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30/03/2021 | FRANCE | N°445558

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 30 mars 2021, 445558


Vu la procédure suivante :

Mme U... R..., M. A... C..., M. B... L..., M. AG... AF..., Mme AL... T..., M. G... O..., M. B... H..., M. F... I..., M. AG... X..., Mme AA... AI... et Mme V... K... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune d'Ignaux (Ariège).

Par un jugement n° 2001537 du 17 septembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.

Par une requête, deux mémoires compl

mentaires, un mémoire en réplique et des observations, enregistrés les 22 oct...

Vu la procédure suivante :

Mme U... R..., M. A... C..., M. B... L..., M. AG... AF..., Mme AL... T..., M. G... O..., M. B... H..., M. F... I..., M. AG... X..., Mme AA... AI... et Mme V... K... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune d'Ignaux (Ariège).

Par un jugement n° 2001537 du 17 septembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.

Par une requête, deux mémoires complémentaires, un mémoire en réplique et des observations, enregistrés les 22 octobre, 5 novembre et 7 décembre 2020 et les 23 février et 15 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme R..., M. C..., M. L..., M. AF..., Mme T..., M. O..., M. H..., M. I..., M. X..., Mme AI... et Mme K... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces opérations électorales ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code électoral ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. W... Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme R..., de M. C..., de M. L..., de M. AF..., de Mme T..., de M. O..., de M. H..., de M. I..., de M. X..., de Mme AI... et de Mme K... ;

Considérant ce qui suit :

1. Lors des opérations électorales organisées en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune d'Ignaux (Ariège), qui se sont déroulées le 15 mars 2020, 157 suffrages ont été exprimés sur un total de 170 électeurs inscrits. Les onze membres de la liste " Unis et solidaires pour Ignaux 2020 ", conduite par le maire sortant M. N... C..., ont obtenu chacun entre 79 et 83 voix, soit plus de la moitié des suffrages exprimés et ont donc été élus dès le premier tour, tandis que les membres de la liste " Ignaux Demain ", conduite par Mme U... R..., n'ont obtenu chacun qu'entre 73 et 77 voix. Mme R... et autres relèvent appel du jugement du 17 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur protestation tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 773-1 du code de justice administrative : " Les requêtes en matière d'élections municipales et cantonales sont présentées, instruites et jugées dans les formes prescrites par le présent code, par le code électoral et par les lois particulières en la matière ". Aux termes de l'article R. 119 du code électoral : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. / (...) / Dans l'un et l'autre cas, la notification est faite, dans les trois jours de l'enregistrement de la protestation, aux conseillers dont l'élection est contestée qui sont avisés en même temps qu'ils ont cinq jours pour tout délai à l'effet de déposer leurs défenses au greffe (...) ". Aux termes de l'article R. 120 du même code : " Le tribunal administratif prononce sa décision dans le délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) ".

3. Il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral citées au point 2 ci-dessus que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs ne sont pas tenus d'ordonner la communication des mémoires en défense des conseillers municipaux dont l'élection est contestée aux auteurs des protestations, ni des autres mémoires ultérieurement enregistrés et qu'il appartient seulement aux parties, si elles le jugent utile, de prendre connaissance de ces défenses et mémoires ultérieurs au greffe du tribunal administratif. Ainsi, le défaut de communication de ces mémoires n'entache pas la décision juridictionnelle d'irrégularité, même s'ils contiennent des éléments nouveaux. Il en va ainsi alors même qu'en application de l'article 17 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, les tribunaux administratifs pouvaient rendre leurs jugements jusqu'au 30 septembre 2020 sur les recours contre les résultats du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires lorsque ces conseillers ont été élus le 15 mars 2020.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction aurait été méconnu, dès lors que le tribunal administratif de Toulouse n'était pas tenu de leur communiquer le mémoire en défense déposé le 1er mai 2020 par les conseillers municipaux élus.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

6. Il résulte de l'instruction que devant le tribunal administratif, les requérants avaient présenté le 1er septembre 2020, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, une demande d'inscription en faux présentée sur le fondement des dispositions de l'article R. 633-1 du code de justice administrative et qui concernait les témoignages qui avaient été présentés à l'appui du mémoire en défense enregistré le 1er mai 2020.

7. Si les requérants soutiennent que leur mémoire produit le 1er septembre 2020 contenait des éléments nouveaux qui auraient dû conduire le tribunal administratif à rouvrir l'instruction, ils étaient en mesure d'en faire état avant la clôture de celle-ci dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, ils disposaient de la faculté de prendre connaissance au greffe du tribunal administratif du mémoire en défense déposé le 1er mai et des témoignages qui y étaient versés. Par suite, le tribunal administratif n'était pas tenu de rouvrir l'instruction.

