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03/02/2021 | FRANCE | N°431015

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 03 février 2021, 431015


Vu la procédure suivante :

La société d'intérêt collectif agricole (SICA) Atlantique a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la réduction, à hauteur, respectivement, de 334 980 euros, 295 508 euros et 352 933 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012 dans les rôles de la commune de La Rochelle (Charente-Maritime). Par un jugement nos 1102680, 1300299, 1300316 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes

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Par une décision nos 396231, 396232 du 20 décembre 2017, le Conseil ...

Vu la procédure suivante :

La société d'intérêt collectif agricole (SICA) Atlantique a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la réduction, à hauteur, respectivement, de 334 980 euros, 295 508 euros et 352 933 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012 dans les rôles de la commune de La Rochelle (Charente-Maritime). Par un jugement nos 1102680, 1300299, 1300316 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Par une décision nos 396231, 396232 du 20 décembre 2017, le Conseil d'Etat a, sur le pourvoi introduit par la SICA Atlantique, annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Poitiers.

Par un jugement n° 1702964 du 26 mars 2019, le tribunal, statuant sur renvoi, a fait droit aux conclusions présentées par la SICA Atlantique et prononcé la réduction, dans cette mesure, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des trois années en litige.

Par un pourvoi enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'État le 23 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme A... B..., rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société SICA Atlantique ;

Considérant ce qui suit :

1. La société d'intérêt collectif agricole (SICA) Atlantique exploite des installations de stockage, de réception, de manutention et d'expédition de céréales situées, en partie, dans l'enceinte du port de La Pallice sur le territoire de la commune de La Rochelle. A l'issue de la vérification de sa comptabilité intervenue en 2009, l'administration fiscale a remis en cause la méthode d'évaluation prévue à l'article 1498 du code général des impôts, pour l'évaluation de la valeur locative de certains de ses biens passibles de taxe foncière sur les propriétés bâties, en lui substituant la méthode comptable définie à l'article 1499 du même code. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre le jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, faisant droit à la demande présentée par la SICA Atlantique à hauteur, respectivement, de 334 980 euros, 295 508 euros et 352 933 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 532-1 du code rural et de la pêche maritime régissant les sociétés d'intérêt collectif agricole : " Les personnes physiques ou morales énumérées à l'article L. 522-1 doivent disposer de moins des quatre cinquièmes des voix dans les assemblées générales des sociétés d'intérêt collectif agricole constituées postérieurement au 29 septembre 1967. / Ces sociétés ne peuvent effectuer plus de 50 % des opérations de chaque exercice avec des personnes physiques ou morales autres que les associés définis à l'article L. 522-1 (...). " Selon l'article L. 522-1 du même code : " Peuvent être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole : / 1° Toute personne physique ou morale ayant la qualité d'agriculteur ou de forestier dans la circonscription de la société coopérative agricole ; / 2° Toute personne physique ou morale possédant dans cette circonscription des intérêts agricoles qui correspondent à l'objet social de la société coopérative agricole et souscrivant l'engagement d'activité prévu par le a du premier alinéa de l'article L. 521-3 ; / 3° Tout groupement agricole d'exploitation en commun de la circonscription ; / 4° Toutes associations et syndicats d'agriculteurs ayant avec la coopérative agricole un objet commun ou connexe ; / 5° D'autres sociétés coopératives agricoles, unions de ces sociétés et sociétés d'intérêt collectif agricole, alors même que leurs sièges sociaux seraient situés en dehors de la circonscription de la société coopérative agricole. / 6° Toute personne physique ou morale ayant la qualité d'agriculteur ou de forestier, ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne et dont le domicile ou le siège est situé hors du territoire de la République française dans une zone contiguë à la circonscription de la société coopérative agricole ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1382 du code général des impôts : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) 6° a. Les bâtiments qui servent aux exploitations rurales tels que granges, écuries, greniers, caves, celliers, pressoirs et autres, destinés, soit à loger les bestiaux des fermes et métairies ainsi que le gardien de ces bestiaux, soit à serrer les récoltes. / (...) b. Dans les mêmes conditions qu'au premier alinéa du a, les bâtiments affectés à un usage agricole par les sociétés coopératives agricoles, (...) par les sociétés d'intérêts collectif agricole, (...) constituées et fonctionnant conformément aux dispositions légales qui les régissent (...) ".

4. En faisant expressément référence aux conditions de l'exonération de taxe foncière prévue au a du 6° de l'article 1382 précité du code général des impôts, laquelle concerne les bâtiments servant aux exploitations rurales, les dispositions du b du même article ont entendu donner à la notion d'usage agricole qu'elles mentionnent une signification visant les opérations qui sont réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes. Une activité conduite par une société d'intérêt collectif agricole, soit pour le compte des sociétaires n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole, soit pour le compte de tiers à la société dans un cadre commercial, ne peut être regardée comme une opération habituellement réalisée par les agriculteurs eux-mêmes, sauf si l'activité conduite dans l'un ou l'autre cas a pour seul objet de compenser, à activité globale inchangée et dans des conditions normales de fonctionnement des équipements, une réduction temporaire des besoins des sociétaires ayant qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole.

