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08/02/2021 | FRANCE | N°442331

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 08 février 2021, 442331


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et trois mémoires en réplique, enregistrés les 31 juillet, 7 août, 29 septembre, 27 octobre et 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 juin 2020 rapportant le décret du 21 mars 2017 en ce qu'il lui avait accordé la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrativ

e.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Convention européenne de sauvegar...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et trois mémoires en réplique, enregistrés les 31 juillet, 7 août, 29 septembre, 27 octobre et 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 juin 2020 rapportant le décret du 21 mars 2017 en ce qu'il lui avait accordé la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Mme D..., ressortissante camerounaise, a déposé une demande de naturalisation, le 19 juin 2016, dans laquelle elle a indiqué être célibataire et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, elle a été naturalisée par décret du 21 mars 2017. Toutefois, par courriel du 11 juin 2018, l'intéressée a informé le ministre chargé des naturalisations qu'elle avait contracté mariage le 26 août 2016 à Douala (Cameroun) avec M. C... B..., ressortissant camerounais résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 5 juin 2020, le Premier ministre a rapporté le décret de naturalisation de Mme D... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation familiale. Mme D... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le décret attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et est, dès lors, suffisamment motivé.

4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.

5. Il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a notifié à Mme D... les motifs justifiant le retrait du décret lui accordant la nationalité française par une lettre datée du 31 décembre 2019. La lettre a été expédiée au nom et à la dernière adresse connue de l'intéressée avec demande d'avis de réception. Elle a été présentée à son domicile le 3 janvier 2020 mais n'a pas été réclamée par l'intéressée aux services postaux, qui ont retourné le pli au ministre après l'expiration du délai de mise en instance postal. Cette notification doit être regardée, faute pour l'intéressé d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer le pli qui lui avait été régulièrement adressé, comme étant intervenue à la date de première présentation du pli par les services postaux, soit le 3 janvier 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, qui n'avait pas à préciser l'adresse à laquelle le courrier comportant les motifs justifiant la mesure de retrait envisagée avait été envoyé à l'intéressée, serait illégal faute pour l'intéressé d'avoir pu présenter ses observations en défense dans le délai d'un mois prévu par les articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de Mme D... commence à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé est portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. Il ressort des pièces du dossier, que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale de la requérante que le 11 juin 2018, date à laquelle Mme D... les a informés de son mariage. La circonstance que l'intéressée aurait entamé des démarches en mai 2018 auprès de la mairie de Wissous (Essonne) pour faire transcrire son acte de mariage n'est pas de nature à établir que son mariage aurait été porté à la connaissance des services du ministre chargé des naturalisations à une date antérieure au 21 mars 2017. En outre, si la requérante soutient avoir informé les services de préfecture en janvier 2017 de sa situation familiale, elle n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 5 juin 2020, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

7. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a contracté mariage le 26 août 2016 à Douala (Cameroun) avec M. C... B.... Ce mariage aurait dû être porté à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme elle s'y était engagée lors du dépôt de sa demande de naturalisation. Si Mme D... soutient qu'elle est de bonne foi, elle ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de son changement de situation familiale au service chargé de l'instruction de sa demande de naturalisation avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressée, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 19 juillet 2016, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée. Dans ces conditions, Mme D... doit être regardée comme ayant volontairement dissimulé sa situation maritale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre, qui n'a commis aucune erreur de fait, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

9. En cinquième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. Il résulte des dispositions de l'article 27-2 du code civil qu'un décret ayant conféré la nationalité française peut être rapporté dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec le droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à Mme D... la nationalité française. Si Mme D..., qui ne peut utilement invoquer la Déclaration universelle des droits de l'homme et la convention sur la réduction des cas d'apatridie, signée à New York le 30 août 1961 soutient, en invoquant la loi camerounaise, qu'elle aurait perdu la nationalité camerounaise en conséquence du décret du 21 mars 2017 lui ayant conféré la nationalité française, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait effectivement perdu sa nationalité d'origine ou ne pourrait la recouvrer. Par suite, le Premier ministre a pu légalement prendre le décret attaqué en faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

10. En dernier lieu, si un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale, il affecte néanmoins un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu, aux motifs qui le fondent et à la situation de Mme D..., le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juin 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a rapporté le décret du 21 mars 2017 qui lui avait accordé la nationalité française. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 442331
Date de la décision : 08/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 fév. 2021, n° 442331
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Fabio Gennari
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:442331.20210208
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