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05/03/2021 | FRANCE | N°433529

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 05 mars 2021, 433529


Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision de la Caisse des dépôts et consignations du 11 janvier 2017 par laquelle elle a rejeté son recours gracieux contre l'annulation de sa pension de réversion à compter du 1er octobre 2006 et lui a ordonné de restituer une somme de 109 572,25 euros correspondant à des arrérages de pension indûment versés entre le 1er octobre 2006 et le 31 août 2016. Par un jugement n° 1700970 du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

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Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision de la Caisse des dépôts et consignations du 11 janvier 2017 par laquelle elle a rejeté son recours gracieux contre l'annulation de sa pension de réversion à compter du 1er octobre 2006 et lui a ordonné de restituer une somme de 109 572,25 euros correspondant à des arrérages de pension indûment versés entre le 1er octobre 2006 et le 31 août 2016. Par un jugement n° 1700970 du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 août et 12 novembre 2019 et le 15 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

-le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

-le décret n° 65-836 du 24 septembre 1965 ;

- le décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mme B... et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, depuis le 1er septembre 1996, Mme B... a bénéficié d'une pension de réversion du chef de son époux décédé. La Caisse des dépôts et consignations lui a adressé le 6 juillet 2016, dans le cadre d'une enquête sur la situation des bénéficiaires de pensions, un formulaire de déclaration destiné à mettre à jour sa situation familiale. Mme B... a retourné ce formulaire en indiquant vivre en concubinage depuis le mois d'octobre 2006. À la réception de cette déclaration, la Caisse des dépôts et consignations a suspendu le paiement de la pension de réversion de Mme B... à compter du 1er septembre 2016, puis par une décision du 22 novembre 2016, annulé cette pension à compter du 1er octobre 2006. Par un courrier du 10 janvier 2017, la Caisse des dépôts et consignations a informé Mme B... de la notification ultérieure d'une décision lui ordonnant la restitution d'une somme de 109 572,25 euros correspondant à des arrérages de pension indûment versés pour la période du 1er octobre 2006 au 31 août 2016. Par une décision du 11 janvier 2017, la Caisse des dépôts et consignations a rejeté le recours gracieux de Mme B.... Par un jugement du 12 juin 2019, contre lequel Mme B... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 janvier 2017 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations a rejeté son recours gracieux.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Si, en principe, le droit à pension de réversion est régi par les dispositions en vigueur à la date du décès de l'ayant cause, la restitution des sommes payées indûment au titre d'une pension est soumise, en l'absence de disposition contraire, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle l'autorité compétente décide de procéder à la répétition des sommes indûment versées.

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Ont droit au bénéfice des dispositions du présent décret : / 1° Les personnels ouvriers des établissements industriels de l'Etat figurant à l'annexe au présent décret ; / 2° Leurs conjoints survivants et leurs orphelins ". En vertu du I de l'article 2 du même décret : " Le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat est chargé d'assurer le service des pensions concédées ou révisées au profit des bénéficiaires du présent décret. Il est géré par la Caisse des dépôts et consignations et fonctionne sous le régime de la répartition. Il est représenté en justice et dans tous les actes de la vie civile par le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ". Aux termes de l'article 32 de ce décret : " Le conjoint survivant ou divorcé qui contracte un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire perd son droit à pension (...) ".

4. Le dernier alinéa de l'article 35 du décret du 5 octobre 2004 dispose que : " La restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires, d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent décret, est réglée conformément aux dispositions de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Aux termes de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Sauf le cas de fraude, omission, déclaration inexacte ou de mauvaise foi de la part du bénéficiaire, la restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires ou d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent code, ne peut être exigée que pour celles de ces sommes correspondant aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures ".

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

6. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bordeaux a, implicitement mais nécessairement, interprété les conclusions de Mme B... demandant l'annulation de la décision du 11 janvier 2017 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations a rejeté son recours gracieux comme étant dirigées contre la décision du 22 novembre 2016 par laquelle la caisse a annulé sa pension de réversion. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, le tribunal administratif a donné une portée utile à ses conclusions à l'ensemble desquelles il a répondu par un jugement suffisamment motivé.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Selon l'article L. 242-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 242-1, l'administration peut, sans condition de délai : / 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie ; (...) ".

8. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 32 du décret du 5 octobre 2004, citées au point 3, que le maintien du bénéfice par le conjoint survivant ou divorcé de la pension de réversion est soumis à la condition qu'il ne contracte pas un nouveau mariage ou qu'il ne vive pas en état de concubinage notoire après le décès de son conjoint.

9. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., dont l'époux, ouvrier d'un établissement industriel de l'Etat, est décédé en 1996, vit en état de concubinage depuis le mois d'octobre 2006. Mme B... ne remplissait donc plus, à compter de cette dernière date, la condition à laquelle était subordonné le maintien de la pension de réversion dont elle bénéficiait du chef de son époux décédé. Dès lors, la Caisse des dépôts et consignations pouvait légalement, sans condition de délai, abroger la décision par laquelle elle lui a concédé une pension de réversion alors même que cette décision était créatrice de droits. Par suite, le tribunal administratif de Bordeaux n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits en estimant que la décision en litige pouvait légalement abroger une décision créatrice de droits.

10. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que, compte tenu de la date à laquelle la Caisse des dépôts et consignations a décidé de procéder à la répétition des sommes indûment versées, les dispositions relatives aux règles de prescription applicables à la pension de réversion perçue par Mme B..., dont l'époux était ouvrier d'un établissement industriel de l'Etat, sont celles du décret du 5 octobre 2004, qui renvoient au code des pensions civiles et militaires de retraite.

11. La perception par Mme B..., du 1er octobre 2006 au 31 août 2016, de sa pension de réversion malgré son concubinage notoire est consécutive à une absence de déclaration auprès de l'administration lors de son changement de situation. Cette omission, alors même qu'elle ne révèle aucune intention frauduleuse ou mauvaise foi, fait obstacle à l'application de la prescription prévue par l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

12. Dès lors, le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, d'une part, qu'il appartenait à la requérante d'informer la Caisse des dépôts et consignations du changement intervenu dans sa situation familiale et, d'autre part, que la perception de sa pension de réversion entre le 1er octobre 2006 et le 31 août 2016 était consécutive à la circonstance qu'elle n'avait pas déclaré vivre en état de concubinage notoire depuis cette première date. Le tribunal administratif n'a pas davantage inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que l'absence de déclaration était constitutive d'une omission au sens des dispositions de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme B... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 05 mar. 2021, n° 433529
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD ; SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 05/03/2021
Date de l'import : 16/03/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 433529
Numéro NOR : CETATEXT000043246408 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-03-05;433529 ?
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