La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2021 | FRANCE | N°441619

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 31 mars 2021, 441619


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Civitas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre des solidarités et de la santé rejetant sa demande du 22 juin 2020 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et les recommandations du ministère de

s solidarités et de la santé du 15 avril 2020 relatives, pour l'une, aux consul...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Civitas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre des solidarités et de la santé rejetant sa demande du 22 juin 2020 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et les recommandations du ministère des solidarités et de la santé du 15 avril 2020 relatives, pour l'une, aux consultations de télémédecine pour les IVG médicamenteuses avant 9 semaines d'aménorrhée pour les femmes majeures et, pour l'autre, à l'adaptation de l'offre en matière d'IVG dans le contexte de l'épidémie de covid-19 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 10-4 et 10-5 de l'arrêté du 23 mars 2020 à compter de la date à laquelle le Conseil d'Etat se prononcera ;

3°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de rappeler que la détresse psychosociale de la femme enceinte ne permet pas de pratiquer une interruption volontaire de grossesse au-delà de la fin de la douzième semaine de grossesse ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ;

- le décret n° 2020-857 du 10 juillet 2020 ;

- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

- l'arrêté du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions relatives aux dispositions des articles 10-4 et 10-5 de l'arrêté du 23 mars 2020 :

En ce qui concerne le non-lieu :

1. En premier lieu, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que lorsque cet acte a été abrogé avant que le juge, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l'abroger, ait statué, ce recours perd son objet.

2. L'association Civitas demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Si, postérieurement à l'introduction de sa requête, cet arrêté a été abrogé par l'article 36 de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, les dispositions de ses articles 10-4 et 10-5, relatives à l'interruption volontaire de grossesse, critiquées par l'association requérantes, ont été reprises aux articles 17-1 et 17-2 de l'arrêté du 10 juillet 2020, créés par l'arrêté du 7 novembre 2020. Le ministre des solidarités et de la santé n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir que les conclusions de la requête dirigées contre le refus d'abroger ces dispositions, ainsi que contre ces dispositions elles-mêmes à la date de la présente décision, auraient perdu leur objet.

En ce qui concerne les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, dit SARS-CoV-2, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars suivant, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à midi et jusqu'au 31 mars 2020. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire, sur l'ensemble du territoire national, pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du même jour pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de cette loi, ultérieurement modifié et complété, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. En particulier, les restrictions apportées au déplacement de toute personne hors de son domicile ont été reprises, puis prorogées jusqu'au 15 avril 2020 par un décret du 27 mars 2020 et jusqu'au 11 mai 2020 par un décret du 14 avril 2020. Enfin, l'état d'urgence sanitaire a été de nouveau déclaré par un décret du 14 octobre 2020, à compter du 17 octobre, pour faire face à une seconde vague épidémique et a été prolongé par la loi du 14 novembre 2020 jusqu'au 16 février 2021 puis jusqu'au 1er juin 2021 par la loi du 15 février 2021. De nouvelles mesures générales restreignant, notamment, les déplacements, les transports et les activités ont été adoptées par le décret du 29 octobre 2020, visé ci-dessus.

4. A la date du 14 avril 2020 à laquelle les dispositions en cause ont été initialement adoptées, le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, en date du 9 avril 2020, faisait état de plus de 30 000 personnes hospitalisées pour covid-19, dont 7 131 en réanimation, au 7 avril, et de plus de 10 000 décès liés à cette maladie depuis le début du mois de mars, ainsi que d'une tendance à la stabilisation, à un niveau élevé, de la circulation du virus SARS-CoV-2, de même que des hospitalisations et des admissions en réanimation. De nombreux professionnels constataient que le nombre de femmes se déplaçant pour une interruption volontaire de grossesse avait diminué, en raison de la fermeture de certaines structures de prise en charge, de la saturation des capacités de nombreux services hospitaliers, notamment dans les régions Grand Est et Ile-de-France, de la difficulté de certains hôpitaux à assurer des interruptions sous anesthésie générale, voire plus largement par voie instrumentale, ainsi que de la crainte de pouvoir contracter la maladie ou d'avoir à justifier d'un motif de sortie et des difficultés rencontrées par certaines femmes du fait du confinement.

5. A la date de la présente décision, le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, en date du 25 mars 2021, fait état de plus de 26 818 personnes hospitalisées pour covid-19 au 23 mars 2021, dont 4 655 en réanimation, avec une nouvelle dégradation de l'ensemble des indicateurs, la poursuite de l'augmentation des admissions en services des soins critiques et des hospitalisations, dans un contexte de très forte tension hospitalière et de la diffusion des variants plus transmissibles.

