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31/03/2021 | FRANCE | N°436412

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 31 mars 2021, 436412


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels elle a été assujettie à raison d'une plus-value immobilière au titre de l'année 2012, à hauteur d'une somme de 90 086 euros. Par un jugement n° 1610535 du 8 octobre 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18PA03836 du 3 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouvea

ux mémoires, enregistrés les 3 décembre 2019, 3 mars 2020, 29 septembre 2020 et 6 oc...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels elle a été assujettie à raison d'une plus-value immobilière au titre de l'année 2012, à hauteur d'une somme de 90 086 euros. Par un jugement n° 1610535 du 8 octobre 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18PA03836 du 3 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 décembre 2019, 3 mars 2020, 29 septembre 2020 et 6 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l'Union européenne de la législation française, en tant qu'elle soumet aux mêmes prélèvements sur les revenus du capital au titre d'une cotisation au régime français de sécurité sociale les investisseurs résidant en France et affiliés à ce régime et les investisseurs non-résidents qui relèvent du régime de sécurité sociale d'un État tiers à l'Union européenne ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- l'arrêt C-322/11 de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 novembre 2013 ;

- l'arrêt C-623/13 de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015 ;

- l'arrêt C-45/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 janvier 2018 ;

- l'arrêt C-156/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 janvier 2020 ;

- l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique du 2 mars 1987 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mars 2021, présente par Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., ressortissante des Etats-Unis d'Amérique où elle est fiscalement domiciliée, a été, en application des dispositions de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, assujettie aux prélèvement sociaux sur la plus-value réalisée à l'occasion de la cession, en 2012, d'un bien immobilier situé en France qu'elle avait acquis en 1995. Après le rejet de sa réclamation, Mme A... a saisi le juge de l'impôt du litige l'opposant à l'administration fiscale. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 octobre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 8 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge de ces prélèvements sociaux.

2. En vertu de l'article 63, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à la liberté de circulation des capitaux, sont prohibées les restrictions aux mouvements de capitaux entre États membres ainsi qu'entre États membres et pays tiers. Est au nombre de ces mouvements de capitaux la cession d'un investissement immobilier, comme en a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-322/11 du 7 novembre 2013, K. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier de son arrêt C-156/17 du 30 janvier 2020, Köln-Aktienfonds Deka, que les mesures interdites par l'article 63, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de procéder à des investissements dans un État membre, qu'elles introduisent une différence de traitement entre résidents et non-résidents (restriction directe), ou que, bien qu'indistinctement applicables aux résidents et aux non-résidents, elles défavorisent, de fait, les situations transfrontalières (restriction indirecte). De telles restrictions peuvent néanmoins être justifiées, et partant compatibles avec la liberté de circulation des capitaux, lorsqu'elles s'appliquent à des situations qui ne sont pas objectivement comparables, ainsi qu'il résulte de l'article 65, paragraphe 1, du même traité, tel qu'interprété par une jurisprudence constante de la Cour de justice, notamment les deux arrêts mentionnés ci-dessus.[CH1]

3. Pour juger que l'administration fiscale avait pu, sans méconnaître le droit de l'Union en matière de liberté de circulation des capitaux, assujettir aux prélèvements sociaux la plus-value réalisée par Mme A..., la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 18 janvier 2018, Frédéric Jahin contre Ministre de l'économie et des finances, Ministre des affaires sociales et de la santé (aff. C-45/17), les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à la législation d'un État membre en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers autre qu'un État membre de l'Espace économique européen ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans cet État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d'une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu'un ressortissant de l'Union relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l'unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en vertu de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

4. Toutefois, en se fondant ainsi sur la conformité à la liberté de circulation des capitaux d'une différence de traitement entre ressortissants européens, auxquels s'applique le règlement du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, selon l'Etat dans lequel ils résident et sont affiliés à un régime de sécurité sociale, alors que, conformément à ses propres constatations, Mme A... est ressortissante des Etats-Unis d'Amérique, la cour administrative d'appel a entaché l'arrêt attaqué d'erreur de droit.

5. Cependant, ainsi que l'a également relevé la cour, les règles relatives à l'assujettissement aux prélèvements sociaux des plus-values de cession immobilière sont indistinctement applicables, sans considération de leur nationalité, aux résidents des États-Unis d'Amérique, tels que Mme A..., et aux résidents de France, si bien qu'aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux ne peut en l'espèce être constatée. Aucune restriction indirecte entre résidents de France et résidents d'un État tiers à l'Union européenne échappant au champ d'application du règlement du 29 avril 2004 [CH2]ne saurait davantage résulter de la circonstance que l'assujettissement aux prélèvements sociaux des seconds ne leur permet pas de bénéficier en France des prestations sociales généralement offertes aux premiers, dès lors que ces prélèvements n'ont pas le caractère d'une cotisation contributive ouvrant vocation au bénéfice des prestations et avantages servis par les régimes français obligatoires de sécurité sociale, mais celui d'une imposition de toute nature. Enfin, si les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre, d'un État membre de l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse sont exonérés de ces prélèvements, alors qu'y sont soumis les ressortissants américains qui résident aux États-Unis et y sont affiliés à un régime de sécurité sociale, il existe entre ces deux situations une différence objective, qui tient à ce qu'un ressortissant américain résidant aux États-Unis, qui n'entre pas dans le champ d'application personnel du règlement du 29 avril 2004, n'est pas susceptible de bénéficier du principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale prévu à son article 11, de sorte que cette différence de traitement ne porte pas, en tout état de cause, une atteinte injustifiée à la liberté de circulation des capitaux.

6. Il y a donc lieu, pour écarter l'argumentation de Mme A... tirée de la méconnaissance des articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de substituer ce motif de pur droit à celui, erroné en droit, retenu par la cour, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

7. C'est, par ailleurs, sans commettre d'erreur de droit que la cour a jugé que Mme A... ne pouvait, en tout état de cause, se prévaloir du principe d'unicité de la législation sociale prévu à l'article 5 de l'accord franco-américain du 2 mars 1987, dès lors que le champ d'application de cette stipulation est limité aux personnes exerçant un emploi et qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que tel n'était pas le cas de la requérante à la date du fait générateur des prélèvements en cause.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 436412
Date de la décision : 31/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2021, n° 436412
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassagnabère
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:436412.20210331
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