5. Pour faire droit à la réduction des impositions sollicitée par la SICA Atlantique, le tribunal administratif de Poitiers a jugé que la circonstance qu'une partie de l'activité de stockage de céréales avait été réalisée au cours de l'année en litige pour le compte de sociétaires négociants n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole n'était pas de nature à modifier l'affectation des bâtiments à un usage agricole, au motif que ces sociétaires ne pouvaient être regardés comme des tiers non coopérateurs au regard des conditions auxquelles est soumise l'exonération de taxe foncière prévue au a du 6° de l'article 1382 précité du code général des impôts. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu'en statuant par ces motifs, sans rechercher si l'activité réalisée pour le compte des sociétaires négociants avait pour seul objet de compenser, à activité globale inchangée et dans des conditions normales de fonctionnement des équipements, une réduction temporaire des besoins des sociétaires ayant qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole, le tribunal a commis une erreur de droit. Le ministre est par suite fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

6. L'affaire faisant l'objet d'un deuxième pourvoi en cassation, il incombe au Conseil d'Etat de la régler au fond en application des dispositions du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, il est constant qu'une partie de l'activité exercée par la SICA Atlantique au cours de l'année en litige a été réalisée pour le compte de sociétaires n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que ces opérations ont eu pour objet de compenser une réduction temporaire de l'activité conduite pour le compte des associés coopérateurs. Ces circonstances font dès lors obstacle, ainsi qu'il a été dit au point 4, à ce que les bâtiments dans lesquels l'activité a été réalisée soient regardés comme affectés à un usage agricole au sens du b du 6° de l'article 1382 du code général des impôts et ouvrent droit au bénéfice de l'exonération prévue par ces dispositions.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1494 du code général des impôts : " La valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties (...) est déterminée, conformément aux règles définies par les articles 1495 à 1508, pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte. " Les règles sont respectivement définies à l'article 1496 pour ce qui est des " locaux affectés à l'habitation ou servant à l'exercice soit d'une activité salariée à domicile, soit d'une activité professionnelle non commerciale ", à l'article 1498 en ce qui concerne " tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 " et à l'article 1499 s'agissant des " immobilisations industrielles ". Revêtent un caractère industriel, au sens de cet article, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant.

9. Il résulte de l'instruction que la société SICA Atlantique est propriétaire, sur le site de La Rochelle-Pallice, de cellules, au sein de trois silos verticaux, représentant une capacité de stockage de 144 500 tonnes pour l'un et 20 000 tonnes pour les deux autres, ainsi que de matériels et outillages utilisés pour la réception, le pesage, le stockage, la manutention et le chargement des céréales sur les navires, dont notamment deux portiques de chargement, des fosses et un pont bascule. Le matériel affecté à ces activités était inscrit au bilan de la société au 31 décembre 2009 pour un montant total de 11 635 186 euros, alors que la valeur des constructions s'élevait à la somme de 15 496 338 euros. Ainsi, les installations en cause comprennent des moyens techniques importants. Eu égard à leurs conditions d'utilisation, ces matériels et installations techniques jouent un rôle prépondérant dans l'activité exercée dans l'établissement. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les immobilisations en litige revêtaient un caractère industriel et, par suite, a retenu la méthode d'évaluation définie à l'article 1499 du code général des impôts.

10. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". Le 1°de l'article L. 80 B du même livre étend " la garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A " au cas où " l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ". La SICA Atlantique n'est en tout état de cause pas fondée, pour contester le bien-fondé d'impositions primitives, à se prévaloir de ces dispositions qui ne visent que le cas de rehaussements d'impositions antérieures.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 324 A de l'annexe III au code général des impôts, pour l'application des dispositions précitées de l'article 1494 du même code, " on entend : 1° Par propriété normalement destinée à une utilisation distincte : (...) b. En ce qui concerne les établissements industriels, l'ensemble des sols, terrains, bâtiments et installations qui concourent à une même exploitation et font partie du même groupement topographique (...)". Il résulte de l'instruction que les bureaux administratifs, le laboratoire, les hangars de stockage et les hangars de triage concourent à la même exploitation que les cellules de stockage et font partie, bien que relevant de parcelles cadastrées différentes, du même groupement topographique. Il suit de là qu'ils ne constituent pas une propriété destinée à une utilisation distincte au sens et pour l'application des dispositions citées ci-dessus. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la valeur locative de ces locaux ne peut être évaluée selon la méthode comptable.

12. En cinquième lieu, aux termes du I de l'article 1517 du code général des impôts : " I. 1. Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement quand ils entraînent une modification de plus d'un dixième de la valeur locative (...) ". La société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir de ces dispositions dès lors qu'elle n'établit ni même n'allègue que les changements de caractéristiques physiques dont elle se prévaut entraineraient une modification de plus d'un dixième de la valeur locative.

13. En sixième lieu, la requérante ne conteste pas utilement la prise en compte dans la base imposable des matériels et outillages dont elle est propriétaire, en faisant valoir qu'elle n'en avait pas l'usage exclusif. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que les clôtures ne pouvaient, par nature, être incluses dans cette base.

14. En septième et dernier lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, pour contester le bien-fondé des impositions en litige, ni de ce que ces impositions auraient pour conséquence d'aggraver sa situation financière, ni de ce que d'autres contribuables disposant d'équipements similaires auraient fait l'objet d'une méthode d'évaluation plus favorable, une telle circonstance ne caractérisant, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que les impositions en litige ont été établies conformément à la loi.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la SICA Atlantique devant le tribunal administratif de Poitiers doit être rejetée.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 mars 2019 est annulé.

Article 2 : Les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la SICA Atlantique a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012 dans les rôles de la commune de La Rochelle sont remises à sa charge dans leur intégralité.

Article 3 : Les demandes de réduction présentées par la SICA Atlantique devant le tribunal administratif de Poitiers ainsi que ses conclusions devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société d'intérêt collectif agricole Atlantique.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 431015
Date de la décision : 03/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 fév. 2021, n° 431015
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:431015.20210203
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