En ce qui concerne le cadre juridique de l'interruption volontaire de grossesse pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse et la portée des dispositions attaquées :

S'agissant des règles générales s'appliquant à l'interruption volontaire de grossesse[PF1] pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse :

6. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code de la santé publique : " La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " L'interruption volontaire d'une grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin ou, pour les seuls cas où elle est réalisée par voie médicamenteuse, par une sage-femme. / Elle ne peut avoir lieu que dans un établissement de santé, public ou privé, ou dans le cadre d'une convention conclue entre le praticien ou la sage-femme ou un centre de planification ou d'éducation familiale ou un centre de santé et un tel établissement (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-3 de ce code : " Le médecin ou la sage-femme sollicité par une femme en vue de l'interruption de sa grossesse doit, dès la première visite, informer celle-ci des méthodes médicales et chirurgicales d'interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires potentiels. / Le médecin ou la sage-femme doit lui remettre un dossier-guide (...) " qui doit notamment comporter la liste des organismes dans lesquels une consultation préalable peut être donnée. Aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " Il est systématiquement proposé, avant et après l'interruption volontaire de grossesse, à la femme majeure une consultation avec une personne ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute autre personne qualifiée dans un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d'éducation familiale, un service social ou un autre organisme agréé. Cette consultation préalable comporte un entretien particulier au cours duquel une assistance ou des conseils appropriés à la situation de l'intéressée lui sont apportés. / Pour la femme mineure non émancipée, cette consultation préalable est obligatoire (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-5 de ce code : " Si la femme renouvelle, après les consultations prévues aux articles L. 2212-3 et L. 2212-4, sa demande d'interruption de grossesse, le médecin ou la sage-femme doit lui demander une confirmation écrite. Cette confirmation ne peut intervenir qu'après l'expiration d'un délai de deux jours suivant l'entretien prévu à l'article L. 2212-4 ". Aux termes de l'article L. 2212-7 du même code : " Si la femme est mineure non émancipée, le consentement de l'un des titulaires de l'autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal est recueilli. Ce consentement est joint à la demande qu'elle présente au médecin ou à la sage-femme en dehors de la présence de toute autre personne. / Si la femme mineure non émancipée désire garder le secret, le médecin ou la sage-femme doit s'efforcer, dans l'intérêt de celle-ci, d'obtenir son consentement pour que le ou les titulaires de l'autorité parentale ou, le cas échéant, le représentant légal soient consultés ou doit vérifier que cette démarche a été faite lors de l'entretien mentionné à l'article L. 2212-4. / Si la mineure ne veut pas effectuer cette démarche ou si le consentement n'est pas obtenu, l'interruption volontaire de grossesse ainsi que les actes médicaux et les soins qui lui sont liés peuvent être pratiqués à la demande de l'intéressée, présentée dans les conditions prévues au premier alinéa. Dans ce cas, la mineure se fait accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix (...) ".

S'agissant des règles particulières s'appliquant aux interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse :

7. L'article R. 2212-10 du code de la santé publique dispose que les interruptions volontaires de grossesse pratiquées par un médecin ou une sage-femme hors établissement de santé, dans le cadre d'une convention conclue avec un tel établissement, ainsi que le permet l'article L. 2212-2 de ce code, " sont exclusivement réalisées par voie médicamenteuse et jusqu'à la fin de la cinquième semaine de grossesse (...) ". Aux termes de l'article R. 2212-12 de ce code : " Avant de recueillir le consentement écrit de la femme dont l'âge de la grossesse et dont l'état médical et psycho-social permet la réalisation d'une interruption volontaire de grossesse par mode médicamenteux, le médecin ou la sage-femme l'informe sur les différentes méthodes d'interruption volontaire de grossesse et sur leurs éventuelles complications (...) ". Aux termes de l'article R. 2212-13 du même code : " Le médecin ou la sage-femme précise par écrit à la femme le protocole à respecter pour la réalisation de l'interruption volontaire de grossesse par mode médicamenteux. / La femme est invitée à se faire accompagner par la personne de son choix, notamment à l'occasion des consultations au cours desquelles sont administrés les médicaments ". Aux termes de l'article R. 2212-14 du même code : " Le médecin ou la sage-femme informe la femme sur les mesures à prendre en cas de survenance d'effets secondaires et s'assure qu'elle dispose d'un traitement analgésique et qu'elle peut se rendre dans l'établissement de santé signataire de la convention dans un délai de l'ordre d'une heure ". Aux termes de l'article R. 2212-15 de ce code : " Le médecin ou la sage-femme remet à la femme un document écrit dans lequel sont indiqués l'adresse précise et le numéro de téléphone du service concerné de l'établissement de santé signataire de la convention. Le médecin ou la sage-femme lui indique la possibilité d'être accueillie à tout moment par cet établissement (...) ". Aux termes de l'article R. 2212-16 du même code : " Seuls les médecins, les sages-femmes, les centres de planification ou d'éducation familiale et les centres de santé ayant conclu la convention mentionnée à l'article R. 2212-9 peuvent s'approvisionner en médicaments nécessaires à la réalisation d'une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse. / Pour s'approvisionner en médicaments nécessaires à la réalisation de cette interruption volontaire de grossesse, il est passé commande à usage professionnel auprès d'une pharmacie d'officine. (...) ". Aux termes de l'article R. 2212-17 de ce code : " Le médecin ou la sage-femme procède à la délivrance à la femme des médicaments nécessaires à la réalisation de l'interruption volontaire de grossesse. / La première prise de ces médicaments est effectuée en présence du médecin ou de la sage-femme ".

