La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2021 | FRANCE | N°439649

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 19 février 2021, 439649


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 18 mars, le 12 octobre, à nouveau le 12 octobre et le 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 janvier 2020 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a refusé de reconnaître le diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport délivré par l'université de Nice-Sophia Antipolis

au titre de l'année universitaire 2015/2016 ;

2°) d'enjoindre au conseil nationa...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 18 mars, le 12 octobre, à nouveau le 12 octobre et le 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 janvier 2020 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a refusé de reconnaître le diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport délivré par l'université de Nice-Sophia Antipolis au titre de l'année universitaire 2015/2016 ;

2°) d'enjoindre au conseil national de l'ordre de reconnaître ce diplôme dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la décision n° 430764 du 22 novembre 2019 du Conseil d'Etat statuant au contentieux ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 février 2021, présentée par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 6 octobre 2017, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, saisi d'une demande de M. A..., a refusé de reconnaître le diplôme d'université de kinésithérapie du sport délivré en 2016 par l'université de Nice. Par la décision visée ci-dessus du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé ce refus et enjoint au conseil national de l'ordre de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de deux mois. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 janvier 2020 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a, une seconde fois, refusé de reconnaître ce diplôme.

Sur le droit applicable :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 4321-122 du code de la santé publique : " Les indications qu'un masseur-kinésithérapeute est autorisé à mentionner sur ses documents professionnels sont : (...) 5° Ses diplômes, titres, grades et fonctions lorsqu'ils ont été reconnus par le conseil national de l'ordre ; (...) ". Aux termes de l'article R. 4321-123 du même code : " Les indications qu'un masseur-kinésithérapeute est autorisé à faire figurer dans les annuaires à usage du public, dans la rubrique : masseurs-kinésithérapeutes, quel qu'en soit le support, sont : (...) 3° La qualification, les titres reconnus conformément au règlement de qualification, les titres et les diplômes d'études complémentaires reconnus par le conseil national de l'ordre (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4321-65 du code de la santé publique : " Le masseur-kinésithérapeute ne divulgue pas dans les milieux professionnels une nouvelle pratique insuffisamment éprouvée sans accompagner sa communication des réserves qui s'imposent. Il ne fait pas une telle divulgation auprès d'un public non professionnel ". Aux termes de l'article R. 4321-80 du même code : " Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s'engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science ". Enfin, aux termes de l'article R. 4321-87 : " Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger, un produit ou un procédé, illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite ".

4. Il résulte de ces dispositions que le Conseil national de l'ordre des masseurs- kinésithérapeutes peut légalement, dans l'exercice de la compétence qui lui est conférée par les articles R. 4321-122 et R. 4321-123 du code de la santé publique cités au point 2, refuser de reconnaître un diplôme comportant l'enseignement d'une technique qui ne doit pas être pratiquée par les masseurs-kinésithérapeutes en raison du danger qu'elle comporte pour les patients.

5. Par ailleurs, lorsqu'une formation inclut l'enseignement de techniques qui, sans être au nombre de celles mentionnées au point précédent, sont néanmoins insuffisamment éprouvées ou non conformes aux données actuelles de la science, cette circonstance est également susceptible de justifier le refus de reconnaissance du diplôme qui la sanctionne. L'appréciation du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes doit cependant tenir compte, dans un tel cas, de la place relative qui est dévolue à ces techniques dans la formation en cause et des modalités de leur présentation, l'enseignement des caractéristiques et des risques de certaines techniques encore peu éprouvées n'étant pas nécessairement à exclure de la formation des praticiens.

Sur la décision attaquée :

6. L'autorité de chose jugée qui s'attache au dispositif d'une décision juridictionnelle d'annulation et aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, à la suite de l'annulation d'une décision ayant rejeté une demande et en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, la même demande fasse l'objet d'un nouveau rejet pour des motifs identiques à ceux qui ont été censurés par la décision juridictionnelle.

7. Pour annuler, par sa décision du 22 novembre 2019, la première décision de refus du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, le Conseil d'Etat a jugé qu'en fondant cette décision sur la présence, dans la formation litigieuse, d'enseignements de " Tecar thérapie ", " ventouses " et " kinésio-taping ", le conseil national de l'ordre avait fait une inexacte application des dispositions des articles R. 4321-122 et R. 4321-123 du code de la santé publique, au motif que, à les supposer insuffisamment éprouvées ou non conformes aux données actuelles de la science, ces techniques n'occupaient qu'une place très limitée dans le programme de la formation et qu'il n'était pas allégué qu'elles présentaient un danger.

8. Il ressort des pièces du dossier que le second refus de reconnaissance du diplôme d'université de kinésithérapie du sport délivré en 2016 par l'université de Nice opposé, le 21 janvier 2020, par le Conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes est fondé sur trois motifs tenant, premièrement, à ce que les techniques de " Tecar thérapie ", " ventouses ", " kinésio-taping " sont insuffisamment éprouvées ou non conformes aux données actuelles de la science et que leur enseignement, pendant respectivement deux heures, trois heures et trois heures, représente une durée significative du volume horaire des enseignements dits " pratiques ", deuxièmement, au caractère dangereux de la technique des " ventouses " et, troisièmement, à ce que les enseignements de " Tecar thérapie ", " ventouses ", " kinésio-taping ", " homéopathie et sport " et " nutrition du sportif " représentent, pris globalement, une part significative du volume horaire d'enseignements théoriques et pratiques.

9. En premier lieu, en estimant que le volume horaire d'enseignement pratique des techniques de " Tecar thérapie ", " ventouses " et " kinésio-taping " était, par son importance au sein des enseignements pratiques, de nature à justifier légalement un refus de reconnaissance du diplôme litigieux, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a méconnu l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 22 novembre 2019 du Conseil d'Etat statuant au contentieux.

10. En deuxième lieu, si le conseil national de l'ordre produit en défense des témoignages établissant que la technique des " ventouses " peut comporter des risques pour les patients, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment au faible volume horaire de l'enseignement de cette technique, qu'elle présenterait un danger justifiant que la présence d'un tel enseignement fasse par elle-même obstacle à la reconnaissance du diplôme litigieux.

11. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes aurait, en respectant l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 22 novembre 2019, pris la même décision de refus s'il n'avait retenu que le troisième motif mentionné au point 8.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

13. L'exécution de la présente décision implique que la demande de M. A... soit réexaminée par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à celui-ci de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes le versement à M. A... d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande au même titre le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 21 janvier 2020 du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de réexaminer la demande de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Monsieur B... A... et au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 439649
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 fév. 2021, n° 439649
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Flavie Le Tallec
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:439649.20210219
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award