

Sur la légalité interne :

6. Aux termes de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire (...) ".

7. Aux termes de l'article D 15-4-5 du code de procédure pénale, " Le ou les juges d'instruction coordonnateurs du pôle prévus par le quatrième alinéa de l'article 52-1 sont désignés par le président du tribunal judiciaire au début de l'année judiciaire, après avis de l'assemblée générale des magistrats du siège./ Le juge coordonnateur peut réunir à intervalles réguliers les différents juges d'instruction du pôle de l'instruction afin d'examiner l'état d'avancement des procédures dans un souci d'efficacité et de célérité des informations dont ses membres ont la charge. Ces réunions peuvent ne concerner que les juges spécialisés en application des articles 704,706-2,706-17,706-75-1 et 706-107./ Lors de ces réunions, les juges d'instruction peuvent échanger des informations sur les procédures dont ils sont saisis, aux fins notamment d'envisager d'éventuelles cosaisines. Ces échanges sont couverts par le secret de l'instruction prévu par l'article 11. Avec l'accord du juge coordonnateur, le procureur de la République peut participer à ces réunions./ Dans le respect des prérogatives de chacun des juges d'instruction saisis en vertu des articles 83 et 83-1 du code de procédure pénale, le juge coordonnateur peut préconiser toute mesure juridique ou organisationnelle utile au bon fonctionnement du service. "

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le courriel envoyé par le requérant, qui n'a pas été communiqué au magistrat chargé du cabinet n° 1, qui a été rédigé à la suite d'un " état des lieux " réalisé par le requérant au cours de sa permanence, en l'absence de son collègue ainsi que de la greffière compétente et alors qu'un état des lieux venait d'être réalisé par la présidente de la chambre de l'instruction, et qui a été communiqué au président du tribunal de grande instance, à la présidente de la chambre d'instruction, à la présidente de la chambre correctionnelle, à un magistrat venant d'être nommé juge d'instruction au tribunal de grande instance de Mulhouse ainsi qu'au procureur de la République de Mulhouse, contient des appréciations très critiques du travail du magistrat chargé du cabinet n°1. Contrairement à ce que soutient M. A..., une telle appréciation et sa diffusion ne relevaient pas de ses fonctions de juge coordonnateur telles qu'elles sont définies par l'article D. 15-4-5 du code de procédure pénale cité au point précédent. Par suite, en estimant que ces faits constituaient un manquement aux devoirs de loyauté et de délicatesse, alors même que la manière de servir de l'intéressé avait jusque-là été jugée satisfaisante, la première présidente de la cour d'appel de Colmar n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et n'a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle.

9. En dernier lieu, l'avertissement, qui est pris dans l'intérêt du service et pour le bon fonctionnement de celui-ci, n'est pas au nombre des sanctions disciplinaires limitativement énumérées par l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Ainsi, le requérant ne saurait, en tout état de cause, soutenir qu'il aurait été sanctionné plusieurs fois à raison des mêmes faits en méconnaissance du principe non bis in idem.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 440849
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 avr. 2021, n° 440849
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Calothy
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:440849.20210409
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