S'agissant de la portée des dispositions attaquées :

8. L'arrêté du 14 avril 2020 insère dans l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, par le 3° de son article 1er, un chapitre 8 comportant des mesures relatives à la réalisation, durant l'état d'urgence sanitaire, d'une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse en dehors d'un établissement de santé, qui permet de déroger à certaines dispositions du code de la santé publique. D'une part, il autorise la réalisation, en dehors d'un établissement de santé, d'une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse, soit au-delà du délai de cinq semaines de grossesse prévu à l'article R. 2212-10 du code de la santé publique, et permet la prescription à cette fin des spécialités pharmaceutiques à base de mifépristone et à base de misoprostol, par dérogation à l'article L. 5121-8 du même code, en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché, notamment quant au nombre de jours d'aménorrhée et à la posologie. Il prévoit qu'une telle interruption doit être pratiquée dans le respect du protocole validé par la Haute Autorité de santé le 9 avril 2020 et publié sur son site internet, reposant sur l'association médicamenteuse de ces deux catégories de spécialités, la première étant une anti-progestérone et la seconde un analogue de la prostaglandine, utilisé dans une posologie excédant celle prévue par son autorisation de mise sur le marché. D'autre part, par dérogation aux articles R. 2212-16, R. 2212-17 et R. 5121-80 du code de la santé publique, sous réserve du consentement libre et éclairé de la femme et, au vu de l'état de santé de celle-ci, de l'accord du professionnel de santé, il permet la prescription, dans le cadre d'une téléconsultation réalisée par le médecin ou la sage-femme, des médicaments nécessaires à la réalisation d'une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse, la délivrance directe, par le pharmacien d'officine à la femme, de ces médicaments, dans un conditionnement ajusté à la prescription, et la prise du premier de ces médicaments lors d'une téléconsultation avec le médecin ou la sage-femme. Ainsi qu'il a été dit au point 2, si l'arrêté du 23 mars 2020 a été abrogé par l'article 36 de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, les dispositions de ses articles 10-4 et 10-5, relatives à l'interruption volontaire de grossesse, critiquées par l'association requérantes, ont été reprises aux articles 17-1 et 17-2 de l'arrêté du 10 juillet 2020, créés par l'arrêté du 7 novembre 2020.

En ce qui concerne le respect des conditions posées par l'article L. 3131-16 du code de la santé publique :

9. L'article L. 3131-16 permet au ministre chargé de la santé, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, de prescrire certaines mesures relatives à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à condition, notamment, qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.

10. En premier lieu, si toutes les consultations de la femme enceinte avec le médecin ou la sage-femme, au nombre de deux au minimum avant d'une interruption volontaire de grossesse, peuvent se dérouler par téléconsultation, c'est, ainsi que le prévoient les dispositions critiquées, sous réserve de l'accord, au vu de l'état de santé de la femme, du professionnel de santé. En particulier, il appartient à celui-ci, si la datation de la grossesse ne peut être suffisamment précisée en interrogeant la femme, de procéder à son examen clinique voire à une échographie, en l'adressant si nécessaire à l'établissement de santé avec lequel il a passé la convention prévue par l'article L. 2212-2 du code de la santé publique, ainsi que doit le prévoir cette convention, conformément à la convention type figurant à l'annexe 22-1 du même code. Par ailleurs, les dispositions en cause ne dérogent pas à l'exigence que la femme puisse se rendre dans cet établissement dans un délai de l'ordre d'une heure au maximum, fixée par l'article R. 2212-14 de ce code, et à l'obligation, résultant des articles L. 2212-3, R. 2212-12, R. 2212-14 et R. 2212-15 du même code, de l'informer sur les éventuelles complications et les mesures à prendre en cas de survenance d'effets secondaires, de lui prescrire un traitement analgésique approprié et de l'informer de ce qu'elle peut se rendre à tout moment, en cas de besoin, dans l'établissement de santé signataire de la convention dont le professionnel lui remet les coordonnées, ainsi que le rappellent au demeurant le protocole validé par la Haute Autorité de santé le 9 avril 2020 et les fiches mises en ligne sur le site internet du ministère des solidarités et de la santé pour accompagner la mise en oeuvre de l'arrêté. Elles ne dérogent pas non plus à l'obligation de réaliser une consultation de contrôle et de vérification de l'interruption de la grossesse entre quatorze et vingt et un jours suivant celle-ci, mentionnée à l'article R. 2212-18 de ce code, le praticien qui procèderait par téléconsultation devant alors nécessairement, si un doute subsiste sur la vacuité utérine, recevoir la patiente pour procéder à son examen clinique, voire l'adresser à l'établissement avec lequel il a passé convention, ainsi que celle-ci doit le prévoir.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que si le protocole validé par la Haute Autorité de santé pour les interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse pratiquées au cours des sixième et septième semaines de grossesse prévoit, pour tenir compte de l'avancement de celle-ci, une posologie de misoprostol deux fois plus élevée que celle pour laquelle les spécialités correspondantes disposent d'une autorisation de mise sur le marché en France, il s'appuie sur des recommandations nationales et internationales émises par plusieurs sociétés savantes de gynécologues et d'obstétriciens, ainsi que par le National Institute for Health and Care Excellence, et mises en oeuvre dans certains pays en dehors d'un établissement de santé. En outre, compte tenu des événements rares mais graves signalés, le protocole écarte l'administration de misoprostol par voie vaginale, susceptible d'accroître les risques, et prévoit que le médecin doit surveiller les risques vasculaires et infectieux, notamment en cas de maladie ou de facteurs de risque cardiovasculaires, et en informer la femme.