Sur la régularité des opérations électorales :

En ce qui concerne le grief tiré de l'affichage par la municipalité sortante d'une note informative présentant un caractère polémique le jour du scrutin :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Aux termes de l'article L. 49 du même code : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ". Si Mme R... et les autres requérants soutiennent qu'était exposée jusqu'au jour du scrutin, dans les armoires vitrées destinées à l'affichage municipal situées à l'entrée de la mairie une " note d'information " présentant un caractère polémique et s'apparentant ainsi à de la propagande électorale, à laquelle ils n'auraient pas pu répliquer, ils ne contestent pas en appel que ce document avait été affiché dès le 25 février, ce qui leur a permis d'en démentir le contenu. Le grief tiré de la méconnaissance des articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral ne peut donc qu'être écarté.

9. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ". Les griefs tirés de ce que l'affichage de la " note d'information " mentionnée au point précédent méconnaîtrait l'article L. 52-8 du code électoral et, compte tenu du lieu où elle était apposée, porterait atteinte au principe de neutralité du bureau de vote sont, ainsi que cela est relevé en défense, nouveaux en appel et, par suite, irrecevables.

En ce qui concerne le grief tiré du refus du maire sortant de mettre la liste électorale de la commune à la disposition des candidats de la liste " Unis et solidaires pour Ignaux 2020 " :

10. Aux termes de l'article L. 37 du code électoral : " Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. / Tout candidat et tout parti ou groupement politique peuvent prendre communication et obtenir copie de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial ".

11. En premier lieu, si les requérants soutiennent qu'ils n'ont pu consulter, le 5 juin 2019, la liste électorale de l'année 2019 que dans des conditions difficiles, cette circonstance à la supposée établie est insusceptible d'avoir, par elle-même, altéré la sincérité du scrutin du 15 mars 2020, lequel a au demeurant été organisé à partir de la liste électorale de l'année 2020.

12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la commune d'Ignaux a été en proie à des difficultés techniques, tenant à l'absence de concordance entre les tables de données figurant dans l'application informatique de la commune et celles du répertoire électoral unique (REI) pour pouvoir arrêter la liste électorale devant être utilisée pour les élections municipales des 15 et 22 mars 2020. Par suite, la circonstance que la commune n'ait pas donné suite à la demande de communication de cette liste par les candidats de la liste " Ignaux Demain ", notamment à la suite de la sommation interpellative par huissier à laquelle ont recouru le 24 février 2020 les requérants, ne peut être regardée comme une manoeuvre de la municipalité sortante ayant altéré la sincérité du scrutin, alors au demeurant que les requérants ont obtenu communication de cette liste le 4 mars 2020 par la préfecture et le 6 mars 2020 par la commune, et ont été en mesure de saisir le tribunal judiciaire de Foix d'une demande qui a abouti, par jugement du 13 mars 2020, à la radiation de onze personnes de la liste électorale.

13. En troisième lieu, en l'absence de toute manoeuvre, ainsi qu'il a été dit au point 12, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la communication tardive de la liste électorale 2020 les a privés de la possibilité d'obtenir la radiation d'autres personnes dont ils soutiennent qu'elles figuraient irrégulièrement sur cette liste.

En ce qui concerne le grief tiré de la diffusion en décembre 2019 d'un tract de propagande électorale par la municipalité sortante :

14. Aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. / A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ".

15. Il résulte de l'instruction que si la municipalité alors en place d'Ignaux a été à l'origine en décembre 2019 de la diffusion auprès de la population d'un document d'information du maire relatif au fonctionnement de l'association foncière dont la commune est membre et aux difficultés qu'elle rencontre avec un agriculteur de la commune avec lequel un bail a été passé, ce document n'avait pas la nature d'une campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion de la commune. Par suite, ce grief ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le grief tiré du comportement du maire sortant la veille et le jour du scrutin :

16. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le maire sortant s'est rendu au domicile de plusieurs électeurs la veille du scrutin et le jour de celui-ci, un tel comportement n'est pas prohibé par les dispositions de l'article L. 49 du code électoral citées au point 8.

17. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le maire d'Ignaux aurait procédé le jour du scrutin à des appels téléphoniques en série afin d'inciter les électeurs à voter pour sa liste, en méconnaissance de l'article L. 49-1 du code électoral, dans sa rédaction alors en vigueur.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme R... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur protestation.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. C... et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... et autres au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme R... et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... et autres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme U... R..., M. A... C..., M. B... L..., M. AG... AF..., Mme AL... T..., M. G... O..., M. B... H..., M. F... I..., M. AG... X..., Mme AA... AI..., Mme V... K..., M. N... C..., Mme AH... AB..., M. AK... Q..., M. W... AJ..., M. M... E..., M. Y... C..., M. AD... S..., M. B... P..., Mme Z... D..., M. AE... C... et M. J... AC....

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ariège et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 445558
Date de la décision : 30/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mar. 2021, n° 445558
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445558.20210330
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