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27/01/2021 | FRANCE | N°445579

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 27 janvier 2021, 445579


Vu la procédure suivante :

M. H... E..., Mme D... B... et ses colistiers de la liste " Ensemble, allons plus loin ", ainsi que le préfet de la région Bourgogne Franche-Comté, préfet de la Côte d'Or ont, chacun, contesté devant le tribunal administratif de Dijon les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Ruffey-lès-Echirey. Par un jugement n° 2000747, 2000766, 2000891 du 25 septembre 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les protestations de M. E... et de Mme B

... et autres et, faisant droit au déféré du préfet, annulé l'électi...

Vu la procédure suivante :

M. H... E..., Mme D... B... et ses colistiers de la liste " Ensemble, allons plus loin ", ainsi que le préfet de la région Bourgogne Franche-Comté, préfet de la Côte d'Or ont, chacun, contesté devant le tribunal administratif de Dijon les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Ruffey-lès-Echirey. Par un jugement n° 2000747, 2000766, 2000891 du 25 septembre 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les protestations de M. E... et de Mme B... et autres et, faisant droit au déféré du préfet, annulé l'élection de M. E... et de Mme C... en qualité de conseillers communautaires de la communauté de communes Norge-et-Tille.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 octobre et 14 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette les protestations ;

2°) de faire droit à sa protestation et de rejeter celle de Mme B... et de ses colistiers de la liste " Ensemble, allons plus loin ".

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme F... I..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme A... G..., rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Ruffey-lès-Echirey, les quinze sièges de conseillers municipaux et les deux sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. Douze des sièges de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Ensemble, allons plus loin ", conduite par Mme B..., qui a obtenu 310 voix et 50,81 % des suffrages exprimés, tandis que les trois autres sièges de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Ecouter et agir pour notre village ", conduite par M. H... E..., qui a obtenu 300 voix et 49,18 % des suffrages exprimés. Saisi d'une protestation de M. E..., d'une protestation de Mme B... et de ses colistiers ainsi que d'un déféré du préfet de la région Bourgogne Franche-Comté, préfet de la Côte d'Or, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 25 septembre 2020, rejeté les protestations et fait droit au déféré du préfet en annulant l'élection de M. E... et de Mme C... en qualité de conseillers communautaires de la communauté de commune Norge-et-Tille. M. E... doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il rejette sa protestation.

Sur la campagne et la propagande électorales :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Aux termes de l'article L. 49 de ce code : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de :/ 1° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que le dimanche 15 mars 2020, jour du scrutin, le quotidien Le Bien public a publié un article relatif aux opérations de déblaiement menées le mercredi précédent à la suite de l'effondrement de la voûte de l'église de Ruffey-lès-Echirey et aux étapes à venir de la réfection de l'édifice. D'une part, la publication d'un article de presse dans un quotidien local rendant compte de l'intervention des services municipaux sur un bâtiment communal ne saurait constituer, par elle-même, une méconnaissance des articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral cités ci-dessus. D'autre part, les organes de presse demeurent libres de leurs publications durant la campagne électorale, notamment en mentionnant les propos de certains candidats, sous réserve, dans ce dernier cas, que ces propos ne constituent pas, par leur présentation et leur contenu, de la part de ces candidats, un procédé de publicité commerciale prohibé par l'article L. 52-1 du même code. Eu égard à l'objet de l'article litigieux, à la teneur des propos qu'il cite de la maire sortante, laquelle n'apparaît en outre que de dos sur la photographie qui l'illustre, M. E... n'est pas fondé à soutenir que cet article, qui ne saurait être regardé comme un élément nouveau de polémique électorale, aurait constitué un procédé de publicité commerciale à des fins de propagande électorale au sens des dispositions précitées du code électoral. Par suite, le grief tiré de ce que sa publication aurait rompu l'égalité entre les listes candidates et porté atteinte à la sincérité du scrutin doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. ".

5. D'une part, si M. E... fait valoir que la liste " Ensemble, allons plus loin " a bénéficié du matériel de projection de la commune le 14 mars 2020, dans le cadre de l'organisation de réunions publiques, il ne résulte pas de l'instruction que ce matériel n'aurait pu être mis à sa disposition dans des conditions identiques. D'autre part, le grief tiré de ce que Mme B... aurait chargé un huissier d'établir un procès-verbal, au nom de la commune et à ses frais, pour établir l'irrégularité de l'affichage électoral de M. E..., qui est nouveau en appel, ne peut en tout état de cause qu'être écarté comme irrecevable.

Sur les effets de la crise sanitaire sur la sincérité du scrutin :

6. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

7. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ".

8. Ni par les dispositions de l'article L. 262 du code électoral, ni par celles de la loi du 23 mars 2020, le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

9. En l'espèce, si M. E... soutient que l'épidémie de covid-19 et les déclarations des autorités à ce sujet ont entraîné l'abstention d'un grand nombre d'électeurs de soixante-dix ans et plus, ce qui aurait défavorisé la liste qu'il conduisait, ces éléments ne sont pas établis par l'instruction, alors au demeurant que le taux de participation aux élections municipales et communautaires s'est élevé dans la commune à 62,75%, soit un niveau très supérieur à la moyenne nationale. En outre, la circonstance que la mairie aurait été fermée le vendredi 13 et le samedi 14 mars 2020, ainsi qu'elle l'était habituellement les vendredis et samedis, n'a pas constitué une manoeuvre et n'a pu, contrairement à ce que soutient le requérant, faire obstacle à l'établissement de procurations par les électeurs qui l'auraient souhaité dès lors qu'il résulte des dispositions des articles R. 72 et R. 75 du code électoral que celles-ci n'ont pas à être établies en mairie et qu'il résulte au surplus de l'instruction que, pendant ces deux jours, les procurations recueillies par la gendarmerie y ont néanmoins été réceptionnées et le nom du mandataire inscrit sur la liste électorale conformément à l'article R. 76 du code électoral. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa protestation.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme D... B... et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. H... E... et à Mme D... B..., première dénommée, pour l'ensemble des membres de la liste " Ensemble, allons plus loin ".

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au préfet de la région Bourgogne Franche-Comté, préfet de la Côte d'Or.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 445579
Date de la décision : 27/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jan. 2021, n° 445579
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445579.20210127
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