12. En troisième lieu, les dispositions attaquées ne dérogent pas à l'obligation, prévue à l'article L. 2212-4 du code de la santé publique, de proposer à la femme une consultation préalable comportant un entretien particulier au cours duquel une assistance ou des conseils appropriés à sa situation peuvent lui être apportés. S'il est plus difficile pour la femme de se faire accompagner par la personne de son choix aux consultations médicales, ainsi que le professionnel doit l'y inviter en vertu de l'article R. 2212-13 du code, cette situation résulte non des dispositions de l'arrêté attaqué mais de la situation de crise sanitaire.

13. Compte tenu, à la date de leur adoption, de la situation sanitaire résultant de l'épidémie de covid-19, de ses incidences sur le fonctionnement des établissements de santé, dont beaucoup n'étaient plus en mesure de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie instrumentale, et des mesures de restriction des déplacements prises pour la combattre, décrites aux points 3 et 4, les mesures critiquées étaient nécessaires pour assurer l'effectivité du droit reconnu par l'article L. 2212-1 du code de la santé publique de recourir à une interruption volontaire de grossesse jusqu'à la fin de la douzième semaine de grossesse et pour garantir la santé publique dans la situation de catastrophe sanitaire, en prévenant des interruptions tardives et en limitant l'exposition au virus des femmes et des professionnels de santé. Elles peuvent être regardées comme le demeurant, à la date de la présente décision, compte tenu de la nouvelle augmentation de l'ensemble des indicateurs, notamment du nombre de patients en hospitalisation et en services de soins critiques, dans un contexte de très forte tension hospitalière.

14. Il suit de là que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions qu'elle critique, justifiées par la situation de catastrophe sanitaire ayant motivé la déclaration d'état d'urgence sanitaire, ne seraient plus, au jour de la présente décision, ainsi que l'exige l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.

15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de l'association requérante dirigées contre le refus d'abroger les dispositions des articles 10-4 et 10-5 de l'arrêté du 23 mars 2020, ainsi que contre ces dispositions elles-mêmes doivent être rejetées. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger les recommandations du ministre des solidarités et de la santé du 15 avril 2020 :

16. L'association Civitas demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger les recommandations du ministère des solidarités et de la santé du 15 avril 2020 relatives, pour l'une, aux consultations de télémédecine pour les interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses avant 9 semaines d'aménorrhée pour les femmes majeures et, pour l'autre, à l'adaptation de l'offre en matière d'interruptions volontaires de grossesse dans le contexte de l'épidémie de covid-19. Il ressort des pièces du dossier que ces recommandations, qui avaient pour seul objet d'accompagner la mise en oeuvre des dispositions des articles 10-4 et 10-5 de l'arrêté du 23 mars 2020 avant leur abrogation le 10 juillet 2020, sont devenues caduques du fait de cette abrogation et n'ont pas été reprises depuis. Les conclusions de la requête dirigées contre le refus de les abroger ont donc, perdu leur objet, de même que les conclusions à fin d'injonction s'y rapportant.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, dès lors, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation de la requête qui sont dirigées contre le refus d'abroger les recommandations du ministre des solidarités et de la santé du 15 avril 2020 et sur les conclusions à fin d'injonction s'y rapportant.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Civitas est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Civitas et au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 441619
Date de la décision : 31/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2021, n° 441619
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Pacoud
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:441619.20210331
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award